20 avril 2024
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Le peuple c’est qui, c’est quoi ?

POLEMIQUE

Le peuple c’est qui, c’est quoi ?

Il est des écrits dont l’imprécision dans le fond et la forme aident paradoxalement à mieux comprendre les handicaps qui ont empêché l’émergence d’un véritable Etat national.

La tribune de Mouloud Hamrouche se voulant une analyse de ces handicaps, ajoute plutôt des obstacles pour démêler les fils du tissage qui enveloppe la pensée de ‘’nos’’ politiques. Vouloir éclairer les lecteurs sur l’Etat national, sujet ô combien délicat et complexe sans citer une seule fois le mot peuple acteur principal de l’histoire dont la figure emblématique de Spartacus a prouvé que même réduit à l’esclavage, le peuple abat même les légions de la Rome antique (1). Arrêtons-nous sur la notion de l’Etat dans la tribune de monsieur Hamrouche.

Je cite : ‘’l’Etat est une souveraineté du pays’’. L’Etat n’est pas une souveraineté, elle est une institution politique chargée d’appliquer les lois qui tiennent leur légitimité de la souveraineté du peuple et non d’un pays. Un pays c’est une géographie dont le territoire peut être occupé et dont le peuple subit les lois de l’occupant. Ceci pour dire que la souveraineté est une catégorie politique de l’Histoire et non point de la géographie. Je cite encore, ‘’l’Etat fondé sur une promesse’’. Les hommes promettent et les naïfs peuvent les croire mais l’Etat est une catégorique de l’Histoire des peuples et des nations qui font confiance à leurs luttes et à la pensée collective de la politique du peuple pour assurer sa pérennité de leur Etat.

La faiblesse de la définition philosophique de l’Etat et l’oubli de Hamrouche quant à l’acteur de l’histoire, à savoir le peuple, explique l’absence de la ‘’mystique’’ de l’Etat dans le pays et donc la rareté de nos politiques habités de la dite ‘’mystique’’ qui permet d’engendrer des Hommes d’Etat. Beaucoup de gens ont été et sont encore hantés de la notion féodale de Beylik qui nourrit des relations d’allégeance à l’Etat au lieu de se conformer à la rationalité de l’Etat moderne (2). Avec un tel handicap, un Etat national reste et restera un vœux pieux comme semble le regretter Mouloud Hamrouche.

Comme la notion du peuple a réapparu dans le sillage du mouvement des gilets rouges, il n’est pas inutile de faire un détour dans un continent où de Machiavel à Hegel et Marx, on a eu le temps de disséquer l’Etat.

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Une tempête souffle dans le monde, un seul héros résiste à cette fureur bousculant des certitudes et des illusions.  Cette fureur est celle de l’Histoire. Et ce héros est ‘’le Peuple détenteur de la souveraineté nationale’’, devise inscrite sur la table des lois des constitutions. Hélas, en dépit de la sacralité de cette devise, d’aucuns traitent le peuple, ici de ‘’ghachi’’, ailleurs de ‘’foule haineuse’’.  Et des petits soldats idéologues donnent une définition élastique, ahistorique et apolitique de la notion de peuple pour le faire taire. Ils oublient que le peuple a élargi la superficie de l’agora en s’installant dans la rue où doivent se traiter les affaires de la cité.

Aujourd’hui, ici et là dans certains pays, des peuples enrichissent la démocratie en suggérant d’autres rapports à la politique, à l’Etat, renvoyant à leurs études des élus s’accrochant à leurs koursis, leurs trônes devenus leurs propriétés privées. Evidemment, cette vision ne plait pas à ces élus d’un monde moisi dont la défense infantile se résume en une phrase ‘’nous avons été élus et nous aussi, on fait partie du peuple’’.

Dans des vieux pays où l’Etat et la Nation ont pris des rides, ces derniers ne sont plus mentionnés dans les banderoles de manifestations. En revanche, par exemple, dans cette France sidérée par l’émergence du mouvement des gilets jaunes, les banderoles ‘’le peuple en colère, le peuple veut’’, flottent au vent au-dessus des foules bigarrées et conscientes de leur rôle historique.

Ce peuple en colère ne veut plus d’un Etat qui décide de tout, qui bafoue son vote, qui pressure ses revenus, bref il veut que l’Etat respecte sa souveraineté, c’est-à-dire qu’il soit au centre de la vie politique et non une succursale d’une autre entité politique de l’extérieur ou de la finance sans visage pour reprendre une image de François Hollande. Un peuple en colère n’accepte plus les balivernes des écoles des Sciences politiques et de leurs formules ‘’l’Etat, c’est nous tous’’. Derrière cette banalité, ceux qui squattent les allées du pouvoir prennent des décisions dans le dos des citoyens.

Heureusement, l’histoire réserve des surprises à ces squatteurs. Il arrive que les vents de l’histoire nettoient les écuries d’Augias pour donner une autre architecture aux palais de l’Etat et de la Nation. Etat et Nation qui doivent dorénavant s’appuyer sur le socle de granit qui a pour nom PEUPLE. Et ce joli nom dans toutes les langues du monde est une entité physique et politique. On le voit lutter et mourir pour innover, inventer des modes d’agir et de penser.

Oui, à la fois physique et politique, tout le contraire d’une construction idéologique, le peuple se met en mouvement avec une revendication centrale ‘’nous voulons que la souveraineté revienne au peuple’’. En France, avec le mouvement des gilets jaunes, pareille revendication centrale est un remake, une tentative de reproduction de faits historiques de ce pays où deux grandes révolutions ont eu lieu (révolution bourgeoise de 1789 et révolution ouvrière de la commune de Paris en 1871). Oui c’est le peuple souverain qui a chassé le pouvoir de droit divin, inventa sa forme de république, son Etat lequel construisit la nation. Et depuis la France est un Etat-Nation.

Ce survol aérien sur la notion de peuple, catégorie politique singulière échappant aux idéologues bavards, permet de saisir son rôle hier comme aujourd’hui. Bien que tout le monde fasse partie d’une communauté habitant un territoire, selon l’étymologie du mot peuple, il est des gens qui nourrissent du mépris à l’égard du peuple. Pis certains poussent leur vulgarité en associant le peuple à la violence et à l’inculture.

Cette vision du peuple est une vieille rengaine des classes possédantes pour justifier leur statut d’exploiteur. Hélas, au fil du temps ce mépris a imprégné pratiquement toutes les catégories sociales à qui on apprend que la pauvreté fait partie de la vie et cerise sur le gâteau, c’est bien connu, la pauvreté signifie peu de morale et beaucoup de violence. C’est pourquoi fleurissent chez nous des notions viles comme ‘’el ghachi’’ ou bien‘’ bent familia’’. Ailleurs, en France par exemple, longtemps des catégories du peuple habitant des quartiers pauvres étaient synonyme de fournisseurs ‘’d’Apaches’’,  de  ‘’sauvageons’’, d’ivrognes etc…(3)

Mais revenons à la difficulté de cerner intellectuellement la notion de Peuple. On constate que cette notion est enfermée dans l’étymologie du mot. Or les mots ont une histoire et s’enrichissent avec l’histoire. Le mot peuple a acquis ses lettres de noblesse grâce à l’histoire et sa beauté grâce à des poètes qui ont chanté des révolutions. Oui grâce à ce monde-là, ce concept phare fait briller son étoile sur toutes les constitutions dignes de ce nom.

Autant, l’Etat, la nation sont étudiés et décortiqués dans toutes les universités, autant il semble pour le peuple, que l’on se satisfasse de la simple définition étymologique. Ici et là, on rencontre le mot peuple accompagné d’un attribut comme peuple de gauche, peuple musulman, peuple chrétien etc… Ces attributs donnent une petite indication sociologique ou culturelle mais laissent de côté l’ampleur philosophique du concept alors qu’il est l’acteur principal de l’histoire. Si l’on admet ce concept historique cautionné par les constitutions modernes, on peut cerner les contours de la question posée : le peuple, c’est qui, c’est quoi ?

Dans la vie ‘’calme’’ de tous les jours, tout le monde fait partie du peuple. En revanche, quand un peuple fait face à son destin, une invasion étrangère ou une révolution qui va déterminer la vie et l’avenir de tout un pays, alors une frontière s’érige et chaque citoyen participe à son tracé.

Le champ de bataille est connu, là où vont s’affronter des forces mues par des intérêts contradictoires et une vision du monde aux antipodes l’une de l’autre, il reste alors aux hommes et femmes de choisir un camp. Et l’histoire n’est pas avare d’exemples qui nous prouvent que des gens changent de camps pour diverses raisons.

Laissons de côté les petites combines misérables des êtres vénaux, pour nous intéresser à ceux qui tournent le dos au peuple pour de gros intérêts de classe sans oublier ceux qui se jettent dans les bras des envahisseurs-prédateurs qui veulent soumettre un peuple pour mieux siphonner ses richesses.

En posant la question, le peuple c’est qui c’est quoi ? je pense à Jean Sénac qui écrivit dans un poème sur l’Istiqual de l’Algérie : ‘’ce peuple est plus grand que nos rêves’’ ! Le poète qui associe le peuple à la beauté des rêves et les politique qui oublient ‘’un seul héros le peuple’’ slogan apparu sur les murs de nos villes à l’indépendance, le choix est vite fait.

Ali Akika, cinéaste

Notes

(1)  Les exemples de notre époque, ceux des Vietnamiens et des Algériens contre la 4e puissance militaire dans le monde, ont montré la pertinence du symbole de Spartacus.

(2)  La rationalité de l’Etat moderne a inventé la raison d’Etat utilisée hélas par certains pour couvrir des crimes d’Etat.

(3) Apaches, sauvageons, des noms et des images que l’on collait aux classes populaires qualifiées de classes dangereuses.

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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