Lundi 23 décembre 2019
Le pouvoir algérien : point de vue sur des angles mort
Le pouvoir algérien vient d’élire son énième autocrate. Un vieux président pour une vieille nomenklatura et un élu heureux pour des peuples malheureux.
Pour la première fois depuis l’indépendance supposée de l’Algérie, les Algériens ont – objectivement, reconnaissons-le, rejeté « le nouveau-ancien » président. En rejetant cette élection, les Algériennes et Algériens ouvrent peut-être une première page de leur histoire. Mais surtout, ils manifestent une volonté d’user et d’utiliser le droit à décider d’eux-mêmes. C’est une bonne chose et c’est une démarche à saluer.
D’emblée, je dirais que « le peuple algérien » rejoint le peuple kabyle dans son combat politique visant à recouvrer sa souveraineté. Un point commun pour des objectifs divers.
Au demeurant, la liberté n’est pas l’apanage exclusif d’un peuple. Mais assurément, le désir commun de tous les peuples qui aspirent à s’émanciper.
Néanmoins, rejeter une dictature, ne signifie pas nécessairement, bâtir une démocratie. C’est le début d’une prise de conscience certes, mais cela pourrait être aussi une démarche sans suite pour des raisons multiples.
Ce qui m’amène à m’interroger sous forme de réflexion, sur l’après-élection présidentielle algérienne. Une élection rejetée par la majorité des composantes humaines de ce vaste territoire.
Concernant l’Algérie
Excepté les événements d’octobre 1988, qui sont localisés principalement à Alger et d’une façon moindre en Kabylie, les Algériens n’ont jamais manifesté un intérêt particulier à la politique, ni eu un regard critique sur les tenants du pouvoir.
Il est à rappeler qu’en Kabylie ; durant cette période, un tract pour appeler au calme a été distribué largement par les animateurs du MCB (Mouvement Culturel Berbère). C’était dans ce contexte que Lounès Matoub a été victime d’une rafale de kalachnikov d’un gendarme algérien. Un crime qui n’a pas été puni. Le statut de victime n’a été reconnu au barde de la chanson kabyle engagée, ainsi qu’aux autres victimes de ces événements.
Je peux également citer, l’engouement qu’à susciter le FIS (Front Islamique du salut) en 1990, pour beaucoup d’Algériens.
Depuis le 22 février 2019, les Algériens découvrent, avec enthousiasme, le chemin de la liberté. L’importance d’être reconnus en tant que citoyens et surtout d’avoir le droit d’exercer sa citoyenneté. En d’autres termes, ils aspirent au droit d’exercer pleinement leur souveraineté, en tant que peuple.
De mon point de vue, je considère que les raisons de ce soulèvement inédit sont encore imprécises. Sachant que le point de départ était le 16 février à Kherrata. Une date qui est malheureusement occultée volontairement par les différentes structures et acteurs politiques algériens !
Si les raisons de la protestation ne sont pas claires, il en est de même pour les objectifs.
En dehors des slogans psalmodiques, qui font chaud aux cœurs à certains et donnent des sueurs froides à d’autres, qu’en est-il des valeurs universelles qui régissent les États démocratiques ? La laïcité, l’égalité des sexes, la liberté de croire ou de ne pas croire…
Quel intérêt portent-ils à tamazight ? Quelle est leur vision politique concernant le statut constitutionnel de l’islam comme religion d’État ? Quel est leur avis sur la langue arabe comme langue nationale et officielle ?
Le soutien timide et le manque de solidarité de ce « soulèvement » à l’égard de la communauté chrétienne, qui est persécutée par le régime algérien, est un élément d’inquiétude majeur. Dans le cadre d’instaurer un État de droit, le droit à la liberté religieuse serait-il garanti ?
Autant de questions qui restent, pour l’heure, sans réponse satisfaisante. Avec l’élection du nouveau président algérien, la junte militaire a gagné la première partie sur les Algériens. Il faut l’admettre.
Reste à savoir, la suite que “les révoltés” souhaitent donner aux événements. Au demeurant, ce à quoi il faudrait s’atteler : c’est la réflexion, l’organisation et la concrétisation.
À mon sens, l’aboutissement d’une révolution dépend de la capacité des citoyens à dégager parmi eux, des représentants légitimes, responsables et compétents. Il n’y a pas d’autres secrets. Même avec ces éléments, on n’est pas à l’abri d’un échec.
En tout état de cause, les Algériens doivent prendre conscience d’une chose ; il ne faut pas laisser perdurer le mal, parce qu’on craint le pire. S’ils aspirent à un réel changement.
Concernant la Kabylie
Si le peuple algérien, par ce soulèvement, aspire à recouvrir son droit à « la souveraineté d’exercice », le peuple kabyle quant à lui, est déterminé à recouvrir sa « souveraineté d’existence ». Exister en tant que nation, peuple et État. Qu’il soit un État indépendant, autonome, fédéré… Il revient légitimement au peuple kabyle d’en décider, dans le cadre d’un référendum.
La Kabylie, un territoire politisé depuis presque toujours, avec une tradition de débat et un esprit contestataire de plus en plus affirmés. Je dirais même, qu’elle est surpolitisée, ce qui risque de créer une sorte “d’aquaplaning” qui ferait perdre l’équilibre à ce peuple qui subit de plein fouet la dictature algérienne.
On assiste actuellement à une compétition rude entre les Kabyles favorables à une Algérie une et indivisible, des Kabyles indépendantistes, autonomistes, fédéralistes… Chacun fait de son mieux pour asseoir d’une manière pesante sa vision.
Dans ce contexte difficile, où le pouvoir manœuvre souvent avec la carte kabyle, trouver un consensus dans le but de préserver la Kabylie pour limiter le désastre économique entre autre, est la priorité.
Je suis affirmatif, aucune structure politique kabyle, actuellement, n’est en mesure d’apporter seule une solution. Les raisons sont multiples.
Je donne succinctement, les raisons liées à la fragilité des structures politiques.
• Le FFS et Le RCD, deux « frères ennemis » qui malgré leur énergie débordante et leur statut de partis politique algériens, garderont à vie l’étiquette kabyle. Ils ont malheureusement échoué dans leur mission de s’implanter sur l’ensemble du territoire algérien, de façon à exister efficacement. Surtout que leur bastion traditionnel kabyle est disputé avec d’autres structures.
• Le MAK, un mouvement qui a suscité tant d’espoir et a inventé une autre façon de faire de la politique, en s’adressant aux Kabyles dans leur langue. Avec comme avantage, le concours d’une jeunesse intelligente et consciente de l’importance de se battre dans le cadre du droit des peuples à décider d’eux-mêmes. Aujourd’hui, le MAK-Anavad, à mon sens, n’est plus dans la démarche de conquérir, mais plutôt dans une stratégie de se maintenir. Il se retrouve ainsi dans la même fragilité que « les deux vieux partis », l’ironie du sort !
• Le RPK, (Rassemblement pour la Kabyle) une dénomination qui reflète toute l’ambiguïté de cette structure. À savoir, la définition de la Kabyle, région, territoire, départements ? Les Kabyles forment-ils un peuple ? Une structure qui se bat pour un statut particulier pour la Kabylie, avec comme argument principal « la spécificité /particularité ». Sans pour autant développer concrètement la vraie signification de cette « spécificité/particularité », que je considère plus comme un élément de langage qu’un argument pour convaincre. Toujours est-il qu’une autonomie de la Kabylie, reste une voie non-négligeable et à encourager.
• L’URK (Union pour Une République Kabyle), Une structure récente, née des cendres du MAK et qui lutte pour l’indépendance de la Kabylie sans écarter l’optique d’un statut particulier, comme solution urgente, mais convaincu de l’indépendance comme finalité. Sa composante organique est rompue à l’exercice du militantisme, en revanche, sa base militante reste encore insuffisante pour porter ses idées d’une manière efficace.
Que l’on me comprenne bien, il ne s’agit en aucun cas de porter une critique stérile ou de minimiser le rôle qu’ont joué les structures politiques kabyles et de celui qu’elles pourraient encore jouer. Il s’agit ici, de dépister le plus objectivement possible les failles, les insuffisances et les incohérences. Car, si elles se résolvent, cela ferait du bien à la Kabylie, aux Kabyles et bien au-delà.
Pour résumer, toutes les structures politiques kabyles, qu’elles soient agréées par l’État algérien ou légitimées par la justesse de leur cause, restent inefficaces par rapport à la complexité de la situation actuelle en Algérie d’une façon générale et particulièrement en Kabylie.
Enfin, si M. Saïd Sadi préconise une deuxième Soummam pour une sortie de crise en Algérie, je pense que la Kabylie a besoin plus que jamais de tous ses enfants, dans le cadre “d’un second La3ruc”. Avec une nouvelle philosophie, basée sur l’intérêt commun et des objectifs qui prendraient en compte les nouvelles données politiques kabyles et algériennes. Sa mission consisterait à réunir toutes les forces vives kabyles, structures politiques, associatives et d’une représentativité réelle qui passerait par l’implication des comités de villages, au sein d’une assemblée.
La crise actuelle en Algérie, est le résultat d’un prolongement d’un autre type de colonialisme plus ou moins moderne, qui dénie aux peuples le droit de vivre librement sur leurs territoires. Un droit pourtant garanti par le droit international et les différentes résolutions et conventions internationales.
Pour construire des États démocratiques et des gouvernements qui agissent dans le cadre d’un État de droit, où les lois justes de la République sont respectées et où les droits des citoyens sont garantis, sans discrimination aucune, il faudrait construire à partir des peuples, avec les peuples et pour les peuples, mais aucunement sans les peuples. Pour ainsi donner un élément de réponse pour les interrogations pertinentes de M. Saïd Sadi.