1 mai 2024
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Le pouvoir reprend la main de Dieu !

REGARD

Le pouvoir reprend la main de Dieu !

Une cité morne comme il s’en construit partout dans le pays. Le barreaudage aux fenêtres lui donne un aspect de prison, ou de Kandahâr. 

Quelques arbustes jaunis tentent désespérément de donner de la joie à cette abomination. Des tonnes de linge sèchent encore sur des kilomètres de câbles. Il est 19 h en Greenwich time et moins 0 h 50 en ramadanic time. 

Les rues se vident rapidement comme entraînées dans un entonnoir. Quelques enfants courent sous un soleil fatigué, poursuivant bruyamment ballons et rêves. Les murs dévoilent toute leur laideur, masquée jusque-là par les mouvements incessants des passants et des voitures, qui agissaient pour nos yeux comme des essuie-glaces. D’un balcon du troisième, de l’eau brune ruisselle dans l’indifférence générale depuis des semaines. 

Les mouches et les moustiques y font la boum. Des chats et des rats se sociabilisent sur les tas d’ordures, pain et sachets bleus ; menu étoilé à portée de museau. Les chiens errants viendront se joindre au festin à la tombée de la nuit. Comme dans un rêve d’animal : au pays des jeûneurs ; chiens, chats et rats sont enfin repus, amis… et rois ! 

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L’aveuglement n’est parfois que miséricorde.

Cigarette éteinte à la main, j’attends le signal. Le soleil s’étire à l’horizon, il baille, mais ne se couche pas. À même le sol, je suis assis et sens ma tête bouillir comme une marmite de chorba. Je vois presque la fumée s’en échapper. Un bref instant, j’ai eu peur de passer pour un non-jeûneur et tomber sous le joug de la loi. Me faire invectiver par un enfant daechien en devenir, un chat ou un rat auxquels on aurait implanté un système de détection et de dénonciation de non-jeûneurs. Je délire. Je dois être sous l’effet d’Orwell. Ou alors en hypoglycémie.

N’empêche, elles sont nombreuses les lois du pays qui peuvent vite t’envoyer en enfer. Il faut rapidement montrer patte blanche pour ne pas finir comme Djabelkhir, Chitoune, Bouraoui, ou les Kabyles. On devient facilement suspect. Et de suspect à ennemi, il n y a qu’un communiqué de Zeghmati. Ou de l’ANP. Ou des Oulémas. Tu te fais charcuter à l’aube par Echourouk, le jour par Ennahar, et le soir par El Massa. 

Puis on te jette la nuit à la vindicte cannibale des noctambules des réseaux sociaux. D’ailleurs quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi ce nom ? Ils n’ont rien de sociaux ces réseaux, bien au contraire. Ils sont complètement anti-sociaux. Les gens sont seuls, embusqués derrière des écrans pour mener des guerres de libération. Et au final, c’est la guerre virtuelle des tranchées qui s’engage. 

La perversion des algorithmes nous fait construire des bunkers et des casemates. Il suffit d’être organisé pour paraître majoritaire et avoir raison. Et on gagne des batailles mentales avant l’affrontement des rues.

Le trottoir est froid, ce n’est pas bon pour moi. Il ne faut pas mélanger les maladies. La Covid et les hémorroïdes. Une maladie à la fois et les chèvres seront bien gardées, dit le proverbe. Enfin, je crois.

Le pouvoir  a une maladie : il se prend pour un dieu grec tyrannique. Il n’aime pas perdre la face, encore moins la main. À chaque fois qu’une initiative est prise quelque part, il court vite la court-circuiter. La reprise du Hirak est pour lui comme une rage de dents qui se réveille par un vendredi. Une dent pourrie qu’il préférerait arracher, mais pas soigner. Les soins lui coûteraient cher, trop cher pour les tenter. Alors il essaie de reprendre la main et de mener la danse. Ou plutôt de mener aux poings.

La danse étant trop poétique pour un système aussi violent. Lui, c’est plutôt le combat de rue. Harcèlement, enfermement, attouchements sexuels, persécution, amenées au sol, immobilisation, étranglement, clés de jambes, de bras, de cou. D’où l’impérative nécessité de rester pacifique et de ne pas jouer aux mêmes jeux des voyous. 

Face à Poséidon, Ulysse a de tout temps rusé. La main d’un dieu violent a flanché devant l’abnégation et le courage d’un homme. Depuis Ulysse, les humains ont compris qu’il était possible de se libérer du pire des dieux. Alors face à des hommes…

Le muezzin se racle la gorge. Il me sort de mon Odyssée mentale. Il va chanter une berceuse au soleil qui vient de s’endormir. J’allume enfin ma cigarette.

Auteur
Hebib Khelil

 




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