21 novembre 2024
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« Le pouvoir veut museler toutes les voix discordantes »

Saïd Salhi, vice-président de la LADDH

« Le pouvoir veut museler toutes les voix discordantes »

La wilaya de Bejaia vient de sévir contre la Laddh. Elle a interdit, sans le moindre motif, la célébration de la déclaration des droits de l’homme. Rien que ça ! Membre de la Coordination maghrébine des organisations des Droits humains (CMODH Maghreb) et vice-président Ligue algerienne pour la défense des droits de l’Homme, Saïd Salhi s’indigne du refus par l’administration du forum des droits de l’homme à Bejaia.   

Le Matin d’Algérie : Ce refus que la wilaya ne prend même pas la peine de justifier est-il une première à Bejaia ?

Saïd Salhi : Non c’est une pratique courante, toutes nos demandes d’autorisation pour accéder aux espaces publics pour organiser nos activités ont été refusées et ce, à chaque fois les réponses de l’administration Drag ou daïra sont sans aucun motif. Ça s’appelle le déni de service public. Quand on dépose un courrier l’administration est tenue d’accuser réception, de vous répondre en le notifiant et surtout en motivant sa réponse conformément à la loi, rien que la loi.

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Nous comptons à ce jour une dizaine de refus d’autorisation sur Alger, Bejaia et Tizi-Ouzou; là où on a déjà introduit des demandes qui sont, je le rappelle, exigées par la loi des réunions et des manifestations publiques. En restant légalistes et soucieux du respect de la loi, on s’est toujours conformé à la réglementation en vigueur, c’est cela l’Etat de droit.

Bien que nous avons dénoncé cette même loi, car elle est contraire au principe démocratique, nous avons longtemps plaidé pour le retour au régime déclaratif et l’amendement des lois des associations et des réunion et manifestations publiques et la levée de toutes les mesures qui vont à l’encontre de l’exercice des libertés d’association, de réunion et de manifestation publiques.

Pourquoi, selon vous, la wilaya vient d’opposer un refus à la célébration de la journée internationale des droits de l’homme ?

Cette interdiction de célébrer la journée mondiale des droits de l’homme n’est pas une première. On a eu la même interdiction avec la même formulation en décembre 2016. Mais je voudrais vous avouer que là où je vais dans le cadre de mes activités internationales, mes camarades défenseurs des droits humains d’autres pays y compris ceux venant des pays réputés être des dictatures, éclataient de rire, ils la qualifient d’absurde. J’ai honte pour mon pays.

Interdire à une organisation des droits humains de célébrer la déclaration universelle ses droits de l’Homme est absurde.

Moi-même je ne comprends pas car cette déclaration est ratifiée par l’Algérie au lendemain de son indépendance et elle est accrochée dans toutes les salles d’attentes des commissariats de police.

Mais au-delà de cette interdiction, nous prenons acte de l’acharnement de l’administration contre la LADDH qui reste encore un témoin gênant, qui met au grand jour toutes les violations des droits humains et toute l’ambivalence de la politique gouvernementale qui dans la pratique prend à contre-sens ses engagements et ses discours.

En quoi une association comme la Laddh pourrait-elle menacer la sécurité, si tant est que celle-ci soit la raison ?

Il n’y a pas de mention ou d’insinuation à ce sujet. Officiellement, l’administration n’exprime même pas ses motivations, ce qui nous laisse dire que c’est juste des alibis, il est clair pour nous que le seul motif est l’administration ; le ministère de l’Intérieur en premier lieu veut en finir avec la LADDH. Car l’horizon n’augure pas de bonnes choses, compte tenu de la situation générale inquiétante sur le plan politiques et social, des libertés et des droits notamment les droits sociaux économiques. Le pouvoir veut museler toute les voix discordantes et tous les témoins gênants à savoir la société civile et les médias autonomes, c’est aussi une manière de prévenir et de sonder les rapports de forces et le degré de résistance de la société. Le gouvernement annonce d’ores et déjà une batterie de mesures et politiques antisociales et contre les libertés publiques et démocratiques seuls leviers pour la société pour se défendre.

Je peux encore développer sur le choix de Bejaia. Pourquoi Bejaia qui devient la cible des pouvoirs publics ? Car cette région reste l’une des matrices motrices des dynamiques de luttes dans le pays. Elle réussit la synergie et la jonction entre les dynamiques de luttes sociales, civiles et politiques et plus important encore, celles issues des différentes régions du pays. A rappeler que les différentes marches nationales qui ont eu lieu à Bejaia ces dernières années et dans tout cela il y a la LADDH et son bureau à Bejaia. Le CDDH a servi de lieu de rencontre et d’union entre ces segments de la société qui bouge.

Cette région semble échapper à la main de fer du pouvoir qui a réussi à réduire tous les espaces de libertés. Voici l’enjeu. Il y va des espaces vitaux de la société civile et politique d’où l’urgence de solidarité et de mobilisation. Des acquis à sauvegarder et à défendre, on tâchera de le faire.

Que comptez-vous faire ?

Alors déjà pour la dernière interdiction le 05 octobre passé, nous avons saisi le tribunal administratif de Bejaia qui s’est déclaré finalement incompétent. Nous avons envoyé des lettres de recours a toutes les instances nationales et nous avons alerté l’opinion publique.

Pour cette fois. Nous allons encore saisir le même tribunal tout en ne se faisant pas d’illusion mais on le fera pour rappeler au gouvernement ses engagements et obligations du respect du droit.

Nous allons aussi saisir les instances internationales et régionales, les rapporteurs de L’ONU et de l’Union africaine.

Nous tiendrons une réunion vendredi 08 décembre 2017 dans notre bureau au CDDH à Bejaia et ce en présence de nos partenaires de la société civile, politiques et des médias. Nous avons d’ores et déjà décidé de maintenir notre 6eme Forum des droits humains et tout notre programme de célébration.

Nous tiendrons nos activités dans notre bureau même exigu. Et nous allons certainement décider d’une d’action de protestation. Le ton est donné. Nous allons célébrer dans la résistance le 70ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 qui s’étalera le long de toute l’année 2018.

A rebours des discours officiels, ne pensez-vous pas cette décision comme bien d’autres par le passé est symptomatique du recul de la liberté d’expression en Algérie ?

C’est indéniable. Oui, on assiste à un recul des libertés et à des attaques presque systématiques contre tout ce qui touche aux droits humains et aux personnes qui les défendent. Les défenseurs et journalistes, blogueurs étant en première ligne sont une cible de choix.

Par contre, sur un autre registre le gouvernement prend le soin de rester clean sur le plan international. Il soigne bien sa vitrine devant les mécanismes internationaux de protection des droits humains: ONU et Conseil des droits de l’Homme. On rappelle l’engagement du gouvernement devant même ce conseil le mois de mai dernier à l’occasion de l’examen universel de son rapport sur la situation des droits humains dans le pays, j’invite à relire ce rapport public et les recommandations qu’il a acceptées de son propre gré. Le gouvernement a pris des engagements au sujet des libertés de réunion et d’association et il est tenu de les respecter. Nous allons continuer à mettre à nu ces pratiques et le double langage et nous confondront à chaque fois le gouvernement a ses engagements et au droit.

Pour ma part, je reste optimiste et confiant pour l’avenir de ce pays car l’ère de la dictature est révolue. Le peuple algérien et les militant(e)s sauront se défendre et on a toutes les ressources et ressorts. La jeunesse me redonne de la force et de l’espoir.

Dans les moments difficiles je me ressource de ce dicton Kabyle : « Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour se lèvera ».

Auteur
Hamid Arab

 




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