Lundi 25 février 2019
Le programme du gouvernement jette les bases d’un processus de stagflation
La théorie économique nous enseigne que des mesures, qui a priori convergent vers les mêmes objectifs (1), peuvent, si elles ne sont pas strictement encadrées, dans une politique économique cohérente, se retournent contre ses initiateurs et aboutissent aux résultats inverses de ceux escomptés !
C’est le sens donné au concept de stagflation (2) qui est construit sur deux autres concepts à savoir la stagnation économique (croissance molle), doublée d’une inflation forte (3). C’est ce qui se prépare en 2019, compte tenu des mesures prises par les pouvoirs publics, avec l’injection de signes monétaires sans contreparties réelles (productions de biens et services) de manière consciente par manque de compétences économiques ou plus dangereux encore, par cynisme politicien, l’élection présidentielle exige.
Ce qui sera appelé le « premier choc pétrolier en 1973 », va mettre au grand jour la stagflation dans les économies occidentales, caractérisée par une croissance économique faible ou nulle et une forte inflation (les prix relatifs augmentent très rapidement), souvent accompagnée d’un taux de chômage élevé.
La théorie keynésienne, qui annonçait un arbitrage « spontané » entre le niveau d’inflation et celui du chômage, en référence à la courbe de Phillips (4) s’est avérée incapable de résoudre cette équation et bien-entendu, les politiques subséquentes de relance économique par la dépense publique, construite sur l’injection monétaire préconisée, furent toutes défaillantes. Dès lors, l’école monétariste va régner en maître à penser, pendant au moins cinquante ans sinon plus, avec la politique américaine promue en dogme par R. Reagan et celle du Royaume-Uni avec M. Thatcher, ainsi que d’autres pays.
Dès lors, toute politique économique qui ne se préoccupe pas des niveaux d’inflation, pour faire baisser le chômage, devenait excommuniée et l’ordo libéralisme (5) s’imposera en règle universelle des politiques publiques dites de « rigueur », c’est-à-dire de l’offre.
Le couple FMI-BIRD va s’inspirer profondément de cette théorie pour imposer ses conditionnalités aux pays qui le solliciteront (6). Un dogmatisme va en remplacer un autre, à l’excès ! En effet, ces politiques strictement orientées sur la lutte contre l’inflation (par l’augmentation des taux de réescompte des banques centrales et celui des réserves obligatoires notamment) n’ont pas également réussi totalement à venir à bout des tensions inflationnistes persistantes malgré les coûts sociaux exorbitants (chômage endémique et fermeture d’entreprises), ce qui va gonfler la taille des bulles spéculatives et catalyser les crises économiques et financières des années 1980, 1990, 2000, 2008.
En 2018, les politiques économiques, dans la plupart des pays, se caractérisent toutes par une flexibilité qui agit à la fois sur l’inflation et sur le chômage et notamment de masse, sauf en Algérie, qui a cru découvrir la solution magique du financement monétaire, dit non conventionnel, comme unique instrument d’ajustement structurel, non adossé sur une politique économique, à moyen et long terme, cohérente, en rupture avec la rente pétrolière qui oscille au gré des cours de l’énergie et de son marché mondial et qui répond plus actuellement aux injonctions géopolitiques qu’à ses fondamentaux.
C’est dans ce contexte, que l’on a appris au Premier ministre, qu’il pouvait utiliser le levier monétaire à moindre frais, pour sauver l’économie algérienne (7), par l’injection d’entre 5 et 6.000 milliards de DA, pour boucler ses fins de mois (8), pour palier à un déficit financier qui a atteint les 11 milliards de US$ en 2018 ! Sans pouvoir juguler le niveau des importations, rendu incompressible par sa propre politique économique et son refus de mise en œuvre des réformes structurelles.
Plus grave, même après des mesurettes comiques, inscrites dans la loi des finances pour 2019, le pouvoir n’a qu’une seule priorité qui est celle de gagner du temps pour passer le cap électoral, d’avril 2019 et en même temps prier le bon Dieu pour que la conjoncture énergétique mondiale se renverse et lui donne les moyens extérieurs (les réserves de changes se réduiront à moins de 30 milliards de US$) de sa « continuité » financières.
Son discours apologétique de politique générale, auprès des deux chambres acquises, vient couronner sa démarche, tout en prenant toujours le soin de rappeler, à chaque fois, qu’il s’agit des instructions du Président de la république, dégageant de jure sa responsabilité de ses conséquences à court, moyen et long terme.
Ahmed Ouyahia évite ainsi de s’impliquer personnellement, afin de se préserver un espace politique, au cas où le destin l’appellerait à la Présidence de la république ! En attendant notre pays sombre dans un processus stagflationniste, lent mais inéluctable.
M.G.
Notes
(1) Le « Carré magique » de N. Kaldor, économiste post-néokeynésien, est une représentation graphique des quatre grands objectifs de la politique économique conjoncturelle d’un pays que sont la croissance économique, le plein emploi des facteurs de production, l’équilibre extérieur de la balance commerciale et la stabilité des prix.
(2) C’est la contraction de « stagnation » et d’« inflation », a été employé en premier par le Chancelier de l’Échiquier I. Macleod, en novembre 1965, pour décrire la situation économique du Royaume-Uni,
(3) La croissance économique mesurée par le PIB, nous indique pour les vingt dernières années, une évolution faible doublée d’une inflation soutenue, ce qui va se traduire par une stagflation dès 2019.
(4) La « courbe de Phillips » est un graphique qui met en relation empirique négative (relation décroissante) le taux de chômage et l’inflation.
(5) ) La période d’après-guerre, durant laquelle le keynésianisme dominait, avait réduit l’espace de ce qui va devenir l’école monétariste menée par Milton Friedman et la célèbre école de Chicago (dite l’ordo libéralisme), qui avait pour objectif fondamental la baisse de l’inflation. L’hyperinflation, en Allemagne, d’entre deux guerres, s’est caractérisée par l’impression de billets d’un billon de Deutschemark, pour l’achat d’un…pain !
(6) Il faudra attendre l’échec dans plusieurs pays de ces politiques, pour ce couple, dans les années 90, commence à introduire des « sweeters » qui prendront le nom de « filet social », pour contrebalancer ces politiques socialement très coûteuses.
(7) Son discours, auprès des deux chambres, est à la fois triomphaliste et tient également de la mystique, puisqu’il na pas hésité à déclarer qu’il avait « sauvé l’Algérie » avec cette potion miraculeuse ! L’injection monétaire devait même s’accompagner de la création d’une nouvelle coupure de 5.000 DA, pour mieux servir la contrebande et les réseaux mafieux des trafiquants de toutes espèces. Heureusement que nous avons échappés, pour l’instant à cette nouvelle prédation.
(8) L’instruction n° 16/12 du conseil d’administration du Conseil de participation de l’Etat du 12 décembre 2018, présidée par le Premier ministre, prévoit un certain nombre de mesures et d’ordonnances pour les ministres des secteurs concernés afin de faire face à l’accumulation de la dette et à la situation catastrophique de la plupart des entreprises économiques publiques, qui «menacent désormais le Trésor public de faillite».