Depuis le printemps 2025, Jean-Pierre Luminet, figure majeure de l’astrophysique française et poète à ses heures, a ajouté une nouvelle pièce à son œuvre déjà riche. Son dernier ouvrage, Voyager dans un trou noir avec Interstellar, publié chez Dunod, propose une plongée vertigineuse dans les arcanes de la science contemporaine à travers le prisme du film culte de Christopher Nolan.
À la fois essai, commentaire scientifique et méditation philosophique, ce livre dépasse largement le simple exercice de vulgarisation. Il interroge notre rapport au réel, à la fiction et à la compréhension que nous avons de l’univers.
Luminet n’est pas un inconnu dans le domaine. Dès les années 1970, il réalise les premières simulations visuelles réalistes de trous noirs, bien avant que la science ne puisse les photographier, comme l’a fait le télescope EHT avec la célèbre image de M87. Il est aussi l’un des pionniers de la cosmologie fractale et un acteur discret mais essentiel des échanges entre les mondes savants et artistiques. Avec ce nouveau livre, il revient sur Interstellar, une œuvre qui, dès sa sortie en 2014, a suscité un engouement mondial tant pour sa dimension épique que pour la manière dont elle intègre des concepts scientifiques complexes.
Mais Luminet ne se contente pas de valider ou de réfuter les éléments du scénario. Il entreprend une analyse en profondeur, un travail minutieux de déconstruction et de recontextualisation scientifique. Il explore les effets de la relativité générale sur la perception du temps, la possibilité des trous de ver, la gravité extrême autour des trous noirs, ou encore l’hypothèse d’une cinquième dimension spatiale. Là où beaucoup se seraient contentés d’aligner des faits ou de corriger les imprécisions du film, Luminet propose un récit. Un récit dans lequel la science devient elle-même aventure, questionnement, quête de sens.
Ce qui frappe dans cet ouvrage, c’est la manière dont l’auteur conjugue rigueur et sensibilité. Le texte, tout en étant exigeant, reste accessible. Il ne sacrifie jamais la précision au profit de la simplicité, mais sait manier les métaphores pour éclairer l’abstrait, sans en faire une béquille.
On y découvre aussi les coulisses du film, notamment la collaboration entre Nolan et le physicien Kip Thorne, prix Nobel de physique en 2017 pour la détection des ondes gravitationnelles. Luminet, ayant lui-même échangé avec Thorne, donne un éclairage inédit sur les choix esthétiques du film, certains étant faits au détriment de la fidélité scientifique, mais toujours au service de la narration et de l’émotion.
Au fil des pages, le lecteur passe d’un monde à l’autre : celui du cinéma et celui de la science, sans jamais les opposer. Luminet montre au contraire qu’ils peuvent dialoguer, s’enrichir mutuellement, à condition que chacun reste fidèle à son langage. Il s’agit d’un plaidoyer discret mais puissant pour la transdisciplinarité, pour une science qui accepte de se laisser traverser par l’imaginaire, et pour une fiction qui ne craint pas de se mesurer à la complexité du réel.
L’impact de ce livre est à la fois culturel, pédagogique et scientifique. Culturel, parce qu’il reconnecte un large public à l’émerveillement cosmique, dans un monde saturé d’images souvent vides de sens. Il fait émerger, derrière la technologie cinématographique, la puissance évocatrice des grandes idées scientifiques. Pédagogique, parce qu’il donne à lire la physique fondamentale sans la dénaturer, en respectant l’intelligence du lecteur, en l’invitant à penser, à imaginer, à comprendre sans le mâcher.
Ce type d’ouvrage, rare dans le paysage éditorial, joue un rôle essentiel dans la diffusion d’une culture scientifique authentique, non diluée, mais traduite. Scientifique, enfin, car il relie les spéculations théoriques les plus audacieuses – comme les hypothèses sur la gravité quantique, les trous de ver ou les dimensions supplémentaires – à une forme narrative, ce qui ouvre la voie à une forme nouvelle de communication des sciences : non plus seulement informative, mais expérientielle.
Luminet, par ce geste, remet en lumière le rôle essentiel que peuvent jouer les passeurs de savoir dans notre monde saturé d’informations, souvent déconnecté de la profondeur des idées. En cela, il s’inscrit dans la lignée des grands vulgarisateurs qui n’ont jamais confondu simplicité et simplisme. Il rappelle que la science, bien qu’issue d’un long et rigoureux travail collectif, peut – et doit – être racontée, mise en scène, partagée. Non pas pour en faire un spectacle, mais pour qu’elle garde sa place dans la conscience collective.
Ce livre est donc bien plus qu’un décryptage de Interstellar. C’est une invitation à penser autrement le rapport entre savoir et imaginaire. Une exploration de ce que la science peut dire du monde, quand elle accepte de se frotter à la fiction sans crainte de s’y perdre.
Jean-Pierre Luminet, en bon pédagogue, guide son lecteur avec bienveillance, tout en l’obligeant à regarder plus loin, à accepter le vertige. Il montre que la science peut être belle, que la poésie n’est pas absente des équations, et que, parfois, il faut un film pour réactiver notre capacité à nous émerveiller devant l’inconnu.
En refermant ce livre, on n’a pas simplement mieux compris un film. On a aussi un peu mieux compris notre univers. Et, peut-être, la place minuscule mais précieuse que nous y occupons. Car en éclairant la fiction par la science, et la science par la fiction, Luminet nous rappelle que les grandes aventures humaines naissent souvent là où se rencontrent la raison et le rêve.
Brahim Saci
Voyager dans un trou noir avec Interstellar, publié par Dunod en avril 2025.