24 novembre 2024
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Le retour de l’Afrique du Nord comme géographie dans le Hirak

DECRYPTAGE

Le retour de l’Afrique du Nord comme géographie dans le Hirak

Nous sommes le 13 septembre 2020, place de la République à Paris : les manifestations du Hirak reprennent officiellement, après une longue interruption causée par la crise sanitaire de la Covid-19.

Plusieurs collectifs militant pour la démocratie étaient présents. Dans toute leur diversité, quelques énoncés prononcés – que je considère comme porteurs de germes démocratiques – par certains militants du Hirak ont retenu mon intention : « Afrique du Nord »,  « ni militaires ni islamistes », « Algérie plurielle », « urgence démocratique », « une Algérie unie avant tout », « non au régionalisme, non à la stigmatisation identitaire », etc. 

Dans la multiplicité de ces discours, une constante discursive revient systématiquement : le refus de l’alternance unique. C’est une prise de conscience considérable qui pourrait engendrer des révoltes, situées, dans les différents domaines de la vie quotidienne : la politique, l’éducation, la culture, l’histoire. Si l’Afrique du Nord revient comme schème géographique susceptible d’unir les algériens dans un projet politique commun, cela veut dire que le discours idéologique – tenu par les  militaires et les islamistes – commence à être déconstruit : la première révolte consiste en l’abandon des catégories fumeuses du « Maghreb arabe », des « racines musulmanes du Maghreb ».

Le terme « Maghreb » a un arrière-goût religieux. Le substituer par la locution « Afrique du Nord » permet de resituer notre géographie dans l’espace méditerranéen – son espace réel – qui est, à la fois, le lieu de l’union entre l’Orient et de l’Occident,  entre la culture arabe et la culture levantine, entre la culture arabe et la culture berbère, entre la culture gréco-latine et les cultures arabe, levantine et berbère. 

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Affirmer l’appartenance à l’Afrique du Nord, c’est affirmer que la culture arabe et  l’islam nous appartiennent. Ces composantes sont, à côté de la berbérité, la francité et la méditerranéité, inhérentes à l’identité nord-africaine.  En revanche, ne  nous appartenons guère, ni à l’islam, ni à l’Arabie. Sortir de la géographie imaginaire du Désert arabéen, c’est là la première Révolte qui permet d’amorcer une sortie de la lutte identitaire et clanique pour, enfin, regagner le terrain de la lutte réelle : celle du combat politique pour la démocratie. 

Révolte et Révolution 

La révolte n’est pas la révolution. Elle est, en revanche, une possibilité de changer le monde, de faire émerger de nouvelles possibilités pour un réel absolument autre, novateur, meilleur. Nous avons même plus besoin de révolte que de révolution. Si le schème de la Révolution avec un grand « R » est aujourd’hui dépassé, celui de la Révolte, par contre, ne cesse d’être d’actualité. Si la révolution fonctionne sur le niveau macro, la révolte, quant à elle, fonctionne sur le niveau micro. Cette dernière est une révolution mineure et micropolitique. Son but consiste dans le fait de faire émerger un nouvel ethos politique citoyen, susceptible de pousser chaque citoyen à agir au sein de la cité en tant qu’être politique, c’est-à-dire en tant qu’être concerné et impliqué dans la fabrication de son devenir politique et aussi, du devenir politique de ses concitoyens. 

La révolte est aussi capable de faire basculer des citoyens désintéressés, jusqu’à lors, de « la politique politicienne », vers une pratique qui relève de l’ordre du « politique », c’est-à-dire une pratique citoyenne qui politise tout les aspects et  facettes de la vie ordinaire. De ce fait, l’art devient un acte politique, lire aussi, écrire surtout. 

La révolte est le lieu du glissement de la pratique politique cantonnée dans les partis, aux citoyens dans toutes leurs multiplicités, différences, antagonismes, conflits, etc. Ainsi, de telles pratiques peuvent faire germer une mentalité démocratique, susceptible de passer, via le dialogue et le débat, de l’antagonisme au consensus. 

C’est pour ces raisons que le Hirak et ses acteurs, en tant qu’événement ayant abouti à un mouvement hétéroclite et non-organisé, doivent concevoir leurs luttes politiques sur le mode de la révolte ou, mieux encore, des révoltes. Le Hirak doit éviter les écueils de la logique monolithique qui détient l’Algérie dans un état de léthargie éternelle, depuis 1962. Un seul parti, un seul chef, une seule religion, une seule mentalité, une seule littérature, une seule couleur, etc.

A l’Unique, il faudrait clamer l’avènement le Multiple. Plusieurs partis politiques au sens propre du terme, plusieurs mentalités, plusieurs optiques pour penser le devenir de la société. Aussi, beaucoup de souplesse, rejet du dogmatisme, théologique qu’il soit politique et, surtout, l’intégration inconditionnelle des femmes dans la vie politique. Le Hirak serait un échec total si la Femme ne sera reconsidérée dans toute sa dignité, dans toute sa grandeur, comme actrice politique à part entière, égale de l’Homme sans conteste. Si cela se réalisera, un jour, on pourrait dire que le Hirak marche vers l’avant et non, « avance en arrière ». 

Cet événement politique qui est le Hirak ne doit pas tourner à la religion, à une organisation sacerdotale, comme d’aucuns essayent de le faire. Depuis le 22 février 2019, des discussions passionnées ont eu lieu, un enthousiasme collectif mais, aussi, des divisions majeures. Le problème nodal, l’angle mort de toute tentative d’organisation politique en Algérie étant les questions relatives à la démocratie, la laïcité et la religion. Dès qu’il y a énonciation des termes laïcité, démocratie et critique rationnelle de la religion, les couches archaïques et conservatrices de la société algérienne, dans toutes leurs divisions, s’élèvent comme un seul homme contre ce qu’ils appellent « le complot occidental contre l’islam », « la main étrangère », « les tentatives de perversions de notre société ». La lutte pour la démocratie, en Algérie, doit impérativement se décomplexer de ses étiquettes, collées à tort, par les mouvements rétrogrades qui gangrènent, depuis des décennies, la vie  politique et sociale en Algérie. Nous devons inventer une nouvelle langue, débarrassée et assainie de la contamination idéologique, nationaliste et religieuse. On ne change le monde qu’avec une nouvelle langue capable de le redire, de le recréer.  

Nous appelons à plus de responsabilités. Nous invitons les citoyens algériens à décider de leurs agissements, avec un sens accru de la responsabilité, par eux-mêmes, en parfaite autonomie. Cela rendrait possible, peut-être un jour, la sortie de l’hétéronomie imposée d’une part, par la figure du Chef, d’autre part, par la figure de l’Imam directeur de conscience. Il est essentiel de parler franchement, clairement et honnêtement, de l’aliénation causée par ces deux figures, anti-vie et anti-liberté. Chaque algérien a le droit suprême de détenir une position politique au sein de la société.  Personne ne peut l’en empêcher. Mais ce droit, absolument indiscutable, d’être acteur politique implique une responsabilité incommensurable de la part de chacun, conforme à l’idéal du devoir pour le devoir, et non pour un quelconque intérêt ou profit. 

Eloge de l’incertitude

Aussi, un engagement politique citoyen ne peut guère avoir lieu que si, et de façon catégorique, nous pouvons mettre nos certitudes et fanatismes de côté. Pour avancer dans la lutte politique, il faudrait faire l’éloge de l’incertitude, du doute, du tâtonnement. Dans un célèbre adage, Nietzsche disait : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou». A la place des certitudes qui ne mènent vers nulle part, le plus méditerranéen des philosophes allemands fait l’éloge de l’«esprit libre », des « pieds légers ». 

Dans un texte datant de 1938, l’écrivain autrichien, Stefan Zweig, écrivait : «Ce n’est pas en se mettant en avant, mais en se tenant délibérément sur la réserve qu’un homme révèle sa force morale. Ce ne sont pas les agitateurs, les fanatiques ni les politiciens qui sont notre véritable expression spirituelle, mais ceux qui, de mille manières différentes, recréent l’idée d’un Dieu invisible que nous avons apportée dans le monde er qui n’appartient à aucun parti, ni à aucune classe, mais qui appartient à l’humanité dans son ensemble». Stefan Zweig était une plume à l’engagement politique coriace, un défenseur farouche des droits de l’homme, un humaniste sans concession. Il a mené, durant toute sa vie, un combat farouche contre le fascisme et le nazisme. Il a énormément écrit, aussi, sur la question juive en Europe, dans le contexte des deux Guerres Mondiales. Ses écrits demeurent, aujourd’hui et encore demain, une leçon d’histoire pour ceux qui veulent y trouver des clefs de luttes politiques, de liberté d’esprit, de volonté d’émancipation. 

De la réserve jaillit la force morale. De la morale libre – de tout dogme et religion – émergent de nouvelles valeurs – saines – susceptibles de rendre le monde meilleur. 

Engageons nous en « politique » ! Laissons tomber « la politique » ! Retrouvons la Méditerranée ! 

Auteur
Faris Lounis

 




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