24 novembre 2024
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Le ronron « mossad » de Rachid Boudjedra

Polémique

Le ronron « mossad » de Rachid Boudjedra

Ces derniers jours, l’auteur de L’Escargot entêté a été interviewé par divers journaux locaux, reçu sur le plateau de « Radio-M » (la « web-onde » du journal en ligne Maghreb- émergent) ou encore le 18 novembre 2017 chez l’éditeur « Média-plus ». Il y dédicacera trois livres et ressassera à l’occasion quelques rengaines répliquant les thèses psychanalytiques de Frantz Fanon dont l’ouvrage Les Damnés de la terre comportait en 1962 la préface (ensuite retirée à la demande de son épouse) de Jean-Paul Sartre. Le préambule valorisait alors la même violence autotélique que celle employée par le Front islamique du salut (FİS) lors de la décennie sanglante (1991-2000). Porte-voix des lanceurs d’alerte ayant eu la volonté de prévenir l’opinion publique et mondiale du danger imminent du fondamentalisme religieux, le courage de s’opposer à l’extrémisme des fous de Dieu, Rachid Boudjedra se rallie désormais à l’intelligentsia de la gauche désenchantée et acariâtre. Aussi, broie-t-il constamment du noir, concocte par là même une mixture empoisonnant les débats féconds auxquels aspirent les véritables analystes, dresse la liste des supposés faussaires. Parmi eux, se trouve l’ »ami » Boualem Sansal pris à partie suite à la parution du roman Le Village de l’Allemand dans lequel l’incriminé avance que les rangs de l’Armée de libération nationale (ALN) abritaient des combattants issus de la Wehrmacht. Boudjedra préfère quant à lui absoudre des soldats et officiers formés aux doctrines nazies parce qu’ils se seraient convertis à l’İslam. İl les blanchit ainsi du soupçon d’antisémitisme et s’en prend directement à un « contrebandier  » ayant commis le sacrilège d’aller au printemps 2012 en İsraël, là où le Mossad (littéralement, institut pour les renseignements et les affaires spéciales), est, avec l’Aman (organisme affilié à la sécurité militaire) et le Shabak (service de surveillance intérieure), l’un des pôles structurant de la police secrète.

Lorsqu’il stipule que des preuves supplémentaires conforteront bientôt l’assertion liminaire accusant Kamel Daoud d’avoir autrefois rejoint les groupes islamistes armés (GİA) algériens, Boudjedra sous-entend concomitamment une inquisition interlope relayée par des pions pouvant appartenir (pourquoi pas) à une branche du DSS (Département de surveillance et de sécurité). Des inspecteurs de l’Histoire l’aideront (peut-être) à fouiner dans les poubelles nauséabondes du champ politique les indices censés discréditer, aux yeux de la critique littéraire, notamment parisienne, un scribe-chroniqueur ayant redonné vie à L’Étranger de Camus, remis en lumières un sujet inassimilable à travers lequel certains perçoivent une France coloniale rédemptrice et dédouanée de toute repentance postérieure. Le commanditaire de la nouvelle chasse à l’homme ne cherche pas à abattre un nouveau « laïco-assimila-sioniste » montré du doigt, vilipendé à la manière de colons tenus responsables de la terre altérée à laquelle il fallait, dès l’İndépendance acquise, rendre un aspect originel. İl pense probablement que sa petite guerre interne le remettra en selle à l’international ou à l’échelle de la communauté arabo-musulmane, le sortira des bas-fonds dans lesquels il se complet pour mieux dénicher les éléments à charge ou traces irréfutables démontrant les antérieures implications salafistes de Kamel Daoud.

L’enquête subsidiaire que dirige souterrainement à son encontre le scénariste de Nahla (film de Farouk Beloufa, 1979) (et dorénavant gardien de la morale idéologique) ne le conduira certes pas au bûcher, mais entérinera les suspicions d’une ultime sentence à laquelle échappera Mahmoud Zemmouri, décédé à Paris le 04 novembre 2017. Ciblé, car également en ligne de mire de l’ »arc-bouté » Boudjedra, le cinéaste n’idéalisait pas via le long métrage Les folles années du twist une entente cordiale entre autochtones musulmans et pieds-noirs (quelques reportages montrent les premiers regretter le départ précipité des derniers). İl projetait sur grand écran la séquence ou plage temporelle réunissant des individus rattachés à deux communautés qui se côtoyaient malgré le conflit armé. Tous les films inhérents à celui-ci n’ont pas vocation à mettre en scène des moudjahidine fusils en main, égorgeant des impies à exfiltrer d’une nation lavée de leurs souillures. Le combat libérateur n’était pas ici le sujet de Zemmouri, lequel revenait sur une seconde réalité, celle de gens réunis par l’écoute de la même musique, par l’envie de danser côte à côte, pas obligés de se nier en vertu de la croisade révolutionnaire, d’une affirmation de soi plus millénariste, du tropisme de « retour aux sources » saines et non contaminées.

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Prétendre qu’un rapprochement paradisiaque gouvernait les intentions du réalisateur, que l’enfant de Boufarik était atteint du « complexe du colonisé » ou d’une quelconque « haine de soi », c’est travestir la vérité, refuser, au profit du choc des civilisations, les interlocutions culturelles Orient-Occident, déposséder les générations montantes de l’idée de métissage, de brassage des arts, du plaisir des échanges et rencontres avec leur « Autre », rejeter encore une fois la notion de cosmopolitisme, l’expurger des visions contrastées, stigmatiser des supposés non patriotes inculpés sans procès de complaisances envers l’État hébreu. Or, si tout un chacun peut contester les croyances légitimant sa sacrale création, rien ne contraint tel ou tel écrivain et universitaire algérien à soutenir mordicus ou aveuglément le Hamas palestinien, à demeurer rattacher, tel un cordon ombilical, à une cause voulue atavique en raison d’une espèce de fatwa ontologique. Le renfrogné ou grognon Rachid Boudjedra essentialise une fibre nationaliste en toile de fond de laquelle ses grincheuses perceptions et hargneuses répudiations alimentent une résistance bien « mossad ».

Auteur
Farid Saadi-Leray, sociologue de l’Art

 




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