Analyser l’action du gouvernement ne signifie pas nécessairement dresser un bilan du mandat du chef de l’Etat ; cela revient plutôt à examiner sa méthode.
Entendons-nous au passage qu’un bilan politique est un état des lieux et non une énumération des engagements de campagne supposés réalisés, d’autant que, en ce contexte politique fermé où l’électeur ne peut ni avoir de réels choix, ni s’exprimer librement, ces engagements du candidat peuvent difficilement refléter les aspirations de la population.
Les aspirations de la population ne peuvent, en effet, être connues d’un candidat, d’abord en raison de la fermeture du champ politique qui induit systématiquement une crise de représentation et, ensuite, du fait que ce candidat a toujours baigné dans les fastes et les privilèges de la république, loin du dur quotidien de la population.
L’essentiel réside donc dans l’impact de ces engagements sur l’économie, mesuré à travers des indicateurs tels que la croissance, le pouvoir d’achat, l’emploi et l’inflation, ainsi que leur capacité à améliorer la situation sociale des citoyens, à réduire les inégalités et à favoriser l’intégration sociale.
Il réside surtout dans quelle mesure ces engagements ont favorisé l’écoute et la prise en compte des opinions et des réactions de la société civile et de l’opposition, promu la liberté de la presse et approfondi la démocratie.
Par conséquent, il ne sert à rien de dresser un inventaire des réalisations, l’important est plutôt de comprendre l’esprit qui les sous-tend et d’en saisir leur sens. Nous chercherons ainsi à répondre aux questions soulevées par l’action du gouvernement, en examinant son processus décisionnel et en démontant sa mécanique.
L’approche constitue en quelque sorte un pied de nez à l’establishment politique qui, pour leurrer l’opinion, nourrit la supercherie d’une soi-disant adhésion au programme du président et d’une approbation de son bilan, alors qu’en réalité l’opposition est muselée en subissant une violence inouïe de l’Etat.
Nous nous efforcerons alors d’analyser de manière impartiale l’approche méthodique du pouvoir. La compréhension du processus décisionnel est d’un intérêt certain, mais elle pourrait éventuellement manquer de profondeur en raison des restrictions du paysage médiatique, qui représente la seule source d’information, ainsi que le manque de verve et de fécondité rhétorique d’un pouvoir souffrant d’un déficit chronique en éloquence.
L’action d’un gouvernement englobe une multitude de domaines. Idéalement, elle est le reflet de politiques émanant d’une analyse rigoureuse de la situation, d’une vision globale et d’une évaluation précise des besoins. Elle doit traduire la mise en œuvre d’un projet intégré et cohérent. Au moyen d’une législation pertinente, elle doit encadrer les divers aspects de la vie en société, tels que la santé publique, l’éducation, la protection sociale, le droit du travail, la protection de l’environnement et bien d’autres domaines.
Dans le cas des régimes démocratiques où les gouvernants sont responsables devant le peuple souverain, ces politiques visent à promouvoir le bien-être et la sécurité des citoyens, tout en facilitant le bon fonctionnement de l’économie et de la société dans son ensemble.
Cependant, ce qui caractérise le pouvoir dans les régimes autoritaires, c’est agir sans égard au peuple. Avec une légitimité usurpée, rien ne l’oblige en effet à s’encombrer de politiques orientées vers le bien-être des citoyens. Il s’en exonère toutes les fois que ses intérêts butent sur l’intérêt général, ou encore par simple inertie, paresse ou incompétence. Le pouvoir se convainc lui-même, dans sa logique, que le peuple n’a pas le droit de faire valoir ses droits. Il considère qu’en lui assurant sa subsistance, il fait déjà preuve de charité. Il justifie ainsi sa marginalisation du peuple, en oubliant qu’il a accaparé les richesses du pays. Sa devise devrait en fait être : « sans le peuple et contre le peuple ».
Il en dénote en conséquence que le développement ne se conjugue qu’avec la démocratie.
La préservation du régime vacillant, en étant hors du temps comme tout régime autoritaire, est ainsi la seule préoccupation des pouvoirs successifs. Eteignant tous les autres aspects de la vie, l’obsession à faire vivre ce régime anachronique préfigure en général la nature de l’action politique, portée alors essentiellement sur les impératifs de pouvoir.
Toute la stratégie est donc axée sur la manière et les moyens d’asseoir sa domination. Il déploie à cet effet son ingéniosité dans la mise en œuvre de pratiques coercitives à l’encontre des opposants et d’artifices démocratiques afin de déjouer la volonté du peuple et bloquer l’alternative démocratique.
En agissant sur les conditions prévalant avant, durant et après les élections, notamment en fermant le champ politique et en muselant des libertés, il prive le scrutin de son caractère démocratique et relègue le peuple au statut de simple observateur. Les élections, qui sont le point d’orgue de la démocratie, ou encore ce moment où même la médiation politique légitime s’efface devant le peuple souverain, se transforment ainsi en mascarade qui prive du droit de choisir librement ses représentants, un peuple déjà dépossédé du pouvoir de contrôle sur ses richesses.
Formulés dans un tel contexte, il n’est guère surprenant que les engagements du président conduisent, non pas à l’approfondissement de l’écoute et de la démocratie, mais plutôt à une extinction des libertés et une fermeture politique et médiatique accrue.
La révision de la constitution, présentée comme un projet phare devant jeter les bases de l’Algérie nouvelle, s’est avéré être une illusion de changement. Cet artifice dont usent tous les présidents a servi en fait à masquer le maintien du statu quo et à ouvrir la voie à la réforme des lois afin de renforcer le contrôle de la population et de colmater par plus de verrouillages les fragilités du système. Ce processus a ainsi conduit à une quasi-extinction de la vie politique et une disparition de médias, tolérés autrefois comme tape-à-l’œil de la liberté d’expression pour dissimuler la nature autoritaire et liberticide du pouvoir.
Le gouvernement est appelé à jouer un rôle crucial dans la prestation de services publics essentiels, tels que l’éducation, la santé, les transports et la sécurité. En tant que fournisseur de ces services, il est chargé de garantir leur accessibilité, leur qualité et leur efficacité pour l’ensemble de la population. Malheureusement, sa défaillance là aussi est criarde.
Cette défaillance se reflète à titre d’exemple dans les programmes scolaires qui étouffent sous le poids de l’idéologie qui a servi de matrice au terrorisme. Aucun Ministre n’a eu le courage de les ausculter sous l’angle de la rationalité et réaliser leur élagage, en les débarrassant des contenus superflus et charlatanesques. Cette situation voue indéniablement le pays à l’arriération et au sous-développement.
Le nombre de médecins quittant le pays et de patients cherchant des soins à l’étranger est une autre indication de cet échec. La situation critique de notre système de santé est palpable lors d’une simple visite à l’hôpital, où l’accès aux soins n’est pas garanti et la qualité de la prise en charge n’est pas à envier. L’inertie du gouvernement dans ce domaine laisse penser que son rôle consiste à faciliter la fuite des compétences médicales et à externaliser les soins (en pays étrangers) pour les plus fortunées ou les proches du pouvoir.
Le secteur des transports collectifs urbains, vital pour le développement économique et le bien-être des populations, est également négligé. Il ne connait en effet aucun aménagement spécifique et ne fait l’objet d’aucun intérêt des pouvoir publics. Alors que les besoins en mobilité explosent, les investissements dans les infrastructures de transport en commun, comme le rail, le métro et le tramway, restent au stade de projets pilotes, tandis que le transport par câble, bien que novateur, l’insignifiance de ses infrastructures le relègue au rang de curiosité et d’attraction foraine plutôt que de solution viable.
Dans cette situation, les citoyens n’ont d’autre choix que de faire le bonheur des taxis, de recourir au transport privé artisanal ou faire le sacrifice d’acquérir et d’entretenir un véhicule usagé. Soulignons que l’absence d’infrastructures dédiées et d’aménagements adéquats ne fait qu’allonger les trajets en bus et compliquer les déplacements.
L’état de déliquescence absolue des services publics illustre l’injustice flagrante de l’action du gouvernement. Le délaissement des populations en difficulté semble intentionnel, étant donné la nature timide et le caractère sporadique des mesures de développement socio-économique proposées et l’insuffisance des fonds alloués, qui sont bien en-deçà des besoins réels.
Le système, miné par la corruption qu’il engendre et qui le ronge simultanément, s’est avéré incapable de générer de la richesse, de stimuler l’emploi et d’améliorer le pouvoir d’achat. La monté en puissance du secteur informel et l’afflux massif vers des activités parasitaires, signes d’une crise de l’emploi, en sont la preuve évidente, tout comme ils constituent les principales raisons de l’érosion du pouvoir d’achat de la classe laborieuse et productives.
Le laisser-faire, adopté comme mode de gestion économique pour pallier à sa défaillance, obéit bien au dogme de l’idéologique radicale qui a mis le pays en sang. Cette politique a délibérément livré toute l’activité de distribution à la cupidité des partisans de cette idéologie. Motivés par la quête du profit, ils ont transformé le pays en refuge pour l’économie informelle, laminant les intérêts des travailleurs honnêtes. La somme colossale d’argent ainsi captée leur confère aujourd’hui le pouvoir de corrompre et une influence politique considérable, leur permettant de conforter leur idéologie et d’échapper par ailleurs à toute forme de régulation.
Les équilibres macroéconomiques et les récents succès financiers dont on se vante en ce moment ne sont que le fruit de la hausse des prix du pétrole et du gaz sur les marchés mondiaux, alors que la population subit les conséquences de l’inflation, ainsi que les restrictions sur les importations qui impactent fortement son pouvoir d’achat.
Les recettes en devises sont le pouls et le carburant du régime, d’où l’immense satisfaction après les récents succès financiers. Elles dictent ses orientations politiques et masquent son incapacité à construire une économie productive et diversifiée. Le pouvoir, semblant partager le même désir immodéré d’argent que ces acteurs de l’informel, s’efforce particulièrement de maintenir leur niveau.
L’incertitude quant au niveau de ces recettes en devises, liée aux aléas du cours du baril de pétrole, est donc un catalyseur d’instabilité politique. En plus de son impact sur le pouvoir d’achat et le niveau de vie, elle engendre des turbulences dans les choix socio-économique et politique.
Le pouvoir est pris de panique dès l’amorce d’une tendance à la baisse. Son premier réflexe est d’envisager de remettre en question le système des subventions des produits de base Il enchaîne ensuite la valse entre une économie libérale et une économie dirigée, par notamment un retour au monopole de l’Etat sur le commerce extérieur et au régime des agréments.
Les restrictions imposées en conséquence aux importations et aux importateurs, notamment dans le domaine des matières premières et des intrants, ont entraîné un ralentissement, voire un arrêt total, de l’activité économique dans de nombreux secteurs, mettant ainsi à l’arrêt des centaines d’entreprises. Cette paralysie de l’économie sonne par ses graves conséquences comme une sanction contre le peuple, pour son engagement dans le mouvement Hirac.
Après l’aggravation de la situation sociale, l’annonce de l’année 2022 comme celle de la relance de l’économie soulève bien des questions quant à sa faisabilité.
Peut-on réellement relancer l’économie après avoir semé la suspicion et le doute sur l’intégrité des détenteurs de capitaux, incarcéré des patrons d’entreprise, exigé qu’ils renoncent à leurs engagements politiques, paralysé le secteur privé, proféré des menaces à leur encontre et fait fuir à l’étranger des investisseurs potentiels et les capitaux ?
Le fait qu’un simple projet de montage de smartphones fasse l’objet d’un Conseil des ministres dénote que les conditions d’une reprise de la croissance ne sont pas encore réunies, particulièrement lorsque l’on constate que la libéralisation de l’initiative, induite par la levée des blocages et des entraves administratifs ainsi que par la promulgation d’un nouveau code de l’investissement, n’a conduit qu’à la réactivation des projets qui dormaient depuis des années dans les tiroirs du haut conseil à l’investissement.
Ce constat d’un marasme généralisé et de la détresse sociale profonde du peuple rappelle que le développement du pays ne peut se contenter de bribes d’investissement sporadiques et incohérentes, rendues possibles par des reliquats budgétaires, des impératifs de maintien de l’ordre public ou des initiatives improvisées à des fins électoralistes en période électorale.
Les besoins actuels exigent plutôt un programme ambitieux, à la mesure d’un plan Marshall, destiné à transformer le pays en un vaste chantier.
Avant d’élaborer ce programme, il est essentiel de définir ces besoins, de lancer les études nécessaires, de fixer les délais et d’évaluer et mobiliser les moyens financiers requis. Des pays nous montrent chaque jour la voie à suivre, à l’instar de l’Espagne qui engage plus de 23 milliards d’euros d’un coup pour faire face au stress hydrique induit par le changement climatique.Haut du formulaire
En outre, il incombe au gouvernement de mettre en œuvre ces politiques économiques visant à favoriser la croissance économique, à réduire les inégalités sociales et à assurer la stabilité financière. Son action doit être un processus dynamique et pluri facette, répondant à ces besoins et aux défis de la société dans son ensemble, afin de promouvoir un développement dont l’objectif ultime est d’améliorer le bien-être de tous.
Les programmes associés relèvent par ailleurs de la responsabilité de l’Etat, qui doit être le chef d’orchestre et le maitre d’œuvre. En ayant le contrôle total sur les richesses du pays, qu’il exploite à sa guise, lui impose d’être le moteur de la relance et de la croissance de l’économie à travers une stratégie d’investissement publique.
Le pouvoir est contraint quant à lui d’adopter une posture d’agent économique, tandis que l’Etat doit, en plus de rôle de régulation largement reconnu, jouer le rôle d’investisseur afin de créer des emplois, de la richesse, et de lutter contre la pauvreté et les inégalités. Tenter d’échapper à cette responsabilité et justifier son inertie dans le domaine économique, en prétendant être seulement responsable du rôle de régulation, serait une escroquerie.
Son rôle doit donc être caractérisé, sur le plan économique et sur le plan social, par un interventionnisme suffisamment fort pour promouvoir une croissance économique intensive et accroître l’efficacité économique. Cela implique l’allocation des ressources, la planification du développement, la programmation et le pilotage de projets structurants. Il n’y a rien de mal à recourir à l’endettement à des fins d’investissement lorsque cela s’avère nécessaire. Le désendettement n’est pas toujours synonyme de la bonne santé économique ; dans certains cas, il reflète plutôt l’inertie du pouvoir.
En conclusion, la gouvernance en Algérie semble marquée par un mode de fonctionnement similaire à celui des anciennes républiques soviétiques d’avant l’effondrement du mur de Berlin. Hanté par la crainte d’un soulèvement des populations séduites par le mode de vie dans les pays démocratiques, le pouvoir concentre ses efforts sur la surveillance et le contrôle policier de ses citoyens, oubliant que gouverner consiste à prévoir et à anticiper, en étant légitime.
Aussi, les actions entreprises jusqu’à présent sont loin de répondre aux besoins réels de la population. La détresse sociale et le marasme économique persistent, tandis que la répression politique et la centralisation du pouvoir continuent d’étouffer toute tentative de changement. Pour véritablement relancer l’économie et améliorer les conditions de vie, il faudrait impérativement adopter une approche plus inclusive, caractérisée par un investissement public ambitieux et un engagement pour une meilleure écoute de la société et un approfondissement de la démocratie.
Hamid Ouazar, ancien Député.