Les signes avant-coureurs d’une catastrophe écologique imminente se multiplient à une cadence effrayante. Les tempêtes dévastatrices, les incendies incontrôlables, les sécheresses prolongées, la fonte des calottes glaciaires, la montée des températures et du niveau des océans ne sont que les prémices d’une ère de chaos climatique qui pourrait rendre certaines régions de la planète inhabitables.
Sauver la planète n’est pas seulement une question de justice et de responsabilité envers les générations futures, mais une question de survie.
Depuis leurs indépendances, les pays du Sud sont enlisés dans une lutte incessante contre le sous-développement, affrontant quotidiennement les défis de la survie, de la pauvreté, de l’éducation et de la santé.
Ces batailles, qu’ils n’ont jamais réussi à vaincre pleinement, constituent un fardeau perpétuel sur leur chemin vers une vie descente de leurs populations. Aujourd’hui, ces nations, déjà vulnérables, se retrouvent accablées par une nouvelle menace : la contrainte environnementale imposée par l’irresponsabilité des grands pollueurs de la planète.
Les coûts colossaux de la transition écologique, combinés à une inflation inévitable à court et moyen terme conséquence de l’abandon progressif des énergies fossiles moins coûteuses, s’ajoutent à une situation d’endettement généralisé. Ce qui contribuera à creuser sans nul doute l’écart de développement avec le Nord.
De nombreuses études démontrent les impacts négatifs de la transition écologique sur l’emploi (étude de l’Université d’Oxford, Rapport du Centre pour la Recherche Économique et Politique – CEPR, étude de l’Agence Internationale de l’Énergie – AIE, Étude du Brookings Institution, …), sur la compétitivité (Étude de McKinsey & Co, Étude de la Chambre de Commerce des États-Unis, Rapport de la Commission Européenne, Rapport de l’International Renewable Energy Agency – IRENA, Rapport de l’Institut de l’Énergie de l’University College London – UCL, ) et sur la croissance économique (Étude de l’Institut de l’Énergie de l’Université de Cologne, Rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques – OCDE, Rapport du Forum Économique Mondial – WEF, Rapport de l’Institut de l’Énergie de l’University College London – UCL, …).
Ainsi, parler de « croissance verte » dans ce contexte semble une douce illusion ; il serait plus honnête de parler de « croissance sous contrainte », terme qui reflète la réalité d’une croissance inférieure à celle d’un monde non contraint. Les ambitions légitimes des pays du Sud pour un développement économique sont sacrifiées, étouffées sous le poids des exigences écologiques avec leurs normes environnementales, creusant davantage les inégalités globales et compromettant leur droit fondamental à un avenir meilleur.
Les racines de l’injustice
Historiquement, les nations industrialisées ont bâti leur richesse sur une exploitation effrénée et inconsidérée des ressources naturelles. Les États-Unis, l’Europe, le Japon, et d’autres puissances développées ont, durant des siècles, pollué l’air, la terre et les eaux sans jamais rendre de comptes.
Aujourd’hui, parvenues à un développement avancé, ces nations cherchent à imposer aux pays du Sud, qui subissent encore les conséquences de cette industrialisation destructrice, des politiques et des normes environnementales strictes et contraignantes, freinant ainsi toute perspective de croissance économique.
Cette asymétrie historique engendre une injustice éclatante. Les pays du Nord Global, ayant érigé leurs économies sur des pratiques écologiquement destructrices, imposent désormais des normes environnementales sévères aux pays en développement sans leur fournir les moyens financiers et technologiques nécessaires pour les respecter.
En agissant ainsi, ils privent ces nations du droit de suivre un chemin similaire de croissance et les contraignent à une stagnation économique, rendant presque impossible la réduction de l’écart qui les sépare des pays riches.
L’équilibre délicat
Un examen attentif des réalités économiques et sociales des pays du Sud révèle que la poursuite aveugle de la croissance verte pourrait, constituer un frein significatif à leur développement économique.
Les industries vertes, présentent des caractéristiques spécifiques qui les rendent souvent moins intensives en main-d’œuvre, requérant des compétences techniques très spécialisées, en raison de leur recours massif à l’automatisation et aux technologies de pointe., ce qui peut constituer un frein à l’emploi, impact critique dans des pays à démographie galopante.
Par exemple, les fermes solaires et les parcs éoliens nécessitent un investissement initial important dans des équipements sophistiqués et automatisés. Une fois installés, ces systèmes fonctionnent avec un minimum d’intervention humaine. La maintenance et la surveillance peuvent souvent être réalisées à distance, grâce à des capteurs et des logiciels avancés.
Ainsi, le besoin en main-d’œuvre pour la gestion quotidienne de ces installations est relativement faible comparé à celui des centrales électriques traditionnelles, qui nécessitent un personnel important pour la gestion des opérations, la maintenance, et la sécurité. Il en est de même pour la production de biocarburants.
Des études de cas spécifiques illustrent cette réalité. En Allemagne, la transition énergétique, connue sous le nom d’Energiewende, a conduit à une augmentation significative des énergies renouvelables. Cependant, elle s’est également accompagnée d’une baisse des emplois dans les secteurs de l’énergie fossile sans une augmentation proportionnelle des emplois dans les énergies renouvelables.
Une analyse du marché de l’emploi montre que les emplois créés dans le secteur des énergies renouvelables étaient plus spécialisés et moins nombreux que ceux perdus dans le secteur de l’énergie fossile.
Le passage à une économie verte entraîne, le déclin de secteurs industriels traditionnels qui emploient une main-d’œuvre nombreuse.
La véritable intelligence économique réside dans la capacité à équilibrer les exigences écologiques avec les impératifs de croissance, en tenant compte des particularités et des priorités de chaque pays. Imposer des orientations vertes dans chaque plan de croissance, sans considération des contextes locaux, revient à imposer un carcan dogmatique qui exclut toute solution optimale adéquate et nécessairement flexible pour répondre aux besoins urgents des populations du Sud.
Il est temps de reconnaître que l’application uniforme de politiques vertes, sans une adaptation contextuelle et une flexibilité pragmatique, risque de perpétuer les inégalités mondiales et d’entraver le progrès des nations les plus vulnérables.
Le développement étouffé
Pour les pays du Sud, la croissance économique n’est pas un simple objectif politique comme dans le Nord, mais une question de survie. Elle est indispensable pour éradiquer la pauvreté, améliorer les infrastructures, offrir une éducation de qualité et des services de santé accessibles. Les normes environnementales, aussi nobles soient-elles, constituent des obstacles insurmontables pour ces nations en quête de progrès.
Prenons l’exemple de l’Afrique subsaharienne. Cette région possède d’immenses réserves de charbon, de pétrole et de gaz naturel, qui pourraient être exploitées pour stimuler la croissance économique et financer des projets de développement. Cependant, les pressions internationales pour limiter les émissions de carbone et promouvoir les énergies renouvelables freinent cette exploitation.
Les populations locales, qui vivent dans la pauvreté et manquent d’accès à l’électricité, voient leurs espoirs de développement bridés par des normes environnementales dictées par les pays développés, seuls décideurs des agendas mondiaux. Le renforcement inévitable de ces normes constituerait le futur curseur de la désolation et du chaos dans les pays du Sud.
Le fardeau des énergies propres
La transition vers des énergies renouvelables représente un défi particulièrement complexe pour les pays en développement. Les infrastructures énergétiques de ces nations sont souvent rudimentaires et dépendent largement des combustibles fossiles. Passer à des sources d’énergie plus propres nécessite des investissements massifs, des technologies avancées, et une expertise technique qui font cruellement défaut.
Prenons le cas de l’Inde, un pays confronté à une demande énergétique exponentielle due à sa croissance démographique et industrielle. La pression internationale pour réduire les émissions de carbone pousse le gouvernement à investir dans l’énergie solaire et éolienne.
Cependant, ces initiatives, bien qu’encourageantes, ne suffisent pas à répondre aux besoins immédiats de la population et de l’industrie. Le charbon, source d’énergie bon marché et abondante, reste une nécessité économique malgré ses impacts environnementaux dévastateurs.
En Asie du Sud-Est, l’essor industriel et agricole est souvent synonyme de déforestation massive, comme en Indonésie où la culture de l’huile de palme détruit des écosystèmes entiers.
En Afrique, l’exploitation minière, source essentielle de devises, entraîne une dégradation environnementale sévère. Ces activités, vitales pour l’économie locale, sont souvent incompatibles avec les objectifs de durabilité.
L’exemple du Brésil est révélateur. La pression mondiale pour protéger l’Amazonie entre en conflit direct avec les besoins économiques des populations et des industries agricoles et minières.
Sans alternatives économiques viables et un soutien international substantiel, le pays se trouve dans une impasse où la protection environnementale menace directement la croissance économique.
Les conséquences sociales et économiques
L’imposition de normes environnementales strictes a des conséquences sociales et économiques dévastatrices. En freinant le développement industriel, ces normes réduisent les opportunités d’emploi et entravent la création de richesse. Les gouvernements, incapables de générer des revenus suffisants, peinent quasiment tous à financer les services publics essentiels tels que l’éducation, la santé et les infrastructures.
En Inde, par exemple, la pression pour réduire la dépendance au charbon et passer aux énergies renouvelables menace des millions d’emplois dans les régions minières. Les communautés locales, qui dépendent de l’industrie du charbon pour leur subsistance, se retrouvent sans alternative viable. Le passage à une économie verte, sans un soutien adéquat et une planification minutieuse, risque d’exacerber les inégalités et d’aggraver la pauvreté.
Une impasse inévitable ?
L’équilibre entre croissance et durabilité semble donc être une chimère pour de nombreuses nations en développement. Les exigences de la transition écologique risquent de les condamner à une stagnation économique, voire à un recul, amplifiant ainsi les inégalités globales. Les engagements internationaux, tels que l’Accord de Paris, bien qu’essentiels, ne tiennent pas toujours compte des réalités locales et des sacrifices qu’ils imposent aux plus vulnérables.
L’illusion de l’universalité des solutions vertes
L’une des grandes erreurs de la pensée économique contemporaine réside dans l’idée que les solutions vertes, appliquées uniformément, sont bénéfiques pour tous les contextes. Les économies en développement, majoritairement caractérisées par des infrastructures insuffisantes, des institutions fragiles et une dépendance aux ressources naturelles, se trouvent confrontées à un dilemme cruel : comment peuvent-elles aspirer à une croissance rapide pour répondre aux besoins immédiats de leurs populations, sans compromettre la durabilité environnementale, vitale pour la survie de la planète et sachant que freiner la croissance au nom de la durabilité risque de plonger des millions de personnes dans la précarité ?
Cette interrogation, qui doit hanter tous les décideurs responsables, trouve souvent une réponse désespérément pessimiste : l’équilibre entre croissance économique et durabilité environnementale semble inatteignable pour de nombreux pays du Sud.
Une nouvelle approche éthique est possible
Pour surmonter ces injustices, une nouvelle approche éthique et pragmatique est indispensable. Le changement climatique ne connaît pas de frontières. Il ne s’arrête pas aux douanes et il ne demande pas de visa.
Le coût de l’inaction est trop élevé. Il ne peut être mesuré en dollars, mais en vies humaines, en espèces perdues et en écosystèmes détruits. Les pays développés doivent reconnaître leur responsabilité historique et actuelle dans la dégradation de l’environnement mondial en supprimant la dette des pays du Sud à faible impact environnemental, et assumer une part plus équitable du fardeau de la transition écologique.
Premièrement, il est impératif d’augmenter les financements pour le développement durable. Les promesses doivent être transformées en actions concrètes, avec des mécanismes de financement accessibles et transparents. Les technologies vertes doivent être partagées librement, sans les barrières de propriété intellectuelle qui en limitent l’accès.
Deuxièmement, les normes environnementales doivent être adaptées aux réalités locales. Une approche uniforme est inadaptée et contre-productive. Il est nécessaire de développer des standards flexibles, qui tiennent compte des contextes économiques, sociaux et environnementaux spécifiques de chaque pays. Cela implique une coopération étroite entre les nations, les organisations internationales et les acteurs locaux pour définir des objectifs réalistes et atteignables.
Troisièmement, les pays développés doivent cesser de dicter des règles sans offrir les moyens de les respecter. Ils doivent, au contraire, devenir des partenaires engagés dans un dialogue ouvert et constructif, visant à construire un avenir où le développement et la durabilité ne sont plus en opposition, mais progressivement en harmonie dans le temps.
En définitive, l’impératif écologique, imposé sans discernement aux pays du Sud par le Nord, risque de condamner de nombreuses nations en développement à une stagnation économique insoutenable.
La transition vers une économie verte, bien que vitale pour la survie de la planète, ne peut se réaliser au détriment des aspirations légitimes des pays du Sud.
Ces pays, encore englués dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités, se voient freinés par des normes environnementales rigides qui menacent de perpétuer leur dépendance et leur précarité. Il est essentiel de reconnaître que l’universalité des solutions vertes est une utopie ; seules des politiques adaptées aux réalités locales et soutenues par une coopération internationale juste et équitable permettront de concilier à terme croissance et durabilité.
Ould Amar Yahya
Economiste, banquier et financier