20 avril 2024
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Le tamazight en Algérie évolue dans des conditions sociolinguistiques malheureuses

Débat

Le tamazight en Algérie évolue dans des conditions sociolinguistiques malheureuses

Il faut commencer par donner un sens « pur » aux mots que nous utilisons, à commencer par le vocable « tamazight ».

Il convient d’abord de ne pas comprendre celui-ci au sens de standard, de « norme commune » à tous les dialectes et parlers berbères d’Algérie. Ce standard n’existe pas encore !

Ce vocable (et ses dérivés : amazigh, Imazighen) est l’exact équivalent du terme français « berbère », c’est  un terme générique qui subsume tous ces géolectes algériens. Il n’est donc pas faux de dire le « tamazight de Kabylie, des Aurès, du Mzab…etc. Par ailleurs, ce vocable prend petit à petit la place de l’équivalent français dans la littérature scientifique et politique, du moins en Algérie.

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Voilà pour le sens du terme !

Cette langue est bien réelle, bien vivante à travers ses divers usages géographiques, dont certains restent inconnus cependant. Du point de vue sociopolitique, cette langue a connu deux types de statuts: de 1962 à 1990, elle était tout simplement niée et interdite ; de 1990 à nos jours, elle est  plus tolérée que reconnue.

Au cours de cette dernière période, elle  a évolué et évolue encore dans des conditions politiques et sociolinguistiques malheureuses’: le terrain où elle évolue est miné de partout par des manipulateurs d’ordre politique et « scientifique ».

Du côté politico-idéologique, les manipulations se situent aussi bien du côté du pouvoir en place que dans l’opposition politique et la « société civile », en général.

Pour répondre aux discours d’une certaine opposition qui fait  de « tamazight » son cheval de bataille favori surtout au moment des élections et son fonds de commerce porteur, le pouvoir répond par d’autres discours aussi mensongers que manipulateurs.

Ces derniers temps, en réponse aux revendications incessantes et périodiques émanant de la Kabylie, on entend de la bouche de hauts responsables du pouvoir dire que « Nous sommes tous d’origine amazighe….mais sommes arabisés par l’islam ». Quels mensonges !

Primo, l’islam n’arabise pas partout, voire pas du tout (du moins culturellement et « identitairement »), il suffit de savoir qu’il y a des centaines de millions de Musulmans non arabes de par le monde pour s’en rendre à l’évidence des faits ; il y a même plus de Musulmans non arabes que d’Arabes musulmans.  

Secundo, dans les pays d’Afrique du nord même, tout le monde n’est pas « arabisé par l’islam », puisqu’il y a bien des millions de berbérophones …musulmans !

Tertio, comment sait-on que les berbérophones sont « minoritaires » et que « les Amazighs d’origine … arabisés par  l’islam » sont « majoritaires » ? En l’absence d’enquêtes et de recensements linguistiques sérieux, comment saurait-on qui est quoi dans ce pays ? Y a-t-il (eu) un recensement ou une enquête  linguistique  en Algérie d’après 1962 que nous ne connaissions pas ?

Quarto, il convient de distinguer entre Arabes et « arabisés linguistiquement ». Ne confondons pas « langue » et « identité » d’un peuple. Doit-on ouvrir le débat, de préférence serein et dépassionné, autour de la question maintenant ? Je pense que oui. D’abord, qu’en pensent les Arabes du Golfe, les Arabes de souche ?

Puis le problème d’identité (d’un peuple) lié à la perte de la langue vernaculaire n’est pas propre aux Maghrébins. Il existe partout ailleurs. A titre d’exemple, les Ecossais et les Irlandais qui ont perdu leurs langues vernaculaires, n’ont cependant pas perdu leurs identités respectives, même s’ils parlent aujourd’hui l’anglais.

Notre propre histoire est riche d’exemples édifiants d’où l’on peut et doit tirer des enseignements utiles à la construction du vivre ensemble en Algérie. Les militants du Mouvement National ont, pendant des décennies, utilisé le français – langue des Français …et du colonialisme – pour combattre l’ennemi, c’est-à-dire le colonialisme français. Les textes fondateurs du FLN (1954-1962) ont été rédigés dans cette langue.  Par ailleurs, beaucoup de nos intellectuels francophones (les Amrouche, Dib, Mammeri, Kateb)  ont très tôt su distinguer entre la langue française, qu’ils utilisaient et maîtrisaient pourtant à merveille, de leur identité individuelle et collective.  

Il n’est donc pas trop tard pour les Arabophones maghrébins de « retourner aux sources », d’opérer la distinction entre la langue arabe (classique) et l’identité amazighe, de se lancer dans les études de « l’arabe maghrébin » et dans son enseignement. Je crois que l’islam incite les personnes et les peuples  à « retourner à leurs origines ».    

Depuis les années 1990, certaines sphères du pouvoir central n’ont pas admis l’idée de  l’existence officielle du tamazight (langue, culture ) en Algérie, que d’autres en revanche, ont fini par admettre en proposant, dans le cadre de la « réconciliation nationale globale », le triptyque :Islam-arabité-amazighité ;  éléments composant l’identité algérienne. Mais même au niveau de ce triptyque, l’on constate qu’il y a mensonge et manipulation au niveau de sa formulation et ailleurs. Ainsi, selon les faits historiques attestés, l’amazighité précède aussi bien l’islam que l’arabité. En outre, dans le Préambule  de la Constitution de 2016, l’Algérie est « une terre arabe » et, ailleurs dans ce même Texte de Loi, le tamazight ne figure pas dans les « constantes nationales ».

Dans l’enseignement, le tamazight commence à partir de la 4ème année, c’est-à-dire après l’arabe et même le français .Cela nous renseigne bien sur le statut que l‘Etat algérien accorde à cette langue « tertiaire ».

Par ailleurs, il est considéré comme une matière facultative, laquelle est interchangeable avec d’autres matières « non importantes » comme la musique. Au lieu d’y remédier le plus vite possible, le pouvoir s’en défend en jouant sur des statistiques, en exhibant le nombre d’enseignants, d’enseignés, ou en arguant que « le tamazight est enseigné dans 20, puis 38 wilayas ».

La réalité est que dans certaines de ces wilayas, il n’y a que quelques postes (moins de 10) et que certaines directions de l’éducation et les parents d’élèves font tout pour bouder cet enseignement …facultatif, en s’appuyant sur ce texte réglementaire émanant du MEN et en présentant à qui de droit des dispenses légalisées (pour ne pas suivre cet enseignement).

Du côté de l’opposition en Kabylie et dans d’autres régions, on ne se remémore vraiment du tamazight qu’à l’occasion de certaines dates de l’année : 1er yennayer, 20 avril…etc.

Mis à part quelques individus et associations culturelles, on peut dire sans risque de nous tromper que ni les partis politiques, ni les syndicats, ni les organes élus (APC, APW), ni les entreprises publiques et privées… ne s’y intéressent. On notera, par exemple, qu’au niveau de la présence graphique, seules les institutions de l’Etat accordent un tant soit peu de considération à cette langue (inscriptions, enseignes, frontons en tamazight). Les entreprises privées, les particuliers, les villages ne semblent pas être du tout concernés par la présence de cette langue dans leur environnement.

Autre fait important ! Certains parents d’élèves, militants ou responsables de partis, élus et autres personnes relevant de la petite bourgeoisie (comme les grands commerçants, les profs, les médecins, les pharmaciens, …) ne transmettent même pas (à la traditionnelle) cette langue à leurs progénitures ; ils les dissuadent à pratiquer cette langue, à suivre cet enseignement, même lorsqu’il existe.

Voyons maintenant l’aspect scientifique.

Les Départements amazighs de Kabylie sont encore jeunes : leur naissance remonte au début des années 1990.  En si peu de temps (1/4 de siècle), ils ne peuvent absolument pas répondre à toutes les questions que pose cette langue, son enseignement et son aménagement, laquelle langue est de tradition orale depuis toujours. L’heure est à la formation à l’emploi (enseignement, communication) et à la recherche. Il est regrettable cependant de constater qu’ils souffrent de certains maux : manque de responsabilité et de conscience professionnelle, manque de formation rigoureuse, absence d’esprit d’équipe et embourgeoisement des jeunes enseignants.

À l’extérieur de ces DLCA, il y a d’autres intervenants. Ce sont, en général, des Algériens qui ont fait des études universitaires, mais dans des domaines  autres que le domaine amazigh. Ces intervenants n’ont, en général, rien donné à cette langue durant leur carrière: ni encadrement (mémoires, thèses), ni publications (articles, ouvrages). Ils sont,  néanmoins,  nommés aux postes de responsables d’institutions y afférant et, curieusement, ils sont tout le temps sollicités par la presse écrite et audiovisuelle algériennes pour donner leurs opinions.

On a vu et entendu certains parler du tamazight, de sa graphie, de son enseignement, de son aménagement, alors qu’ils n’ont rien ( ou très peu) à avoir avec le tamazight, puisqu’ils ne le pratiquent même pas à l’oral, n’ont fait aucune étude académique, ni enquête de terrain ; n’ont obtenu aucun diplôme requis ; certains ne connaissent même pas la phonétique et la phonologie de la langue.

Dans leurs OPINIONS (VERSUS études ou analyses), ils commettent des erreurs graves de méthodologie ; on détecte des manquements inexcusables à l’éthique, à la probité et à l’honnêteté intellectuelles. Du coup, ils se comportent  plus en experts ou en « hommes de science », mais comme des idéologiques. Au lieu du savoir, ils étalent au contraire leur ignorance (de la question).

Comment, par exemple, ose-t-on parler de standardisation-normalisation d’une langue, le tamazight, en l’occurrence, alors qu’on est très loin (du cœur et de l’esprit) de cette langue, de ses usages, de sa pratique à l’oral et à l’écrit, de son enseignement, de sa standardisation-normalisation ?  

À titre d’exemple, la polygraphie qu’ils ont fini par imposer en Algérie est une création pure et simple de ces intervenants, de certaines sphères du pouvoir central et de ses relais médiatiques. Cette question du caractère arabe imposé au tamazight …n’a pas existé avant la fin des années 1990 !!! C’est le MEN en effet qu’il l’a lancé à travers les médias, qui l’a inscrit dans les manuels scolaires pour la première fois. Tout le monde sait qu’il n’y avait aucune tradition, aucune pratique sociale de l’écrit amazigh  à base de l’alphabet arabe, ni en Kabylie, ni ailleurs (Aurès, Mzab). La preuve en est qu’il n’existe pas de documents écrits sur cette base. S’il n’y pas (eu) de pratique sociale, pourquoi mentir au public ?

Comment ose-t-on parler de « monstre linguistique », de « Novlangue », d’échecs scolaires avant même de faire des enquêtes auprès des concernés (enseignants et enseignés) ?

Comment ose-t-on parler de parlers amazighs en voie d’extinction en l’absence totale d’enquêtes et de statistiques ?  Comment savent-ils que tous les néologismes ne sont ni reçus, ni appréciés, en l’absence d’enquêtes sociolinguistiques auprès des usagers concernés?

Puisqu’il  n’y a aucun recensement, aucune enquête sociolinguistique en Algérie, par conséquent, nous ne savons pas : combien de personnes parlent le chaoui (le chaoui et l’arabe) le kabyle (le kabyle et l’arabe), le mozabite, le  … en 2017 ? En l’absence de ces données du terrain, comment saurait-on si un parler est encore vivant ou, au contraire, se meurt à petit feu ?

Il reste un dernier point important à soulever. Il est toujours préférable de se faire une opinion sur la base de faits (historiques, sociaux, sociolinguistiques) réels et attestés, des données du terrain.  La « condition amazighe » est qu’on le veuille ou non, est née en Kabylie et elle est encore portée comme un fardeau (d’autres diront : malédiction) par cette région – aujourd’hui, il est vrai, en partage avec d’autres régions, voire d’autres nations.  Ce n’est donc pas par hasard ou par allégeance au pouvoir central que tout (ou presque) se meut dans cette région. Ne pas reconnaitre ce fait équivaut simplement à ne pas avoir du tout le sens de l’histoire.

Aujourd’hui, certains Berbères haineux posent, quelquefois à demi mot,  le problème de la « kabylisation » du tamazight, au motif que ce sont les Kabyles qui enseignent le « tamazight » dans d’autres régions du pays.  

Il est préférable de s’accuser soi-même, avant de stigmatiser et de diaboliser cette région à chaque fois. Encore une fois, et au risque de me répéter ici, on se doit de ne pas déranger les personnes et les groupes qui travaillent. Sinon pourquoi est-ce que les bacheliers amazighs issus d’autres régions n’ont pas rejoint les DLCA de Kabylie pour être d’abord formés  à l’enseignement du « tamazight » et rejoindre  ensuite leurs régions d’origine pour  y répandre  leurs variétés (autres que le kabyle)?  

Kamel Bouamara

Enseignant chercheur à l’université de Bejaia. 

Il est aussi l’auteur d’un dictionnaire monologue « Issin  » et de plusieurs traduction comme « Jours de Kabylie » de Mouloud Feraoun. Il a fait partie de l »équipe qui a amélioré les règles d’orthographes correctes « ilugan n tira » de  la langue amazighe.

Auteur
Kamel Bouamara

 




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