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L’énigme Yennayer ou questions aux Algériens…

Contribution de Noureddine Boukrouh

L’énigme Yennayer ou questions aux Algériens…

Yennayer m’a plongé cette année dans des méditations que j’aimerais partager sans façon avec les lecteurs. Ça fait tout bizarre de s’entendre dire qu’on est en l’an 2968, car très rares sont les civilisations dont le calendrier en vigueur dépasse le calendrier berbère. A regarder de près le chiffre, on croirait à un film de science-fiction.

C’est comme si nous étions en avance d’un millénaire sur le monde moderne. Comment avons-nous fait pour nous mettre en tête de la marche d’Homo sapiens, démarrer dans l’Histoire avant les autres, et les distancer d’un millénaire ? Nous serions-nous redressés avant Homo erectus ? J’ai demandé autour de moi, personne ne se souvient l’avoir jamais lu quelque part ; j’ai compulsé de vieilles encyclopédies, cherché sur internet, sans trouver la moindre allusion à une échappée des Amazighs à une époque ou une autre de l’évolution biologique, anthropologique ou technologique. Ils n’ont ni migré comme ils le font aujourd’hui, ni conquis d’autres territoires, ni changé le cours de l’Histoire à aucun moment.

La théorie de l’espace courbe et de la possibilité d’emprunter les trous de ver pour comprimer le temps n’était pas connue avant le XXe siècle et Einstein non plus. Mais qu’avons-nous fait de cette belle avancée chronologique sur les autres civilisations ? Car quand on efface de notre géographie, par l’esprit, les vestiges de la présence française, ottomane, arabe et romaine, il ne reste pratiquement rien sinon l’œuvre généreuse de la nature. On n’a rien bâti, rien élevé, rien découvert sur le plan scientifique, rien inventé en matière de techniques.

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L’inventaire de nos biens ancestraux entre savoir-faire, outils, vêtements et plats de cuisine issus de notre génie ne remplirait pas plus de quelques pages d’un cahier scolaire. Nous savons que nous sommes arrivés pieds nus au XXe siècle et que le désir le plus cher d’une bonne partie de notre peuple est de retourner en claquettes non pas à une date quelconque de l’ère chrétienne, ni à l’an 1437 du calendrier lunaire musulman, mais à l’époque d’Abou Hurayra et peut-être même à avant l’Hégire.

En 2966 du calendrier universel, c’est-à- dire dans 950 ans, l’humanité aura très certainement colonisé plusieurs planètes, l’être humain ne ressemblera plus à celui que nous sommes et il est impossible de prédire ce que seront le système solaire, la galaxie et l’univers. Tous les progrès technologiques à la base de la vie actuelle n’existaient pas il y a une cinquantaine d’années et s’ils devaient disparaître, l’humanité sombrerait immédiatement dans le chaos.

Rappelons-nous où elle en était en l’an 1066. Non, c’est trop pour nous d’être tellement en avance ; on ne retrouvera pas notre chemin même avec les pierres du Petit Poucet si on voulait rebrousser chemin pour rejoindre les «retardataires». Je suis personnellement très gêné car on n’a pas le profil de précurseurs, de pionniers, d’explorateurs. On devrait remettre nos pieds sur terre, rester dans la meute, ça flanque la frousse d’être si en pointe, ça paraît extraterrestre tout ça… Il n’y aurait pas là-dedans un tour de Djouha ?

Le sieur Belahmar ne pourrait-il pas nous illuminer grâce à son don de double vue ? Notre passé pèse sur notre présent comme un péché sur la conscience. Notre ancienneté sur-souligne notre insignifiance dans l’Histoire étant donné que nous n’avons rien fait de significatif pour nous-mêmes ou pour l’humanité dans cet intervalle. Trois millénaires pour rien ! Notre Histoire semble concentrée dans les derniers trois quarts de siècle, remonter au 8 mai 1945 et devoir s’achever avec la fin du pétrole. Jusque-là elle était une queue de comète faite de souvenirs de nos démêlés avec un occupant ou un autre.

Depuis le Congrès de la Soummam on la connaît un peu mieux : elle est celle de nos démêlés avec nous-mêmes. Après les écœurantes révélations sur les coulisses de la Révolution qui filtraient de temps à autre depuis l’indépendance, voilà que le voile commence à se lever sur la période allant de 1988 à 1992 et bientôt au-delà probablement. De savoir par qui et comment nous sommes dirigés donne une idée des causes de notre non-historicité, de la légèreté de notre passé et de la fragilité de notre présent. Le navire «Algérie» a été arraisonné par des pirates qui en ont pris les commandes et qui sont plus près de le couler que de le rendre à ses propriétaires.

C’est heureux que ces hommes s’expriment enfin sur leurs rôles respectifs dans les crises dramatiques connues par le pays. Selon Betchine, Zéroual n’a pas démissionné mais a été forcé de quitter son poste. Il doit continuer sur sa lancée, ça m’intéresse moi dont le nom a été associé depuis près de vingt ans au départ du Président Zéroual. J’ai beau répéter que je n’y étais pour rien, que les raisons de son départ devaient être cherchées «entre eux», une certaine presse et quelques hobereaux jouant aux «bien informés» ont persisté à soutenir mordicus que j’y ai joué un rôle. Ça s’est vu dans l’histoire de l’Algérie qu’un ministre et encore moins un Président démissionne parce que critiqué dans la presse ?

La plume est capable de faire tomber quelqu’un en Algérie ?

Ça semble long 54 ans, mais un des hommes qui ont joué un rôle dans les coulisses de la guerre d’Algérie est aujourd’hui encore à la tête du pays. Highlander ! L’Algérie et lui sont aujourd’hui dans le même état : lui sur un fauteuil roulant, elle sur une table de réanimation. Sous son règne, la Constitution est devenue une loi faite par un homme au nom du peuple pour se prémunir contre les contestations de ce même peuple. Au terme des retouches à laquelle elle va être soumise, la politique, le vote populaire, la majorité parlementaire ne serviront plus à rien. Le temps n’a pas suspendu son temps pour Lamartine, pour l’Algérie si, depuis 2968 ans.

Qu’est-ce que ça change pour nous d’être en l’an 1 de l’histoire humaine ou en 3966 ? A lui seul Boutef a bouffé notre histoire moderne. Peut-être qu’après lui on n’aura plus d’histoire du tout parce qu’on sera ensevelis sous les histoires qu’il nous aura léguées.

J’ai posé il y a peu une question qui a fait fureur : «Et si toute l’Algérie avait été la Kabylie ?». Grisé par le succès, j’aimerais en rajouter : «Et si tous les Algériens avaient été des Kabyles ?»

Un premier avantage serait qu’il n’y aurait plus de raisons de demander l’indépendance de la Kabylie. Un deuxième, c’est que nous deviendrions unanimes à vouloir nous défaire du pouvoir qui a poussé bon nombre de Ferhat Mehenni à se jeter dans le séparatisme.

L’Algérie gardera-t-elle son nom dans ce cas ou le troquera-t-elle contre celui de la Kabylie ? La langue amazighe est parlée en Kabylie, dans les Aurès, à Cherchell, à Ghardaïa, dans le Hoggar, mais pas ailleurs. Ces îlots où une même langue maternelle est parlée ne sont curieusement pas frontaliers, des centaines de kilomètres, voire des milliers les séparent et pourtant tamazight y est parlé depuis toujours à quelques variantes près. Comment expliquer que la dispersion géographique n’ait pas empêché l’unité linguistique ? Par contre Jijel, Sétif, Bordj-Bou-Arréridj et Alger sont frontaliers avec la Kabylie mais on n’y parle pas kabyle ou extrêmement peu. Pourquoi ? Que parlaient les autres régions du centre, du sud, de l’est et de l’ouest du pays avant l’introduction de la langue arabe à partir du VIIIe siècle et de la «daridja» en laquelle elles l’ont transformée par la suite ? Le latin ? Des langues vernaculaires disparues? Ne parlaient-ils pas du tout, ce qui expliquerait le fait étrange que beaucoup d’entre nous s’expriment avec des onomatopées, des gestes ou carrément le visage dont on arrive à soumettre les traits à des contorsions qui permettent de communiquer ce qu’on veut : moues, grimaces, œillades, jeu de paupières, plissements du front, joues malléables, lèvres élastiques… Autre hypothèse : les régions non-berbérophones n’étaient-elles pas tout simplement inhabitées ? On avait une seule langue officielle et une autre officieuse, le français ; nous voilà avec deux langues officielles.

Qu’est-ce qui va changer ? Quelle religion suivaient nos ancêtres avant l’Islam ? Etions-nous, en l’absence de traces de l’hindouisme, du brahmanisme et du bouddhisme dans nos contrées, juifs, chrétiens, païens ou, comme on dit dans notre parler courant, bla din wala mella» ? Ali Al-Hammamy a brossé dans son roman Idris un portrait spectral de nos ancêtres avant leur intégration à l’Islam : «Le Berbère était demeuré tel que la nature l’avait façonné au seuil de la formation des premières collectivités humaines. Il vivait dans la vie de la tribu. Individualiste malgré sa soumission aux lois du clan, anarchiste par caractère aussi bien que par tempérament, épris de liberté jusqu’à préférer les risques de la vie primitive à l’abondance et à la sécurité des sociétés organisée, le Berbère, jusqu’à l’apparition de l’Islam, vivait sans ordre et sans hiérarchie. Ceci bien entendu dans l’ensemble. Païen, il n’a jamais sérieusement cru à quelque chose, ni craint quelqu’un. Vaguement naturiste, spectateur indifférent des phénomènes qui l’entourent, impulsif et méfiant, sa vie religieuse n’a jamais pu se matérialiser dans un système tant soit peu ordonné. S’il a sacrifié aux idoles ou adoré les formes de la nature, sa conviction n’a pas été de quelque force pour que l’archéologie ait pu nous restituer des preuves sensible de sa dévotion…»  

Nous avons longtemps cru être des Arabes et une partie intégrante du monde arabe comme continuent de l’affirmer le discours et des documents officiels. Depuis quelques décennies, nous nous réveillons à notre amazighité et rêvons de la couronner par l’édification de Tamazgha, union des pays d’Afrique du Nord boostés par le recouvrement de leur identité historique, souveraine, solidaire et capable de réussir là où a échoué l’Union du Maghreb arabe (UMA). Comme ont fait les pays de la péninsule Arabique avec le Conseil de coopération du Golfe. Car le monde arabe, jadis colonisé ou placé sous mandat, est entré dans un nouveau cycle, celui de son autodestruction. C’est concevable avec ou sans le problème du Sahara occidental ? Administrativement et juridiquement nous sommes un seul peuple, mais mentalement et culturellement nous sommes plusieurs peuples, parfois étrangers les uns aux autres. «Les peuples ne sont pas des unités linguistiques, politiques ou zoologiques, mais des unités psychiques.

Le peuple est une unité de l’âme. Tous les grands événements de l’Histoire n’ont pas été proprement l’œuvre des peuples, mais ils ont d’abord produit ces peuples. Ni l’unité de la langue, ni celle de la descendance physique ne sont décisives. Ce qui distingue un peuple d’une population, c’est toujours l’avènement intérieur du NOUS. Plus ce sentiment est profond, plus vigoureuse est la force vitale de l’association.» Cette définition due au philosophe allemand Oswald Spengler est l’une des meilleures et des plus justes qui aient été données de la notion de peuple. Elle propose à notre réflexion une perspective nouvelle qui recoupe la réalité des grandes nations du monde où le désir de vivre ensemble et le réaliser-ensemble sont effectivement les plus forts ciments de l’union. Mais ne va-telle pas à contre-sens de nos nouvelles convictions ? La question est posée. 

Auteur
Noureddine Boukrouh

 




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