AccueilIdéeL’entrepreneur algérien : le mendiant au registre de commerce !

L’entrepreneur algérien : le mendiant au registre de commerce !

REGARD

L’entrepreneur algérien : le mendiant au registre de commerce !

« Yades » est une émission ludique et journalière diffusée sur la chaine 3. Très populaire, elle est animée par le talentueux Mehdi. Il pose des questions et les auditeurs tentent de trouver la réponse. Ils appellent le standard et la communique à l’animateur.

Bien qu’attirés par le jeu, la plupart d’entre eux y participent surtout pour avoir le privilège de « taper un brin de causette », qui dure quelques dizaines de secondes, avec leur présentateur fétiche. Il faut préciser que le très sympathique Mehdi en fin psychologue qui excelle  dans l’art de communiquer et doté d’un grand sens de l’humour,  met toute suite à l’aise ses auditeurs et communie avec eux dès les premiers instants.

Il y a quelques jours, il reçoit l’appel d’une auditrice, prénommée Lila ave laquelle il entame une conversation : 

– Bonjour Lila ça va ? dit Mehdi

- Advertisement -

– Comme tout le monde avec le corona, répond Lila.

–  Qu’est ce que vous faites dans la vie Lila ?

–  Je suis salarié.

– Vous êtes marié ? Vous avez des enfants ? 

–  Oui, j’ai trois enfants.

–  Et votre mari, il est gentil ? Il vous fait des cadeaux ? reprend Mehdi sur un ton malicieux.

–  Oui il est gentil. Mais les cadeaux il n’en fait plus tellement maintenant, soupire Lila d’un air résigné.

–  Il fait quoi dans la vie ? reprend Mehdi.

–  Il est entrepreneur, rétorque Lila.

–  Il a de l’argent ? insiste Mehdi.

–  Bouh ! Taleb be registre de commerce ! lance Lila du fond de ses tripes  i.e Bouh ! C’est un mendiant qui possède un registre de commerce 

Et à ce moment-là, éclats de rires de Mehdi, de Lila et probablement de milliers d’auditeurs à l’écoute. C’est une vérité ! Bravo Lila !

Cette dame ne savait pas qu’elle venait de résumer subtilement et simplement en usant  d’un langage populaire, toute la tragédie du chef d’entreprise en Algérie, de la PME et de l’économie en général. 

La situation réelle du chef d’entreprise dans le secteur privé est à des années-lumière des idées et des clichés que l’on s’en fait. La TPE (très petite entreprise qui compte moins de 10 employés) représente 97% du total des entreprises privées. Le plus souvent, elles sont dirigés par leurs propriétaires qui tiennent plus du maquisard (combattant) que de l’homme d’affaires. 

Le chef d’entreprise dans le pays de Barberousse est :

  • très souvent endetté auprès de ses proches, car les banques ne « le suivent pas », il va chercher de l’aide c’est-à-dire du financement là où il peut

  •  toujours à court et à la recherche de liquidités.  

  • toujours en mouvement, il ne s’arrête jamais : week-end, jours fériés ou durant les vacances

  • harcelé sans cesse par ses fournisseurs

  • à la merci et au bon vouloir de ses créanciers surtout quand il s’agit de commandes publiques que les fonctionnaires un peu trop gourmands gèrent en maîtres absolus

  • agressé sans cesse au téléphone et quelquefois physiquement

  • traîné en justice par ses employés à la moindre incartade.

  • sans cesse poursuivi pour émission de chèques sans provisions. Les chèques de garantie, interdits par la loi, il connaît. Il prend le risque. La pression !ne cesse-t-il de marmonner

  • à la merci de ses employés. Il assiste sans sourciller les plus indispensables : il les remplace et leur donne une prime quand ils accompagnent leurs épouses chez le médecin ou que leur fils est baptisé. Gare à lui s’il ne se rend pas à leurs enterrements ! 

  • martyrisé par l’administration fiscale et parafiscale dont les employés se transforment en crocodile à la quête  d’un gnou.

  • terrorisé par le banquier quand il a la chance d’en avoir un. Il vit au rythme d’ATD (Avis à tiers détenteur : blocage de compte) et de chèques rejetés pour insuffisance de provisions aussi insignifiantes  soient-elles

  • constamment dans une posture de coupable avec sa femme et ses enfants pour leur avoir promis une ballade, une sortie à la pizzeria du coin, des vacances un jour prochain, et de ne pas y être parvenu.

  • mis en demeure par sa femme, sa mère, ses enfants, sa parentèle pour avoir été  toujours pressé, pour n’avoir pas eu le temps, pour avoir été absent quand quelqu’un s’est fiancé, ou marié, est tombé malade ou décédé

  • régulièrement en froid avec sa femme et ses enfants parce qu’il a exagérément élevé la voix ce jour où il les a sermonné injustement pour une broutille à son retour à la maison après une sale journée

  • effondré, blessé, triste et indigne lorsqu’il ne peut répondre à la moindre doléance de son adorable petite fille ou que son garçon lui tend l’injonction de la directrice de régler les frais de scolarité demain. Il a honte et ne comprend pas  comment cela se peut-il après avoir tant enduré ? avoir tant payé et donné

  • tourmenté, dans un stress extrême, avant l’aïd, le Ramadhan la rentrée scolaire ou les vacances bien qu’il n’en prenne pas souvent : il doit payer les salaires et les primes qui vont avec. il doit faire preuve d’imagination et avoir du ressort pour satisfaire, tout le beau monde sensé le servir : trouver le fameux cash  alors qu’il n’a pas encore été payé comme il ne cesse de répéter. Les fêtes religieuses sont sacrées et l’école une obligation !

  • celui qu’on abandonne à son sort quand la pandémie survient. Il peut fermer boutique ou ralentir  son activité s’il peut, congédier une partie de son personnel ou la totalité, la mort dans l’âme. Personne n’en a cure.

En somme, c’est un pauvre diable, à la recherche d’un bonheur, d’une aisance ou d’une sérénité qu’il avait cru pouvoir atteindre par son travail, son labeur et son engagement mais malheureusement il réalise à mesure que le temps passe qu’il n’y parviendra  jamais. Il comprend qu’il s’est trompé.

C’est un pauvre mendiant avec un registre de commerce comme nous l’a confié Lila. Les patrons, les vrais, les  riches en Algérie sont ailleurs. Ils  ne s’encombrent pas d’un registre de commerce.

Auteur
Djalal Larabi

 




LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

ARTICLES SIMILAIRES

Les plus lus

Les derniers articles