26 juillet 2024
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Les Algériens et les zéros

L’Algérie est probablement l’un des rares pays qui a pendant très longtemps, même encore aujourd’hui d’une manière moindre, continué à parler en centimes.  

En système décimal, par définition, c’est la valse des zéros. On apprend dans la petite enfance à les lire. Jusqu’à 1 000 nous n’avions pas de difficulté. Puis vient le saut, le gouffre, un espace avec le zéro suivant nous montrait le franchissement qu’il fallait oser pour passer à 10 000.

Lorsque nous sommes parvenus à 100 000, nous étions dans une configuration stratosphérique. Là nous avions atteint un nombre de zéros qui dépassait nos frontières d’imagination vu le prix du chewing gum. Et que dire des salaires des parents ?

Mais le bond de géant, celui qui nourrit tous les fantasmes, celui qu’on disait qu’il fallait plusieurs valises pour le stocker, c’est celui qui a eu le très grand honneur de créer un substantif, le millionnaire. Pour ce qui est du milliard il fallait se référer aux rares richissimes de cette planète.

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Arrivé au milliard, nous étions effectivement dans un monde inconnu, il fallait compter sur ses doigts pour y parvenir car notre esprit ne pouvait concevoir l’irréel. Quant au cours de calcul, vous pouvez imaginer le nombre de fois qu’il fallait recompter le nombre de zéros pour y arriver.

Les Algériens, dont personne n’ignore qu’ils furent sous administration française, ont dû encaisser le choc de la loi Pinay en 1959, entrée en vigueur en 1960, à défaut d’en encaisser les sous.

Le franc laissait place au nouveau franc dit « Franc lourd ». Etonnant de porter un tel qualificatif lorsqu’on passe de cent à un tout petit un. Et sur la fiche de paye, cela paraissait encore moins lourd.

Alors, ce qui devait arriver est arrivé, surtout pour les plus âgés, ils ont continué à parler en anciens francs. Bien entendu que c’était un effet d’habitude mais ce n’est pas faux d’affirmer en même temps que personne ne semblait résolu à perdre deux zéros après avoir trimé au travail pour arriver à en aligner un nombre qui puisse assurer la subsistance.

Pour la première fois le zéro prenait autant de valeur, du point de vue mathématique et monétaire. Il n’y avait que certaines personnes que beaucoup continuaient à traiter de zéro (méchamment) sans qu’elles puissent bénéficier pour autant de sa valeur magique.

Voilà que le dinar arrive et on aurait pensé que les générations passant, le comptage en centimes de dinar allait disparaitre au profit de l’unité monétaire qu’est le dinar. De plus les Algériens ont eu cette chance de pouvoir garder, comme la plupart des pays du monde, à l’exception notoire de la Grande Bretagne, un système décimal.

Pas du tout, les générations suivantes ont continué à parler en centimes de dinar lorsqu’il s’agissait de la communication orale, parfois même en milieu professionnel. La raison de l’habitude ne tenait plus, il fallait trouver l’une de celles dont nous avons parlé lors de l’apparition du franc lourd, soit le refus psychologique de diminuer le nombre de zéros qui grossissait la somme. Une simple illusion mais un rêve éveillé.

Pour les personnes partis à l’étranger depuis longtemps cela était stupéfiant d’entendre leurs visiteurs parler en centimes. La valse des chiffres dont ils nous parlaient nous semblait irréelle. Les millions et les milliards pleuvaient.

La déconnexion avec la réalité algérienne était grande et nous ne pouvions suivre cette montée affolante des chiffres. Alors on a finalement pris l’habitude de supprimer deux zéros dans notre représentation mentale. Puis ensuite on savait qu’il fallait encore supprimer deux autres pour prendre en compte le taux du marché noir.

Dans les premiers temps, nous étions rassurés car cela rendait à l’argent une signification qu’il avait perdue. Mais par la suite, l’explication par la psychologie du nombre de zéros a fini par laisser place à une autre dimension, une autre explication.

L’annonce des prix de l’immobilier, particulièrement des maisons individuelles atteignaient un nombre infini de zéros. L’inflation galopante était réelle mais ne pouvait tout expliquer. Et là, vous vous accrochez en remettant la virgule à sa place pour retrouver l’unité monétaire ainsi que l’effet de la conversion en devises.

Et vous vous apercevez que les deux effets n’existent plus, tout au moins dans la réduction significative des zéros. Il s’agit bien de millions et de milliards dans l’unité monétaire. Un étourdissement vous vient à la lecture des prix.

Rajouter des zéros n’était plus un besoin de créer une illusion mais bien une course à l’ostentatoire. Une folie dans les zéros qui accroissent le gouffre déjà immense entre ceux qui sont restés avec la petite famille de zéros et ceux qui en transportaient par wagons.

Finalement, en Algérie, c’est le zéro qui est sorti vainqueur.

Boumediene Sid Lakhdar

1 COMMENTAIRE

  1. C’est significatif finalement en algerie C’est le Zero qui est resté vainqueur surtout après son grand succè de Zero kabyle, l’inflation identitaire s’annonce rude, si l’import import reste la base de l’économie comme a été le jacobinisme dans la philosophie du système.
    Vaut mieux un centime qu’un dinar comme déjà son nom est importé, c’est logique c’est le 1 vaut un zero, que importe le nombre de zero derrière le zero
    Un corps sans âme n’est qu’un cadavre.

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