2 juillet 2024
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Les damnés de l’exil (II)

Comme aujourd’hui, à l’approche des élections (alors la présidentielle d’avril 2002), le climat s’est tendu et, comme d’habitude, l’immigration devint un thème politique.

Citoyens de banlieues 

C’est une attitude récurrente chez les médias comme chez les politiques. Ainsi, si hier encore on appelait leurs parents « bougnoules », on a pu qualifier les migrants de « racaille » de banlieues (racaille : rebut de la société, personnes viles dixit le Larousse).

Hier encore, on nettoyait au napalm dans certaines colonies ; aujourd’hui, on veut les nettoyer au « karcher ». A telle enseigne que beaucoup se demandèrent si on est bien en présence de la France, Etat de droit et patrie des droits de l’homme et de la démocratie auxquels les jeunes des banlieues ont tant cru ? Et de rappeler que  leurs parents ont défendu la France comme tirailleurs (beaucoup y ont laissé leur vie).

Certes, par la voix de son ambassadeur en Algérie, la France a pu indiquer que les massacres du 8 Mai 1945 à Sétif sont « une tragédie inexcusable » (sic). Il est vrai aussi que, dans le même temps, une loi du 23 février 2005 parle de « rôle positif de la présence française outre mer, notamment en Afrique du Nord ». Certains y ont décelé des relents colonialistes qui sont toujours présents dans certains esprits.

Devrait-on alors parler de discrimination d’Etat ? Y a-t-il là une stratégie concertée en vue d’un rapprochement avec l’extrême droite (voire préparer celle-ci à prendre le pouvoir) ? Hypothèse qui risque de se confirmer à l’avenir comme elle l’a été dans d’autres pays européens (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Italie ; d’autres pays risquent de suivre ce mouvement).

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Car enfin, qu’est-ce à dire que traiter les gens de « racaille », s’agissant notamment des migrants qui vivent dans les banlieues françaises ? Citoyens de ce pays, ils y sont nés, y ont étudié, y payent leurs impôts et règlent leurs cotisations. Ils sont citoyens de ce pays depuis maintenant plusieurs générations. Leurs parents en exil ont dépensé leurs plus belles années pour aider à construire la France d’aujourd’hui.

Ils se trouvent dépouillés du plus élémentaire droit de vote aux municipales tant promis par une gauche qui s’est reniée depuis, laissant le soin à une certaine droite reprendre démagogiquement cette question. Certains pays européens moins illustres que la France l’ont pourtant réglée depuis des lustres.

Dès 1963, lIrlande est le seul pays à accorder le droit de vote aux étrangers aux municipales dans les mêmes conditions que pour les Irlandais et sans durée minimale de résidence.

La Suède, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, l’Estonie, la Slovénie, la Lituanie, la Hongrie et la Slovaquie octroient le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire depuis plusieurs années, entre deux et cinq ans selon les pays.

L’Espagne et le Portugal accordent le droit de vote aux ressortissants de leurs anciennes colonies, sous la condition d’une durée minimale de résidence variable selon les pays notamment. Au Royaume-Uni, il faut être citoyen du Commonwealth pour accéder au droit de vote. La France n’accorde pas encore ce droit à ses « étrangers ».

Il est vrai que l’article 4 de la Constitution française du 24 juin 1793 (jamais appliquée) accordait la citoyenneté « à tout étranger qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité » (La Documentation française)…

Si les ressortissants de certains pays européens n’ont même plus besoin d’avoir un titre de séjour pour leur installation en France (Espagne, Belgique… devenus eux-mêmes pays d’immigration), il reste que les étrangers Africains, Arabes, Berbères, Turcs, Kurdes, Chinois, Vietnamiens vivent dans des banlieues – ou, dans les quartiers périphériques de Paris – subissant souvent de plein fouet le chômage, l’habitat précaire et les échecs scolaires…

Veut-on contraindre cette « racaille » à revoir sérieusement la vision idyllique qu’elle se faisait jusqu’alors de la démocratie française ? Veut-on pousser ces gens vers un désespoir sans fin ? Il est vrai qu’après de bons et loyaux services dans les colonies comme en Métropole, on a pu dire à leur endroit que «la France ne peut accueillir toute la misère du monde» -alors qu’elle a contribué à cette misère- et d’« invasion »…

Chacun y va de ses bons mots à défaut d’apporter des remèdes sérieux et efficaces aux maux qui rongent les banlieues et les cités. Il est vrai que depuis longtemps déjà, les banlieues et les migrants sont devenus des thèmes récurrents dans le débat politique qui agite le microcosme de la classe politique française, droite et gauche confondues.

Les migrants sont en effet devenus une équation à multiples inconnues… Créer un ministère chargé de la promotion de l’égalité des chances (simple alibi ?) et y mettre un citoyen français (quoique d’origine étrangère ; un simple douanier américain n’ayant pas manqué de le lui rappeler à l’occasion d’un voyage aux USA) est une chose, autre chose est de permettre à celui-ci d’avoir les moyens humains, financiers et techniques pour mettre en place une véritable politique à l’égard des citoyens de banlieues.

Notamment afin de leur permettre d’exister, de s’exprimer sur leurs conditions et de se sortir de leur galère (logement, emploi, scolarité…) face sans doute aux moyens d’autres ministères qui peuvent apparaître comme démesurés.

Et parce que les citoyens de banlieues ne veulent plus être considérés comme des boucs émissaires, d’aucuns se doivent d’éviter tout climat de tension exacerbée en jetant de l’huile sur le feu pour que cesse cette escalade insensée et  privilégier le dialogue par une communication appropriée en usant de vocables à tout le moins courtois.

A rappeler tout de même que les citoyens de banlieues constituent un bon pactole de voix qu’il faudra constamment courtiser et venir chercher à chaque moment opportun. Et ce n’est certainement pas par le gourdin et les vocables de mauvais goût qu’on y parviendra… Les événements ne manquent pas pour montrer que la question de l’immigration est toujours d’actualité, les « harraga » par exemple (littéralement les « brûleurs de mers »).

Harraga et Etat de droit policier

Hélas, l’actualité de l’immigration n’est pas pour rassurer les uns et les autres. La « xénophobie d’Etat » a, selon certains, tué plusieurs personnes « sans papiers, ainsi une Chinoise et un Malien qui ont, à leur corps défendant, tenté d’éviter un  contrôle d’identité. Ils sont devenus les victimes des lois sur l’immigration, contraignantes et de plus en plus répressives il est vrai. Il ne s’agit pas là de simples faits divers.

Le débat sur la sécurité en Europe tente de justifier les lois sur l’immigration, sans cesse modifiées, qui révèlent leur aspect hautement négatif. Il y a en effet mort d’homme. A cet égard, rien qu’à Paris, il suffit de rappeler la situation des « retenus » dans les centres de rétention (voire au dépôt du palais de justice), pour constater, a contrario, l’insécurité vécue par les étrangers.

On parle pudiquement de « retenus » en centre de rétention (et non de détenus en centres de détention). La sémantique ne saurait être complice de cet état de fait et ne saurait le justifier.

Me revient à l’esprit le mot de Nelson Mandela : « Quand j’étais étudiant, on m’avait enseigné qu’en Afrique du Sud, la loi était souveraine et s’appliquait à tous les citoyens, quel que soit leur statut social ou leur position officielle. J’y croyais sincèrement et j’envisageais une vie fondée sur ce postulat. Mais ma carrière d’avocat et de militant m’avait dessillé les yeux. J’ai constaté qu’il y avait une énorme différence entre ce qu’on m’avait enseigné dans les salles de cours et ce que j’avais appris dans les salles des tribunaux. » (Un long chemin vers la liberté).

De toute évidence, la République française n’est pas l’Afrique du Sud de l’apartheid (quoiqu’un ancien Premier ministre a pu évoquer l’existence d’un « apartheid territorial, social, ethnique » en France). Loin s’en faut. Patrie des droits de l’homme et de la Commune de Paris, la France a payé un lourd tribut en sang et en larmes pour mettre en place un système démocratique alimenté par la quête du droit à la citoyenneté.

D’évidence, il existe des femmes et des hommes de bonne volonté capables de muer leur révolte, face à ces situations exécrables, en actes positifs pour la défense des migrants. Il est tout naturellement heureux que puissent exister des consciences à ce point pétries d’humanité et de convictions de nature à secouer l’injustice jusqu’à ce que liberté s’ensuive.

Mais, pour autant, a-t-elle réussi à expurger de son corps social tout germe de rejet de l’élément dit étranger ? Il est permis de s’interroger, au regard de ces faits non anodins pour les milliers, voire les millions, d’étrangers, migrants  jugés de plus en plus persona non grata, faits qui mettent à nu les mécanismes de dégradation de la condition humaine déjà mal en point.

Ainsi, en leur temps, d’aucuns ont rivalisé d’ardeur dans la sémantique de la démagogie : à « l’invasion » des immigrés, leurs « odeurs » et leurs « bruits », a répondu le constat de l’incapacité à gérer le phénomène de « toute la misère du monde ». Le choix entre ces différents qualificatifs se révèle hélas mince. Y a-t-il même choix ? Les esprits libres et éclairés font la part des choses au quotidien et sur le terrain, distinguant ainsi le bon grain de l’ivraie.

Faut-il à ce point désespérer de « l’Esprit des lois » et de leur application ? Il faut croire que oui, sachant que les dispositions actuelles afférentes au droit des étrangers constituent de véritables barreaux et de vrais parcours du combattant, relativement aux conditions d’entrée et de séjour en Europe.

Faut-il élaborer et faire voter des textes passoires laissant les frontières à l’air libre ? Nul besoin. La volonté des laissés-pour-compte à travers le monde, dit tiers, défiera toujours les schèmes mentaux marqués par l’esprit policier et bureaucratique. Le credo « surveiller et punir » à outrance d’une Europe frileuse annonce des Etats de droit policiers.

La fermeture des frontières, au motif de la sécurité, est contestable. La faim chasse la peur. Tel est le postulat qui a traversé les siècles. Faut-il nier l’existence de la délinquance chez certains « étrangers » ? Nul besoin.

Toutefois, on ne saurait justifier, de ce fait, l’inqualifiable attitude pour le moins ignominieuse, qui consiste à rejeter sa part de responsabilité quant au désordre mondial actuel depuis les politiques de colonisation (qu’on a voulu qualifier de « positives »), l’accélération dans la déstructuration des pays dits socialistes et la recherche permanente de déstabilisation des pays ayant eu vocation à porter haut les revendications des pays du Sud (tant de pays arabes – Irak, Libye…- ont été, pour des motifs contestables, agressés et une partie de leur population est devenue migrante).

Mettre sur pied des départements ministériels consacrés à l’immigration est en soi une ineptie pour des pays démocratiques, leur accoler « l’identité nationale » dévoile les intentions peu louables de ses initiateurs ; et ce, à l’heure de ce qu’il a été convenu d’appeler « la mondialisation » et de l’élargissement de l’Europe à des Etats dont la situation de sous-développement le dispute à l’absence de démocratie.  Certains de ces Etats n’ont rien à envier aux Etats maghrébins par exemple.

Enfin, se doter, mezza voce, d’une législation à même de prémunir l’Europe d’éléments étrangers — déjà inhabiles — jugés corrupteurs des « identités nationales » contredit, en tout cas limite, de façon certaine, la profession de foi relative aux droits de l’homme. Au demeurant, quels droits pour quel homme ?

Il est à espérer que les uns et les autres tempèrent leur ardeur de donneurs de leçons de démocratie. Notre village planétaire souffre déjà de moult maux où les nations ressemblent de plus en plus à de nouvelles tribus dont certaines cultivent l’identité nationale comme un fétichisme, alors que d’autres sont largement prisonnières du mal-développement, des décisions arbitraires des « grands » de ce monde pour l’accès des pays en mal de développement aux richesses culturelles et matérielles et, bien entendu, de l’injustice au quotidien de gouvernants souvent illégitimes qui poussent de plus en plus les jeunes à la harga.

Sans doute Mandela a-t-il raison de dire : « Si autrefois, j’avais considéré la loi de façon idéaliste comme l’épée de la justice, aujourd’hui je la vois comme un outil utilisé par la classe au pouvoir pour façonner la société dans un sens qui lui était favorable. Je ne m’attendais jamais à la justice dans un tribunal même si je luttais pour elle et parfois je la rencontrais »… (Un long chemin vers la liberté).

 « Xénophobie d’Etat »

Dans une circulaire du 12 décembre 2017, le ministère français de l’Intérieur prévoit d’envoyer dans les centres d’accueil des missions administratives chargées de procéder au tri des immigrés présents. Les préfets devront déployer «de façon progressive» des «équipes mobiles» pour «procéder à l’évaluation administrative » des personnes étrangères en hébergement d’urgence et de «veiller à une orientation adaptée» de ces migrants, selon leur droit au séjour.

S’agirait-il de recenser les étrangers en situation irrégulière à diriger vers les centres de rétention en vue de les reconduire à la frontière pour certains et les expulser pour d’autres ?

Selon cette circulaire, «au terme de cet examen, une orientation adaptée» devra être envisagée. Les réfugiés iront vers un «logement pérenne» et les demandeurs d’asile vers le dispositif dédié. Une seconde circulaire précise que «20 000 logements» seront mobilisés dans les régions d’ici à fin 2018 pour accueillir les réfugiés, selon une «répartition équilibrée ».

Force est d’observer qu’en matière d’asile, ladite circulaire mentionne le doublement de la durée de rétention (de 120 jours à 90 jours), le raccourcissement des délais de recours (deux semaines au lieu d’un mois) et sans doute l’intention affichée d’accroissement du nombre des expulsions. «La chasse aux sans-papiers» pourra avoir lieu dès lors que la «retenue administrative» pour vérification du droit au séjour sera augmentée de 16 à 24 heures, avec renforcement des pouvoirs d’investigation»…

Le droit d’asile (et d’immigration) se réduit progressivement, d’année en année, pour devenir une peau de chagrin. Des personnalités du monde associatif s’en offusquent et dénoncent par avance ce recensement qui risquerait d’aboutir à des reconduites à la frontière (voire des expulsions) des étrangers en situation irrégulière («sans papiers»). Reçues par le Premier ministre, les associations caritatives exigent le retrait de la circulaire précitée, ainsi que l’adoucissement du projet de loi sur l’immigration qui devrait être étudié prochainement par l’Assemblée nationale.

Ainsi, le Secours catholique et la Fédération de l’entraide protestante condamnent «un renoncement sans précédent aux valeurs et aux traditions humanistes». Dans la presse française, de nombreuses voix s’élèvent contre ces mesures ; ainsi, dans La Charente libre, Jean-Louis Hervois n’hésite pas à dire que «la loi que prépare (…) Gérard Collomb ne sera que l’expression de notre lâcheté commune devant la misère du monde à nos portes. Et de nos peurs… Par nos votes et par nos silences, par notre résignation, nous avons renoncé à donner l’exemple».

Pour Le Clezio, prix Nobel de littérature : «S’il est avéré que pour faire déguerpir les migrants qui dorment sous une bâche par six degrés en dessous de zéro les milices crèvent leurs têtes, s’il est avéré que l’on rafle les pauvres dans les rues en séparant les familles et qu’on les enferme avant de les expédier par avion dans leur pays supposé, s’il est avéré qu’on pourchasse les misérables comme s’ils étaient des chiens errants.

Eh bien, cela est dégueulasse, il n’y a pas d’autre mot.» (L’Obs du 11 au 17-01- 2018). Pour Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes : «On voit bien qu’il s’agit de donner un signal plus que d’être efficace. Le gouvernement veut avant tout dissuader les migrants de venir en France.» Le gouvernement semble être sur une ligne plus dure que ses prédécesseurs. Jusqu’à préparer la droite extrême au pouvoir ?

Ammar Koroghli

Avocat à la Cour de Paris, Ammar Koroghli est docteur en Droit (ancien de l’ENA d’Alger). Auteur d’ouvrages (essais, nouvelles, poésie), il a été enseignant en droit. Contributeur dans plusieurs journaux et revues : en Algérie (El Watan, Le Matin, Le Soir d’Algérie, Le Quotidien d’Oran...) ; en France (Le Monde diplomatique, Libération, Courrier International, Europe…). Ancien rédacteur en chef d’El Badil (L’alternative), il a participé à des émissions sur l’Algérie : RFI, Radio France Culture, BRTV (Paris), TVA3 (Alger).

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