Samedi 20 avril 2019
Les deux Printemps amazighs et le Hirak
La célébration du 20 avril 1980 et du Printemps noir 2001 coïncide cette année avec le soulèvement de la population algérienne contre l’autocratie, la corruption et le déni des droits. Cela dure depuis le 22 février, après un premier déclic enclenché par la population de Kherrata le 16 février contre le projet de 5e mandat présidentiel de Bouteflika.
À partir de là, la machine révolutionnaire s’est emballée. La rue algérienne est occupée de façon permanente, avec un point d’orgue des vendredis, où plus de la moitié de la population algérienne défile, crie, revendique, ordonne, festoie, réinvente la convivialité et…attend des réponses de la part des tenants du pouvoir politique. Ce sont des réponses partielles, venues en lentes cascades. Elles sont importantes, même si elles sont largement insuffisantes.
Le départ de Bouteflika ne règle pas, en effet, le long contentieux qui oppose la population à ses gouvernants. Un contentieux fait de monopole de la décision politique, restreinte à une poignée de décideurs tournant autour d’un quasi monarque. Les institutions nationales, supposées assurer la représentation politique du peuple (APN et Sénat) ou assurer la protection de la Constitution de toute forme de viol ou d’autre entorse (Conseil constitutionnel), ont été détournées de leur vocation par la loi de la « chkara » (corruption) et du pouvoir absolutiste qui a mis une croix sur le principe de la séparation des pouvoirs.
Il est évident que le déni de la vraie représentation politique et du droit d’accès à la citoyenneté dont souffre le peuple algérien ne date pas de 1999, année de l’accès de Bouteflika au pouvoir.
Il prolonge ses racines dans les premières années de l’indépendance confisquée, et même un peu avant, avec l’assassinat de Abane Ramdane et le reniement des principes du congrès de la Soummam.
Les illusions « développementistes » et du tiers-mondisme triomphant des années 70′ et le miroir aux alouettes du « libéralisme » des années 80′ – les deux modes de gouvernance se furent goulûment nourris à la mamelle de la rente pétrolière par laquelle le pouvoir s’efforçait d’acheter la paix sociale, de corrompre les élites et de constituer ses clientèles -, ont été prolongés, aggravés et portés au pinacle de l’absurdité par la gestion des années 2000, pendant lesquelles l’Algérie a engrangé ses meilleures recettes en hydrocarbures, les plus importantes de son histoire, dépassant 1000 milliards de dollars.
Aux réalisations en infrastructures et équipements publics- avec les réserves techniques et les coûts exorbitants que connaissent un grand nombre d’ouvrage-, s’ajoutent des transferts sociaux qui avoisinent 20 milliards de dollars par an. En l’absence d’organes techniques, administratifs et institutionnels de contrôle, c’était là un gisement des plus fertiles pour la corruption sous toutes ses formes, amenant même à une grave fuite de capitaux vers l’étranger. En l’espace de 20 ans, l’Algérie a multiplié presque par 6 le montant de ses importations et gardé intact la structures des exportations, avec plus de 96 % qui reviennent aux hydrocarbures.
La crise des prix du pétrole sur les marchés mondiaux, à partir de 2014, a commencé à installer des incertitudes dans le sérail politique, réduisant progressivement la marge de manœuvre du gouvernement et des acteurs de la prédation. À cela s’est greffée la prise de pouvoir par les forces dites extraconstitutionnelles, celles qui ont exploité la maladie de Bouteflika pour mieux renforcer la toile d’araignée bâtie autour des richesses et des institutions algérienne. La coupe était pleine. On verra la goutte qui fera déborder le vase avec cette provocation de solliciter un 5e mandat pour un président qui n’existait pas. La suite, on la connait. Elle n’est pas finie. On est en train de la vivre chaque jour, et surtout chaque vendredi.
L’accumulation des frustrations, des humiliations et de la colère depuis des décennies explose aujourd’hui à la figure des gouvernants. Ces derniers sont réduits tantôt au silence, tantôt au tâtonnement, et parfois encore à la réaction de la bête blessée. C’est aussi une accumulation de luttes (syndicales, associatives, politiques, culturelles), clandestines ou publiques, qui se sont étendues sur plusieurs décennies.
Aujourd’hui, une jonction doit être assurée entre ces différentes luttes et la revendication amazighe. Cette dernière a un capital d’expériences de près de 40 ans, où se retrouvent les luttes pacifiques, la répression la plus brutale du pouvoir et les assassinats des enfants de la Kabylie en 2011 (au nombre de 127).
La jonction, on la vit aujourd’hui sur le terrain des luttes communes, celles par lesquelles les Algériens comptent arracher définitivement leurs droits à une citoyenneté entière, qui signifie une réelle représentation politique, une justice sociale consacrée dans la réalité du terrain, la promotion de l’identité et de la culture algériennes dans la pluralité et la diversité de leurs composantes, ainsi qu’une réelle décentralisation, basée sur une gestion rationnelle des ressources, une politique d’aménagement du territoire scientifiquement établie, la promotion des spécificités des différentes régions du pays et décentralisation du processus de prise de décision.
La décentralisation, amorcée de manière scientifique et graduelle, pourra évoluer en un processus de régionalisation, tel que le portent déjà certaines revendications.