Soudain, une détonation puissante éclate au loin et nous fait tous précipiter au balcon duquel nous avions vue imprenable sur la partie basse du village d’où semblait provenir l’explosion. La quiétude et le silence des instants précédents laissent rapidement place à des cris d’enfants et des hurlements de femmes qui jaillissaient de l’afflux mixé que l’on aperçoit se diriger, au pas de course et une cadence disloquée, le long du sentier principal, vers la sortie du village.
La nouvelle se répand d’une fenêtre à l’autre, d’un potager à l’autre, d’un balcon à l’autre, et fait très vite le tour pour échoir dans les oreilles de tous les villageois, essentiellement les femmes et les enfants. Les hommes étant souvent absents à ces heures-là.
Même de loin, il n’était pas difficile de suivre un enchaînement d’événements annonciateur d’une gravité inédite pour nous, les petits galopins à l’affût de la moindre animation, car l’effet de surprise laisse rapidement place à une cohue indescriptible et des lamentations appuyées par des « Aya bouh almoum’niiiii…iines » (des « au secours », adressés à tous les saints de la Terre) à donner des frissons au plus insensible des humains.
Lamentations amplifiées et entrecoupées de complaintes, à gorge déployée, de plus en plus perceptibles « Yemout Ali-inouuuu….ouu ; Yemout Omar inouuuu….ouu » (Mon Ali est moooort ! Mon Omar est moooort) hurlés par khalti Dhabia et Na Ouardia, les deux mamans désemparées par ce qui venait d’arriver à leurs petits !
Quelques secondes plus tard, les infirmiers militaires accourent et arrivent sur les lieux de l’explosion. Dans ce fracas de hurlements et de déferlement, on avait du mal à bien distinguer ce qui se passait vraiment au milieu d’un cortège entourant un centre d’attention qui se déplaçait, en trajet retour, vers l’infirmerie. Nous n’avions pas encore eu vent des éléments précis sur ce qui s’était réellement passé que les vrombissements d’un hélicoptère envahissent le ciel pour le remplir de tonalités synonymes d’extrême urgence.
L’oiseau de fer géant atterri sur l’unique esplanade à la périphérie du village, embarque Ali, 11 ans et Omar 10 ans, aux urgences de Tizi-Ouzou.
Que s’était-il donc passé ce jour-là ? Les versions allaient bon train et divergeaient d’une explication à l’autre. Chaque enfant témoin, de plus ou moins près de la scène, avait la sienne, mais nous ne le sûmes vraiment que quand Ali et Omar sortirent de l’hôpital…42 jours plus tard !
En ces temps-là, dans nos villages exigus, les sentiers principaux faisaient offices d’uniques terrains de jeux pour dissiper nos inépuisables énergies de galopins. Nous nous disputions quelques coins « spacieux » et autres plateformes stratégiques dès les petits matins annonciateurs de belles journées. Nos jouets, c’était n’importe quelle bricole qui traine par terre et qui tombe sous le regard de nos curiosités avides de « nouveautés ».
Ce jour-là, Omar et Ali, en comparses joyeux, s’en allèrent gaiement suivre les traces d’une unité militaire qui venait de longer la piste principale du village, à la recherche de quelconque boîte à ramasser et autre emballage de luxe rejeté par ces soldats qui ne manquaient de rien, pour être recyclé en quelconque gadget par des enfants qui manquaient de tout ! -C’est notre jour de chance, devaient se dire, ce jour-là, Ali et Omar quand ils repèrent quelques babioles aux allures géométriques attrayantes que les soldats avaient laissé choir sur leur passage.
À leur vue Omar s’écrie de joie : – « Wa3-Ali, moukel-kane, thifthilines ouroumi » (Eh Ali, viens voir ! y’a des lampes des roumis qui trainent par terre, là !) – « Yagh ath’tidenli, anwali achou yelane dhakhal ! » (Ouvrons-les pour voir ce qu’elles contiennent) … À suivre
Kacem Madani