22 novembre 2024
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Les handicapés, une âme humaine

La représentante des étudiants de la filière Brevet de technicien supérieur est entrée dans la classe après une dérogation de retard pour participer à une réunion.

Vous savez, qu’en toute décence, lorsque vous vous assoyez, le pantalon se tend et les chaussettes sur les chevilles apparaissent. Je n’ai pas fait ressentir à mes étudiants l’énorme émotion qui fut la mienne, une image qui restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Cette jeune fille avait à la place des chevilles deux grosses boules métalliques. Ma collègue, responsable de la filière m’avait ensuite dit « Boumédiene, tu sais très bien que tu es professeur de législation dans une filière de formation d’orthoprothésistes ». Elle me montra la photo qui était collée sur l’intérieur de la porte, celle d’une course de vitesse par un athlète en fauteuil ayant obtenu une médaille d’or aux Jeux paralympiques d’Atlanta. « Tu ne te souviens pas de ton étudiant de l’année dernière ? ». Je ne l’avais pas reconnu car dans la vie quotidienne sa prothèse de jambes ni sa démarche n’apparaissaient pas. Quelle fierté !

Elle m’expliqua que le choix de ces  étudiants (trois ou quatre par année) s’était fait suite à leur rencontre avec des professionnels lors de leur passage dans le cycle de soins. Mais plus encore, elle m’avait expliqué que beaucoup ont voulu « construire leur prothèse » pour la comprendre et la maîtriser afin de mieux l’accepter. Car lorsqu’on sait on peut aller au-delà du handicap et vivre normalement ou au mieux possible.

C’était l’époque de la grande loi pour l’inclusion des handicapés dans le système scolaire et non dans des institutions spécialisées. J’ai alors vécu la rencontre avec de nombreuses dizaines d’étudiants handicapés, notamment avec des sourds-muets. J’ai appris avec tous ce qu’était l’humilité.

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J’ai découvert qu’ils étaient l’âme humaine car eux seuls peuvent ressentir  deux  des états les plus importants de l’être humain, la volonté acharnée d’affronter la vie, de n’importe quelle manière qu’elle se présente à vous, et de découvrir ce qu’est sa fragilité pour profiter au maximum de la beauté qu’elle nous offre.

Puis dans ce parcours, une expérience des plus bouleversantes, encore plus que la première, une jeune fille aveugle. Ce qu’il y a de plus terrible est qu’elle avait vu la vie, les êtres humains ainsi que la nature qui l’environnait jusqu’à l’âge de 16 ans avant qu’elle ait été frappée d’une maladie dégénérative du nerf optique.

Elle était extraordinaire dans sa bonne humeur, son travail appliqué et ses yeux aveugles d’un bleu brillant qui faisait rayonner son visage. Il n’est pas utile de vous convaincre que sa capacité cognitive était parfaitement adaptée aux études post-bac, juste avec l’aide d’un petit ordinateur pour une écriture et lecture adaptées (ce n’était pas en braille). Cette jeune fille représentait une partie de l’âme humaine que vous ne percevez jamais chez les personnes valides car ils n’ont pas une humeur égale en toutes circonstances. Elle ne pleurait jamais sur sa condition, en tout cas pas en public car elle savait être digne et ne pas se faire plaindre.

Ces filières sont si confidentielles en nombre d’étudiants que leurs propres professeurs étaient la plupart du temps membres du jury d’oral pour l’examen final. Vous ne pouvez vous imaginer le terrible effort, à la limite du supportable, qu’il fallait faire pour ne pas privilégier cette jeune fille en étant plus généreux dans la notation ou dans le questionnement. Il ne le fallait pas par déontologie et aussi par respect pour la candidate qui souhaitait prouver par elle-même ses compétences. Et personne ne l’a jamais fait, bien entendu.

En revanche je n’ai jamais compris pourquoi les étudiants diagnostiqués autistes devaient être inscrits dans le dispositif d’inclusion. J’en ai eu quatre ou cinq et je n’ai jamais ressenti en eux la légende Rain Man. Ils n’étaient ni dotés d’une capacité cognitive surdimensionnée comme beaucoup nous le disent (les spécialistes ont certainement une raison de l’affirmer) ni n’étaient incapables d’être dans une moyenne acceptable en notation.

Dans ce parcours d’humilité il faut apprendre à adopter le comportement adéquat face aux handicapés. Il m’a fallu au moins cinq années pour commencer à le maîtriser.

Tout d’abord ne jamais éviter de nommer le handicap. Ce sont des handicapés, sourds, muets ou amputés, aucune autre expression ne peut éviter les mots de la réalité. Je suis très sévère envers les nombreux textes qui n’ont jamais pu trouver la sémantique qui puisse ne pas stigmatiser. Bien pire encore avec celle qui est la plus adoptée dans le monde « Personne en situation de handicap ». Je suis persuadé que cette expression est encore pire en stigmatisation.

Puis, ne jamais avoir un comportement qui les distinguerait des autres. Un handicapé moteur n’a pas besoin d’une tonalité de la voix différente comme on s’adresserait à un enfant et d’affronter ce qu’il est exaspéré d’entendre constamment, « Tu veux de l’aide ? » (Il n’hésite d’ailleurs jamais à vous signifier son exaspération avec un mot ou un geste de refus assez sec ou enveloppé d’un faux remerciement).

Et bien entendu, ce que nous avions dit avec l’étudiante aveugle, ne jamais ressentir une compassion par trop de phrases encourageantes ou une notation légèrement haussée qui finissent toujours par avoir un effet contraire dans le ressenti du handicapé.

Et un jour, sans que vous vous y attendiez, vous êtes récompensé de votre attitude constante et maîtrisée. La tutrice d’un sourd-muet est venue me dire que l’étudiant avait pleuré devant elle parce que je l’avais sermonné. Et ce que m’avait dit cette tutrice m’avait bouleversé « Il m’a dit que c’était la première fois qu’une personne osait l’engueuler pour son comportement ». Il avait ressenti que je l’avais considéré comme les autres et ne trouvais aucune excuse par son handicap et le lui faire comprendre sévèrement.

Tout ce que je viens d’exposer ne concerne bien évidemment pas le handicap cognitif car il serait impossible et irresponsable de l’inclure dans le processus d’apprentissage classique, ne jamais dire « normal ». Certains le demandent, je crois que ce serait une erreur monumentale, contraire au bien de ces handicapés.

Pourquoi cette chronique d’aujourd’hui ? Parce que les Jeux paralympiques commencent, cela vous aidera peut-être à mieux à les affronter avec votre regard.

Boumediene Sid Lakhdar

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