Dimanche 3 décembre 2017
Les intérêts français immédiats et la survie du régime de Bouteflika
Abdelmalek Sellal recevant le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron en avril dernier.
Annoncée en grandes pompes par certains médias à Alger, la visite du Président français à Alger interviendra dans un contexte particulier, où l’Algérie est frappée par une crise économique profonde et vivant presque en léthargie par rapport aux événements qui secouent le monde. La raison ? L’impotence de son Président qui, de surcroît, monopolise à son niveau la chose diplomatique. Mal élu et cherchant pour des raisons internes à s’imposer sur la scène internationale, M. Macron risque de se retrouver face à des homologues algériens toujours attachés aux vieilles recettes, à savoir la caution politique au régime en échanges davantage de concessions en matière commerciale et pour des marchés, des gadgets jusque-là pour l’économie algérienne, dont les alliés stratégiques mêmes de la France, comme le Maroc, n’en veulent pas.
Le Président français, Emmanuel Macron, fera le 6 décembre sa première visite officielle à Alger. Aucune information n’a filtré jusque-là sur le programme de cette visite, annoncée il y a quelques jours par les services d’Elysée. Mais elle interviendra juste après un périple de trois jours du Président français en Afrique, où il a assisté à Abidjan au sommet conjoint de l’Union européenne et l’Organisation de l’Union Africaine. Il a plaidé à cette occasion pour une lutte sans merci, suivie par des recommandations et des actions concrètes, contre les filières et les réseaux d’organisation de l’émigration clandestine. Il est fort probable que ce sujet occupera une grande partie des discussions entre le Président Macron et ses homologues algériens. Il sera demandé ainsi à l’Algérie de jouer son « rôle » pour stopper le flux migratoire, alors qu’elle s’est contentée jusque-là de campagnes humiliantes aux relents racistes, de reconduites aux frontières par des autocars affrétés à l’occasion. Le même Ahmed Ouyahia, le premier ministre algérien, qui a représenté le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, au sommet Europe-Afrique, a eu des propos racistes les plus nauséabonds à l’encontre des populations africaines, qui seraient « porteuses de graves maladies et responsables de la profération des crimes et d’autres maux, comme la prostitution ». Son ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, lui a emboité le pas, comme d’ailleurs Monsieur Droits de l’Homme de Bouteflika, Farouk Ksentini. Le ministère des Transports a pour sa part sommé, à travers une instruction, les transporteurs et les taxieurs de refuser aux migrants de voyager sous peine de voir leur licence de transport retirée. Critiquée par l’opinion africaine, cette « chasse » aux migrants a fait reculer davantage l’influence algérienne sur le continent et au profit de « l’ennemi voisin », le Maroc, lui, qui a toujours joué cette carte comme moyen de pression sur l’Union européenne.
En absence de l’Algérie et ses ratages diplomatiques, comme celui de la ministre des télécommunications, Mme Feraoun, qui a boudé cette semaine une réunion avec ses homologues africains à Addis-Abeba pourtant sur les nouvelles technologies, la position marocaine se renforce chaque jour comme un interlocuteur privilégié des Européens et particulièrement des Français. Le Maroc demeure un allié stratégique auprès de ces derniers, dont le Président Emmanuel Macron, fraichement élu, lui avait réservé au cours du mois de ramadhan dernier sa première visite maghrébine. L’éjection de la candidature aux législatives à la 9eme circonscription des Français à l’étranger au sein du Mouvement de M. Macron, La République En Marche, d’une Française, d’origine algérienne, pour ses positions pro-sahraouies suites à des protestations marocaines, en est la preuve.
Economie moribonde
Et c’est le cas également sur le plan d’investissement industriel : Peugeot et Renault ont choisi en premier le Maroc pour implanter leurs usines de construction de voitures dédiées même à l’exportation, alors qu’en Algérie, seules deux modestes unités de montages à l’Ouest du pays pour une vente uniquement sur le marché intérieur ont été lancées. Cependant, l’Algérie demeure le premier importateur au monde du blé français, sur lequel pèsent d’ailleurs de lourds soupçons, selon un organisme français cité par l’Agence Reuters. Selon cette agence, déjà de qualité médiocre, le blé français contiendrait « des champignons toxiques». Et de surcroît, il coûte plus cher. C’est la raison pour laquelle, selon la chaine de télévision Al Bilad News, que le Maroc s’est détourné du blé français en optant pour celui des Russes en signant dans ce sens plusieurs contrats avec la Russie et l’Egypte aurait elle aussi rompu certains contrats d’importation du blé français, selon toujours cette chaine de télé qui cite l’Agence Reuters.
Au moment où le domaine céréalier français traverse une crise, l’Algérie a importé, selon les douanes françaises, pour le mois d’août dernier seulement près de 535 000 tonnes de blé tendre et 232000 tonnes pour les deux premiers mois de l’année 2017. Selon les statistiques de l’Agence FranceAgriMer, c’est plus d’un million de tonnes de blé français exporté vers l’Algérie au cours du premier semestre de l’année 2016. Malgré la crise, l’Algérie continuera à importer le blé, comme matière alimentaire élémentaire pour les Algériens et la question demeure sur la possibilité de maintenir sa subvention au taux habituel. Il est à noter que la baguette de pain a augmenté de prix ces jours-ci pour atteindre les 15 dinars.
La fléchette de Macron en direction d’Alger
C’est ainsi dans ce contexte qu’Emmanuel Macron demandera sans doute au pouvoir algérien plus d’efforts de guerre contre les groupes terroristes aux frontières avec le Mali. On s’en souvient, il n’a pas hésité juste après son élection de lancer à partir de ce pays et devant les soldats français impliqués dans les opérations au Sahel un pic envers l’Algérie, lui reprochant une attitude passive devant certains groupes terroristes. Il plaidera aussi pour une importante collaboration en matière de renseignements pour combattre les terroristes islamistes. Et au menu également la question récurrente des visas, à laquelle il n’échappera pas, mais comme d’habitude le pouvoir algérien se contentera d’une augmentation de nombre de visas de travail ou diplomatique octroyés pour le personnel algérien travaillant dans les représentations algériennes en France. C’est une doléance systémique du régime de Bouteflika pour élargir davantage la base de la clientèle. Et Macron repartira comme il est venu, rien ne changera pour les algériens si ce n’est l’accélération de la cadence de la planche à billets afin d’assurer le paiement des salaires des fonctionnaires et en monnaie de singe, à peine de couvrir pendant un mois l’achat des baguettes de pain pour une famille moyenne.