21 novembre 2024
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Les jeux de notre tendre enfance à At Yenni (I)

Tiqar
Tiqar, un jeu traditionnel en Kabylie.

Le jeu, dans le développement de l’enfant, être en devenir, occupe une place essentielle. Il lui permet de se construire au-delà de la réalité ambiante (situation sociale précaire, guerre, catastrophe naturelle, divorce ou perte d’un ou des deux parents,…).

I – Des jeux pour les garçons

Bien des « psy » ont exploré et livré leurs conclusions sur l’importance de cette étape de la vie. Les trajectoires sont parfois surprenantes lorsque l’on fait un parallèle entre l’enfance difficile vécue par certains enfants et la réussite sociale des adultes qu’ils sont devenus. Les capacités de résilience de l’être humain sont effectivement insoupçonnées et la place du jeu durant leur enfance est loin d’être négligeable.

Loin de moi l’idée de vous embarquer dans une analyse psychosociale « du pourquoi et du comment » ou dans une synthèse hasardeuse de toute la production livresque foisonnante sur ce sujet, mais, je vais essayer de partager avec vous  quelques  fragments de souvenirs joyeux  volés au temps dans le contexte des années 1960/70, pas très reluisant, mais dont je garde paradoxalement une sensation de bonheur intense.

Les enfants des At Yenni (ou de Kabylie… et peut-être même du reste du monde) de mon âge doivent garder cela dans un coin de leur mémoire. Sans doute n’en parlent-ils pas souvent ou seulement entre eux, parfois, de peur de paraître ridicules tant les choses ont changé. Il est vrai que les loisirs ont beaucoup évolué et que les  enfants d’aujourd’hui, à l’ère du numérique,  des écrans à tout va et de l’intelligence artificielle ne comprendraient pas ce qu’il y a de jubilatoire à courir inlassablement derrière une jante de vélo (Le Cerceau) et poussée en équilibre au moyen  d’un bâton, par exemple.

Pour réveiller ces instants de bonheurs furtifs, je vais juste énumérer, de manière non exhaustive,  les jeux qui étaient les nôtres à cette époque-là. Cela sera on ne peut plus parlant pour ceux qui les ont vécus. Pour les plus jeunes, qui, j’en suis sûr ne seront pas nombreux à avoir la curiosité de lire ces quelques lignes pour sonder les loisirs de leurs aînés, je donnerai quelques descriptions sommaires, quand cela est nécessaire.

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Pour commencer, je parlerai du ‘’Bimboo’’, possiblement rapporté d’Indochine (le nom serait issu du mot bambou ?). C’était  un jeu d’équipe consistant à lancer un bout de bois (25 cm environ) au moyen d’un deuxième, un peu plus long (80 cm environ), vers les rangs adverses, de trois façons différentes :

  • un premier lancer franc par soulèvement du plus petit bâton par le plus grand ;
  • un second lancer en percutant violemment le petit bâton par le plus grand
  • et un troisième, plus spectaculaire, qui consistait à faire sauter le petit bâton par effet de levier, sur une petite hauteur, et à le reprendre de volée avec le second.

Ces trois essais devaient envoyer le projectile le plus loin possible pour mettre en difficulté l’adversaire qui devait le réceptionner. Et là, la façon de réceptionner donnait droit à un certain nombre de points (à pleine poigne, entre les doigts,…). En cas de non-réception au vol, le lanceur mesurait la distance, de dix en dix, avec comme unité de mesure le plus grand des deux bâtons. La longueur ainsi mesurée, entre la base de lancement et l’endroit de la chute, se traduisait en nombre de points.

Le second, « Le drapeau’’, était un jeu d’équipe. Ce ‘’drapeau’’ était toujours ‘’signé’’ comme tricolore : bleu, blanc, rouge à une époque et vert, blanc, rouge plus tard, après le silence des armes. Là, je ne me lancerai pas à nouveau dans un descriptif fastidieux puisque la règle existe encore, à mon grand étonnement, moi qui croyais que nous étions les seuls au monde à connaitre ces divertissements. Il suffit d’aller sur internet et voir ce qu’est « Le Drapeau » (Suivre le lien en cliquant ici)

Pour résumer quand même en quelques mots : « Deux équipes se disputaient un bâton planté au sol (le drapeau). Une équipe devait le rapporter dans son camp, sans se faire toucher par les joueurs de l’équipe adverse. Ces derniers pouvaient être éliminés par le cavalier qui bénéficiait d’une immunité mais qui  ne pouvait prendre le drapeau lui-même».

Le troisième jeu d’équipe qui me vient à l’esprit est un art martial kabyle (Tiqqar). C’était sans doute le plus grisant de tous (une bagarre aux pieds du genre ’’mawachi geri’’ propre au karaté japonais…bien entendu, ce sont ces derniers qui ont repris notre idée !). Ceci consistait à échanger des coups de pieds circulaires, en ruade seulement, le coup de pied classique vers l’avant étant interdit. L’adversaire (dans le un contre un) ou les adversaires (par équipe) étaient en jeu tant qu’ils étaient debout et la position ‘’genou à terre’’ (a retow) permettait une pause.

Nous jouions aussi à ‘’Albrun’’ (version locale de saute-mouton), produit d’importation auquel nous ajoutions des paroles tout en sautant et à chaque passage: ‘’Albrun, deux à deux, trois la croix, quatre la patate, cinq la seringue, six la saucisse, sept ma paire de chaussettes, huit marque huit, neuf la corne de bœuf, (dix je ne me rappelle plus ?), onze, onze mon petit cheval de bronze, douze ma blouse, treize ma chaise, quatorze ma belle rose, etc…’’ . Je ne doute pas que d’aucuns compléteront (ou corrigeront) cet inventaire à la Prévert dans leurs commentaires.

Et puis, bien plus tard, le football est arrivé comme un ouragan pour se tailler la part du lion. Mais, là-dessus je ne me hasarderai pas à vous narrer l’engouement suscité car tout a été dit précédemment  par mon ami C’rif At Aliouamara (Izri) dans un récent article, d’excellente facture. (Suivre le lien ci-après : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=674636604501382&id=100058651456349)

Aux beaux jours, ces jeux collectifs de plein air pouvaient prendre des après-midi entières. Seule la tombée de la nuit pouvait avoir raison de notre soif de jouer, de notre débauche d’énergie et de nos éclats de rires.

En hiver, nous nous rabattions sur le jeu de billes (que l’on nommait ‘’doubil’’) dans ses deux versions : le trou (takhjit) et le carré, qui s’appelait aussi ainsi en kabyle mais qui, bizarrement, était en réalité un triangle (la « trianglure » du carré existait déjà !). Je me rappelle de ces parties interminables avec, tout autour des joueurs, un public de spectateurs et où les gagnants étaient presque invariablement les mêmes.

Je me souviens notamment de mon ami Lhoucine qui arrivait avec 4 ou 5 billes en poche et qui, le soir venu, rentrait chez lui avec la capuche de son burnous pleine à ras bord, après nous avoir tous plumés jusqu’à l’os. Parfois, dans ses jours de bonté, il nous redistribuait équitablement et généreusement son tribut pour avoir des camarades de jeu et continuer à nous dépouiller de nouveau.

Mouloud Cherfi

10 Commentaires

  1. Le “bimboo” d’après la description est ce que nous appelions « thabliboult » à Tizi Ouzou dans les années 50-60, dans le kabyle formé du mélange de tous les accents et différentes prononciations de toute la Kabylie, avec peut-être une petite majorité des Ath Yiraten et Ath Douala, mais en fait des gens venus de partout en Kabylie.
    En Kabylie maritime, je crois qu’on appelait ce jeu « thiqechits » (le petit morceau de liège) de « iqechi », le liège (appelé aqechouche ailleurs en Kabylie.)

        • Akhnach c’est le matériau, l’écorce du chêne-liège.
          On dit bien pour les bouchon ou bonde en liège: « thadimt b’khnach » nagh ( selon les versions ou les régions) « gw’khnach »
          Ou encore thaghrast « b’ (gw) akhnach » pour les ruches en liège qui certes de plus en plus rares étant remplacées par celles en bois, plus pratiques surtout pour les apiculteurs…

    • Oui, El Hassi, comme je l’ai dit plus haut, plus à l’est d’Iflissen on dit iqechi ou iferki, même chose.
      C’est avec une « tiferkits » sous l’abdomen comme bouée que j’ai appris à nager qaund j’étais petit.

      • Bonjour KICHI
        oui absolument sauf que le terme Kabylie maritime heurte m’a sensibilité
        IFLISSEN c’est plus authentique et les Iflissen ont le pied marin!!!!

        • Salut, El Hassi. Par Kabylie Maritime, on entend Ath Jennad, Izerkhfaoun, Iflissen, Ath Hsayen, I3ezzouzen, jusqu’à une vingtaine de kms à l’est d’Azeffoun. On dit aussi Iverhriyen en Kabyle. J’ai des parents à Imsounen, Boukellal, Oummaden, Ath R’houna, Thimliline et d’anciens amis de L’3ech ifilkou, Iger n’essar, et la ville de Tigzirt.

        • Tu me rappelles les paroles du poéte Youcef Oukaci du 18ème siècle. Il était de Avizar (Ath Jennad) et se plaignait qu’il n’avait pas assez d’hommes pour combattre les turcs et les tribus kabyles rivales.

          Avizar qlen d’iflissen
          At La3dher d Izerxfawen
          Tegwrayid Vervur d’ Mira
          Ad wteɣ agejdur yissen

          (Avizar est devenu allié des Iflissen et At Leɛḍer font maintenant partie des Izerxfawen. Il me reste Vervur et Mira (deux très petits villages, surtout à l’époque) pour faire mon deuil avec.)

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