Vendredi 10 mai 2019
Les replâtrages ne sont pas une solution à la crise !
Dans les premières pages du roman de l’écrivain chilien Luis Sepúlveda «Le vieux qui lisait des romans d’amour», le docteur Rubincondo Loachamín, fils illégitime d’un émigrant ibérique, accuse à haute voix et sans aucune crainte les gouvernements successifs de toute l’Amazonie, sa région natale, de tous les maux de la terre.
Sa colère monte à son paroxysme, dès qu’il constate les dents pourries de ses patients. Pour les habitants des rives amazoniennes de Zamora, du Yacuambi et du Nangaritza, le fauteuil mobile du docteur était la seule institution valable dans le pays, qui puisse les délivrer de tous leurs maux, non seulement ceux de leurs dents, mais aussi ceux de leur vie quotidienne.
Il y en a même, combien nombreux d’ailleurs, ceux qui, après avoir savouré les diatribes anarchisantes du chirurgien, lequel ne vient pourtant chez eux que deux fois par an, sont prêts à lui offrir leur bouche pour s’arracher sans anesthésie toutes leurs dents, les cariées, les moins cariées, les pourries et mêmes les saines, rien que pour satisfaire son vœu le plus cher : les voir cracher tous dans son bureau les débris de leur dentition et avoir la bouche nette de chicots, afin de pouvoir essayer, après s’être rincé avec l’aguardiente (une eau-de-vie spéciale à base de marc de rhizome), l’un des dentiers neufs, étalés sur un petit tapis violet, près de la table d’opération.
Les dents pourries et les gouvernements pourris, c’est pratiquement la même chose pour ce médecin révolté : pas besoin d’essayer des soins, des réparations, des plombages ou, moins encore des coups de brosse «inutiles» avec la pâte de dentifrice, mais dès que les dents commencent à pourrir, entreprendre vite une seule thérapie : leur arrachage au grand complet, et bien entendu, leur remplacement par un dentier flambant neuf.
Pour absurde et inconcevable qu’elle soit, la métaphore de ce dentiste mérite, malheureusement, toute sa place aujourd’hui en Algérie.
A quoi bon nous sert-il, par exemple, de sélectionner dans un cageot de tomates pourries, le cas de notre système actuel, les pièces qui sont encore comestibles et celles qui ne le sont pas, alors que l’avarie a touché la totalité de la marchandise ?
Voilà le dilemme, et il n’est pas des moindres, pour l’Algérie, durant ce marathon de manifestations houleuses, où la voix de ceux d’en bas appelle avec toute sa force, ceux qui ont pris l’habitude de décider à huis clos de son sort, à quitter carrément la maison, à laisser la place pour les compétences honnêtes pour la diriger, à passer le flambeau à la jeunesse et à ces masses en révolte, longtemps abandonnées à la marge des défis nationaux. «Yetn’haw gâa» est loin d’être un message naïf, les Algériens ont compris, comme notre cher docteur du roman, qu’ils ont affaire à tout un dentier pourri, qu’il faut vite remplacer, vite, vite!