Dans les replis majestueux des montagnes, du Djurdjura, des Aurès, du mont Chenoua, de l’Atlas blidéen…, des peuples vaillants ont trouvé refuge, défiant les assauts des invasions coloniales successives.
Ce sanctuaire naturel, choisi pour ses fortifications intrinsèques, est devenu le bastion de leur résistance. Il leur a permis de traverser des siècles d’histoire et de surmonter tant de crises, en préservant leurs autonomies, leur culture et leur langue au fil du temps.
Pour leur subsistance, ils en ont fait une terre fertile et généreuse. Guidés par la sobriété, loin des artifices de l’opulence, ils ont en effet découvert dans le labeur acharné et le soutien mutuel une source authentique de bonheur.
C’est vraiment inspirant de voir comment ces peuples ont su naviguer à travers les défis et les crises au fil des siècles. Leur histoire montre de manière éloquente le rôle crucial de la gouvernance locale, circonscrite à chaque village, dans leur résistance face aux nombreuses invasions d’ampleurs, ainsi que dans leur quête de libération.
Elle a constitué une réponse systémique face aux chocs et aux crises récurrentes. C’est elle qui a nourri cette capacité à la résilience, c’est-à-dire à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, malgré les conditions de vie difficiles et les traumatismes des guerres.
Ce modèle organisationnel, axé sur la solidarité et la responsabilité collective, doit servir de leçon pour nous tous et inspirer les artisans de l’Etat-national.
L’importance accordée à l’intérêt collectif et la suprématie du droit dont les règles s’appliquent à tous indistinctement constituent des fondements solides pour une société résiliente.
Ces peuples ont compris tôt que l’indifférence face à l’intérêt collectif ne peut qu’accroître leur fragilité, alors qu’une réponse collective démultiplie leur capacité à surmonter les crises et les chocs.
Il est également significatif de souligner le rôle crucial de la solidarité dans ce système d’autogouvernance. Celle-ci a été plus qu’une simple idée politique, elle a été le ciment de leur cohésion sociale, protégeant les plus vulnérables et stimulant l’effort collectif en temps de crise.
Pilier fondamental de leur société, elle est un principe fondamental qui sous-tend l’autorité publique, elle est son socle de légitimité.
L’humanisme a également joué un rôle vital dans la résilience de ces peuples. En cultivant la compassion et le respect mutuel, ils ont pu éviter les conflits internes destructeurs et rester unis face aux défis extérieurs.
Ces valeurs de solidarité, d’humanisme et de responsabilité collective devraient être des sources d’inspiration pour nous tous alors que nous cherchons à construire des sociétés plus résilientes et plus justes.
Au lendemain de l’indépendance, l’autogouvernance locale a légitimement cédé la place au projet de représentation nationale ; tel que promis par Novembre et basé sur les fondements de la Soummam, afin qu’il incarne la souveraineté du peuple.
Cependant, les bouleversements politiques induits par cette transition ont mis en lumière le défi de concilier les traditions ancestrales avec les promesses d’un avenir meilleur.
Ainsi, pour ces peuples, les espoirs de prospérité dans ces régions montagneuses, qui ont servi de zone de repli temporaire, se heurtent malheureusement à la réalité d’un environnement inhospitalier, combiné de surcroît à une forte pression démographique.
En demeurant accrochés à ces contreforts de montagne, manifestement hostiles à la vie, l’espoir va vite s’évanouir pour laisser place à la désillusion. Il est donc tout à fait légitime, pour ceux qui le souhaitent, de chercher à les quitter pour trouver des opportunités sur ces vastes territoires fertiles, devenus vacants depuis le départ des colons, et dans les grandes agglomérations où se concentre l’essentiel de l‘activité économique.
Il s’agit en fait de retourner dans les territoires autrefois abandonnés pour se soustraire à l’autorité coloniale et se préserver leur identité en tant que peuples autochtones.
Cependant, des politiques discriminatoires et des mesures administratives restrictives entravent malheureusement la liberté de circulation et d’établissement, rendant la migration difficile. A cet égard, le justificatif de résidence est devenu l’outil par excellence de ces politiques d’exclusion.
A l’origine, il servait à indiquer son adresse pour d’éventuelles correspondances avec l’administration publique ; aujourd’hui, il est devenu un moyen de trier, de limiter, de bloquer et d’exclure des catégories entières de citoyens. Il conditionne l’accès à l’emploi et au logement ; il est en effet impossible de prétendre à l’un ou à l’autre sans être natif de la wilaya.
Pis encore, ce document est requis pour les inscriptions scolaires, les examens, la candidature au permis de conduire, la demande de carte grise, de carte d’identité nationale, de passeport, de crédit bancaire etc. A cet égard, les critères stricts pour obtenir ce sésame sont extrêmement rigoureux.
Ainsi, ne pas avoir un compteur d’électricité à votre nom vous rendra pratiquement apatride dans votre propre pays.
Même la création du fond d’aide au logement en zone rurale semble obéir à cet impératif de cloisonner les populations, en les appâtant par la contribution de l’Etat, bien que celle-ci soit dérisoire comparée à la mensualité d’un ministre.
Ce dispositif, qui entrave toute mobilité, est toujours en vigueur bien qu’il constitue une catastrophe pour l’environnement en détruisant des écosystèmes et l’habitat de la faune sauvage par la dispersion de maisonnettes sur toute l’étendue des communes concernées.
Au lendemain de l’indépendance, le pays devait effacer les stigmates de la colonisation, parfaire l’intégration nationale et renforcer la cohésion et l’unité en favorisant le brassage des populations. Le rapprochement des populations représente de surcroît une diversification culturelle.
Il était donc nécessaire d’éliminer les barrières et faire tomber tous les murs qui se dressent entre les Algériens et surmonter les incompréhensions.
Cependant, ces politiques, soi-disant conçues pour lutter contre l’exode rural, ont au contraire enfermé les populations dans des cloisonnements qui s’apparentent à une assignation à résidence.
La culture du rejet de l’autre, et le basculement de région entière dans l’idéologie de la haine et du sectarisme ont alors atteint leur apogée.
L’acquisition pour un dinar symbolique du riche et vaste patrimoine foncier et immobilier récupéré par l’Etat après l’indépendance suggère que ces politiques étaient motivées par les appétits et les convoitises des détenteurs du pouvoir et de leur clientèle.
Le sort de ces populations semble donc être scellé par leur lieu de naissance, qui est devenu un fardeau, limitant leur accès à l’emploi et au logement dans d’autres régions du pays. Ces restrictions ont instauré un déterminisme social, piégeant les individus dans un cercle vicieux d’opportunités limitées.
Aujourd’hui encore, il est paradoxal de constater qu’il est plus facile de quitter son pays que sa wilaya. De fortes communautés, issues de ces peuples, se sont de ce fait formées et installées au Canada, en France et ailleurs.
A l’origine de ces politiques attentatoires au principe de l’égalité des chances, on trouve par ailleurs la volonté d’imposer une uniformisation culturelle et le désir de maintenir un pouvoir autocratique.
On a en effet cherché à tenir à l’écart ces populations réfractaires à l’autoritarisme et au totalitarisme, en sachant se préserver des influences idéologiques pernicieuses.
Bien entendu, ce dessein sombre ne pouvait être réalisé qu’en altérant le sens de l’Etat naissant, en sapant ses fondements, en confisquant les libertés et en plaçant le droit sous l’emprise du pouvoir politique.
Il n’est donc pas surprenant que cette aspiration à la liberté, autrefois source de patriotisme pour ces communautés montagnardes, soit désormais la cause de leur stigmatisation, voire de leur malheur.
Aujourd’hui, l’État central, dont la genèse est inachevée, peine à incarner les luttes passées pour la liberté et s’éloigne des idéaux de justice et de démocratie. Pour éviter la désintégration, une transformation radicale de ce système administratif bureaucratique qui fait office d’Etat national est impérative.
Seule une réforme profonde, enracinée dans les principes d’un Etat de droit, de démocratie et de justice et social, peut restaurer la confiance et l’espoir chez ces montagnards, gardiens infatigables de la résilience et de la solidarité.
Hamid Ouazar, ancien député