21 mai 2024
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Lettre ouverte au chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense

TRIBUNE

Lettre ouverte au chef d’état-major de l’ANP et vice-ministre de la Défense

Mon Général,

Je m’adresse une nouvelle fois à vous, directement, pour vous donner mon sentiment, comme les fois précédentes, sur la position de l’état-major de l’ANP dont vous êtes le mandataire, au regard de la crise politique la plus grave que traverse notre pays depuis l’indépendance.

Je le fais avec une sincérité totale, ne doutant pas un instant de votre attachement à l’intérêt supérieur de l’Algérie. Cette lettre doit trancher, dans votre esprit, avec les arrière-pensées qui inspirent telle lettre ouverte de tel de tel Général, vous exhortant à mettre de l’ordre dans la « maison Algérie », après avoir mis en garde l’opinion publique contre votre manque de crédibilité

J’articulerai mon argumentaire autour des sept points suivants :

1. Il est important de veiller à la cohérence de vos interventions successives et à leur constance dans l’affirmation de vos potions. A défaut, l’opinion publique aura le sentiment que vos palinodies qui sont certes à la mesure de l’extrême complexité de la crise politique, ne sont que le reflet de divergences sérieuses au sein de l’État-major (ci-après EM). Or aujourd’hui, tous les protagonistes sont d’accord pour que l’Armée accompagne la transition. Il est donc très important que l’institution militaire donne le sentiment qu’elle est plus unie que jamais.

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2. S’agissant des affaires judiciaires en cours, personne ne reproche à la justice de se saisir enfin des graves délits financiers qui ont été commis, au cours des 20 dernières années. Seulement, les lampistes ne sauraient trinquer pour les commanditaires du crime organisé que, par ailleurs, aucune disposition de la Constitution ne protège contre les poursuites du Parquet. Il n’est pas jusqu’à l’article 177 de la constitution qui décide que les crimes et délits commis par le Président de la République et le Premier Ministre relèvent de la compétence d’une Haute Cour d’Etat, laquelle n’a pas été mise en place (et pour cause) qui ne peut servir de bouclier aux plus hauts membres de l’exécutif, puisque sa mais en œuvre est impossible.

Dans ce cas, afin qu’il n’y ait pas déni de justice, les intéressés devront, le cas échéant, comparaître devant les juridictions de droit commun. Mais d’ores et déjà, on voit l’inconséquence d’une partie de notre élite. Lorsque le ministre de la justice instruit le Procureur de la République de diligenter des enquêtes préliminaires, il ne fait qu’appliquer à la lettre une des principales revendications du Hirak. Mais dès lors qu’il y est procédé, certains poussent des cris d’orfraie en stigmatisant le règlement de comptes. Jusqu’ici, il n’y en a eu aucun, sauf le placement du patron de Cevital sous mandat de dépôt, en méconnaissance, semble-t-il, des dispositions du Code de procédure pénale, pris en son article 123 modifié.

3. Afin de ne pas entretenir le moindre doute dans l’esprit de millions d’algériens qui manifestent chaque vendredi pour un changement radical de régime, il est devenu urgentissime de sortir de l’allusion, en ce qui concerne certaines personnalités (les plus emblématiques, semble-t-il) du Hirak qui seraient inféodées à des officines étrangères, connectées directement aux appareils d’Etat de leurs pays respectifs. Ou bien, il s’agit du fantasme récurrent de la main de l’étranger, auquel cas aucun citoyen algérien n’y ajoutera foi. Ou bien vous détenez des preuves que ces personnalités sont les agents de l’étranger cherchant à imposer un agenda de réformes pour lequel elles ont été instruites, et dans ce cas, il faudra les désigner nommément et engager contre elles, s’il y a lieu, des poursuites en prenant bien soin de respecter le sacro-saint principe de la présomption d’innocence.

4. S’il apparait de plus en plus nettement que l’ex patron du défunt DRS allié au frère cadet de l’ancien Président de la République, sont en train de lancer un défi au Haut Commandement Militaire (HCM), alors qu’ils ne possèdent plus aucune fonction officielle, défi qui prendrait la forme d’une tentative de déstabilisation de l’Armée, il est urgentissime, en votre qualité de vice-ministre de la défense nationale de saisir le Procureur de la République militaire territorialement compétent afin qu’il mettre en mouvement l’action publique. Plus vite sera levée cette hypothèque, plus claire sera alors la situation politique et plus grande sera l’audience de l’EM auprès de la population. Tout ce qui contribue à la clarification des enjeux politiques actuels est le bienvenu et ne saurait être différé au gré des discours qui se succèdent.

5. Il est inconcevable que se tienne une élection présidentielle, le 4 juillet prochain. Vous en connaissez parfaitement les raisons dont les principales sont : l’absence d’un fichier électoral à peu près lisible, l’absence de garanties d’un scrutin régulier et transparent, un taux de participation qui sera, sans le moindre doute, le plus faible jamais enregistré dans l’histoire des nations, depuis qu’existe le suffrage universel. L’obstination à tenir ce scrutin risque de conduire à l’escalade du conflit actuel et générer des conséquences imprévisibles qui placeront l’Armée dans une situation inextricable. Ce danger est encore pire que celui d’une intervention étrangère dont le mode opératoire serait sous-traité à des affidés locaux.

6. Ceci posé,  l’Armée doit mettre en demeure le Hirak de se donner des structures et des représentants, sous réserve de ce qui a été dit au point 3. La situation économique et financière du pays est préoccupante et les plus redoutables épreuves surgiront entre 2021 et 2024, comme vient de le dire, avec l’autorité scientifique et morale qui est la sienne, l’ancien Chef de gouvernement, Ahmed Benbitour. Le Hirak qui n’est pour l’instant qu’une vastitude de segments revendicatifs, ne peut en rester à ce stade, sauf à compliquer la situation et rendre plus aléatoire sa solution ultérieure.

7. Il conviendra de tirer toutes les conséquences de la caducité de la Constitution révisée du 6 mars 2016. Ceci signifie que l’EM doit adopter une Proclamation dans laquelle il déclare que la situation exceptionnelle que connaît le pays ne saurait durer, sans infliger un lourd préjudice à l’ensemble de l’économie du pays et au fonctionnement de ses institutions. A ce titre, afin d’assurer la continuité de l’Etat, il sera utile de mettre en place un Haut Commandement de sauvegarde de la Révolution, au sein duquel le HCM serait évidemment représenté. Ce Haut Commandement disposerait de tous les pouvoirs que la constitution dévolue aussi bien au Président de la République qu’aux deux chambres de Parlement.  

Vous vous rappelez, sans doute, qu’entre 1965 et 1977, la fonction législative, en l’absence d’une Assemble nationale élue, était exercée par le Conseil de la Révolution et le Conseil des ministres, tous deux présidés par le Président Houari Boumediéne, soit sous forme d’ordonnances conciliaires soit sous forme d’ordonnances ordinaires. Il va sans dire que, dans la configuration ainsi exposée, le Chef d’Etat par intérim, le Président du Conseil constitutionnel et le Premier Ministre devront être limogés, cependant que les deux chambres du Parlement et le conseil constitutionnel dissous. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que pourra commencer la période de transition dans sa phase I.

Veuillez agréer, mon Général, l’expression de mes sentiments dévoués et respectueux.

A. M.

Auteur
Ali Mebroukine, Professeur de droit

 




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