20 avril 2024
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L’euthanasie économique (1)

TRIBUNE

L’euthanasie économique (1)

«De l’euthanasie à l’État nazi, il n’y a que quelques lettres d’indifférence ». Lionel Chrzanowski

Quoique la mort constitue l’étape finale naturelle de notre vie, elle semble, grâce notamment aux progrès extraordinaires de la médecine, avoir disparu de notre univers mental et de notre perception visuelle. En particulier, dans les sociétés développées où l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, où les guerres et les famines ont disparu de leur paysage social (du moins jusqu’à présent car, à la faveur de la récession économique actuelle, la famine comme la guerre risquent de perturber cet ordonnancement paisible existentiel).

Ainsi, les limites de la mort ont été considérablement reculées, à tel point que la vie s’apprêterait à tutoyer l’immortalité, selon les vœux de nombreux bonzes amateurs de sciences fictions. En effet la tentation de prolonger indéfiniment la vie enflamme le cerveau de certains scientifiques extravagants.

De nos jours, la mort est vécue comme un échec de la médecine et de la société, qui n’ont pas su pérenniser la vie. La mort est devenue un affront à la dignité de l’homme moderne pétri d’orgueil scientifique. Presque un scandale, voire une anomalie. Pourtant, hier encore, la mort fauchait des êtres dans la fleur de l’âge : la mortalité infantile était très répandue, celle des femmes lors de l’accouchement également fréquente.

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La mort rythmait le cours de l’existence, elle partageait la vie de nos aïeux à la longévité très brève. Le deuil habitait leur maison dès le seuil de la vie souvent abrégée par la maladie ou la malnutrition. Les cimetières ceinturaient leur village ou étaient érigés comme des monuments au centre du village constamment endeuillé. Les enterrements cadencés la vie des villageois. La mort, l’enterrement et le deuil réglaient la vie ritualisée de nos prédécesseurs. Ces moments étaient solennisés.

La mort côtoyait amicalement la vie. Toutes les deux cheminaient ensemble à un rythme accéléré, la mort triomphant de la vie rapidement essoufflée faute de nourriture et de médication.

Aujourd’hui, tous ces rites funèbres ont disparu du paysage social. La mort est occultée. Elle est devenue un sujet tabou. Dans les villes, la majorité des personnes meurent à l’hôpital, souvent dans la solitude, après avoir été maintenues en survie à l’aide d’appareils médicaux déshumanisés, afin de prolonger leur vie pourtant morbide.

Si les instances médicales œuvrent à la sauvegarde de la vie des malades, d’aucuns préfèrent échapper à leur acharnement thérapeutique. Pour abréger leurs souffrances, leur déchéance physique, certains revendiquent leur droit à mourir dans la dignité par le recours à l’euthanasie. Selon les partisans de l’euthanasie, certes, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, mais il ne doit pas s’obstiner déraisonnablement à se livrer à une persécution thérapeutique pour prolonger abusivement la vie. L’euthanasie désigne la volonté du malade de choisir de mourir dans la dignité, sans souffrance. Ce terme, à l’étymologie grecque, signifie « la bonne mort », la mort douce et sans souffrance.

Dans la majorité des pays, l’euthanasie est considérée comme un crime de meurtre passible de réclusion. Au plan de l’éthique, selon les règles de déontologie, le corps médical n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort d’un malade. Cependant, dans les faits, est pratiqué ce que l’on peut qualifier de « lente euthanasie ».

On distingue deux formes d’euthanasie : l’euthanasie passive et l’euthanasie active. Dans la première forme passive, devant un malade en phase terminale, le corps médical cesse tout traitement devenu inopérant, et débranche éventuellement les appareils de survie. L’euthanasie dite passive est assimilée juridiquement à une abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril, aussi est-elle punissable d’une peine d’emprisonnement.

Dans la seconde forme active, à la demande expresse du malade désireux d’abréger ses souffrances, un parent ou un médecin l’aide à mourir afin de le délivrer d’une vie devenue indigne d’être vécue.

La question de l’euthanasie s’invite fréquemment dans le débat. Contre la dépénalisation de l’euthanasie, les détracteurs de l’euthanasie invoquent les risques de dérapages et d’abus. Si l’euthanasie est légalisée, la tentation de supprimer des personnes considérées comme inutiles, infirmes, vieillards vulnérables, est grande. C’est accorder au corps médical le droit de donner la mort.

Si l’État condamne, à juste titre, l’euthanasie médicale, a-t-il le droit, lui, de se livrer à l’euthanasie « économique » ? La question mérite d’être posée à la faveur de la pandémie du Covid-19. Car, par leur incurie dans la gestion de la crise sanitaire du coronavirus, les gouvernements de nombreux pays ont perpétré une véritable euthanasie passive, assimilée judiciairement à une abstention volontaire de porter assistance à des personnes en danger de mort, crime punissable d’emprisonnement.

Au reste, c’est sur ce fondement juridique, que trois ministres de Macron sont actuellement poursuivis par la Cour de Justice de la République pour différents chefs d’accusation, notamment « d’abstention volontaire de combattre un sinistre ».

« La vieillesse est un naufrage. » avait dit Chateaubriand. Mais est-ce une raison pour favoriser son chavirement létal, la précipiter dans l’Outre-tombe ? Or, avec la pandémie du Covid-19, les personnes âgées ont été les principales victimes du virus, décédées dans les hôpitaux sous-équipés ou dans les maisons de retraite transformées en mouroir.

En tout état de cause, les autorités étatiques ne pouvaient ignorer la vulnérabilité des « vieillards » face au virus. Les séniors constituent une cible de choix du virus en raison de leur fragilité physique et de leur comorbidité. Aussi, les maisons de retraite, cibles privilégiées du virus, devaient-elles faire l’objet d’une sécurisation optimale, d’un confinement total pour protéger les résidents de toute contamination. Telle n’a pas été la politique sanitaire des gouvernements de la majorité des pays, notamment de la France, l’Italie, l’Espagne, les États-Unis, le Canada.

Tout s’était passé comme si la mort de ces centaines de milliers de « vieux » avait été délibérément provoquée par l’incurie de la gestion sanitaire, matérialisée par l’absence de mesures de prévention efficaces destinées à protéger les maisons de retraite, et la défaillance de matériels médicaux dans les hôpitaux. Autrement dit, par la faillite de l’État, illustrée par ses manquements condamnables, sa gabegie funeste. La responsabilité de l’État dans cette tragédie du Covid-19 est manifestement avérée, sa culpabilité établie (1).

Certes, ce n’est pas la première « civilisation » à s’adonner au rite de l’élimination des « vieillards », même si ce n’est pas pratiqué de manière ritualisée, permanente, officielle, mais circonstancielle comme lors des deux Guerres mondiales où le grand capital international avait sacrifié plus de 80 millions d’individus afin de déterminer quelle puissance impérialiste aurait l’hégémonie sur l’économie mondiale. D’autres sociétés archaïques se livraient à ces sacrifices des aînés.

En effet, dans certaines sociétés primitives, les « vieux » étaient abandonnés. Les Yakoutes, en Sibérie, expulsaient leurs aînés. Les Koriaks, les éliminaient. Les Esquimaux les laissaient périr dans la neige. Les Tchouktches les étranglaient après leur avoir réservé un ultime hommage offert sous forme d’une cérémonie festive. D’autres les bannissaient, livrés à eux-mêmes en pleine nature.

Néanmoins, sa mise en œuvre en pleine société technologiquement avancée pose problème. Elle interpelle notre conscience. Indéniablement, elle révèle la faillite du système capitaliste. Elle corrobore la preuve de son inhumanité, de sa barbarie.

Effectivement, comment interpréter cette incurie scandaleuse dans la gestion sanitaire du Covid-19, sinon comme une véritable opération d’« euthanasie économique » orchestrée par les gouvernements, exécutée au nom de la rigueur budgétaire, responsable de l’impréparation logistique sanitaire et de la pénurie des équipements médicaux. Que des grandes puissances économiques se révèlent incapables de protéger leurs aînés est moralement scandaleux. Qu’elles abandonnent les séniors dans les maisons de retraite sans soins, sans tests, sans protection, est humainement révoltant ; qu’elles entassent des malades dans des hôpitaux sous-équipés, voués à la mort, est indigne de ces pays capitalistes développés.

Mesloub Khider

1- Mesloub Khider, Covid-19 : stratagème de refondation despotique du monde, Les impliqués éditeur (L’Harmattan), 2020

Auteur
Khider Mesloub

 




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