Samedi 24 octobre 2020
L’euthanasie économique (2)
Pour prendre l’exemple de la France, selon le journal Le Canard Enchaîné publié le 22 avril 2020, une circulaire ministérielle du gouvernement français du 19 mars « suggérait de limiter fortement l’admission en réanimation des personnes les plus fragiles », sous couvert d’éviter l’acharnement thérapeutique (sic), mais en vérité par manque (programmé) de lits pour les plus jeunes.
Le Canard s’interrogeait : « Les vieux ont-ils été privés de réanimation ? ». Il se demandait si « cette circulaire du ministère de la Santé n’aurait pas conduit à une aggravation du bilan de l’épidémie pour les patients les plus âgés ? ». Aujourd’hui, on reprend à notre compte la même interrogation : six mois après le « déconfinement », en dépit du déblocage de centaines de milliards d’euros pour soutenir prétendument l’économie, comment expliquer qu’aucun nouvel hôpital n’a été construit, ne serait-ce que sous forme d’un chapiteau, les établissements de soin manquent toujours cruellement de matériels sanitaires, de lits de réanimation, de personnels soignants ?
N’est-ce pas cette défaillance planifiée qui a conduit à l’aggravation délibérée du bilan de l’épidémie ces dernières semaines, pour justifier et légitimer toutes les mesures antisociales et liberticides promulguées ces derniers mois, décrétées dans le cadre de la militarisation rampante de la société.
En l’espèce, il s’agit d’une véritable opération d’« euthanasie économique », autrement dit d’une extermination des plus faibles, exécutée au nom de la refondation d’un nouvel ordre économique dématérialisé, numérisé, « ubérisé », dominé par le télétravail, purgé de ses infrastructures productives et tertiaires obsolètes et de ses populations laborieuses marginales surnuméraires.
Curieusement, « l’euthanasie économique » des personnes âgées et vulnérables, opérée à la faveur de la pandémie du Covid-19, a une résonnance historique avec une pratique de l’État nazi appelée l’Aktion T4, programme d’extermination de plus de 300 000 Allemands handicapés physiques et mentaux.
L’Aktion T4, appelé aussi « programme d’euthanasie » est un véritable protocole d’élimination des handicapés physiques et mentaux mis en œuvre dès 1939 à la demande expresse d’Adolphe Hitler. À cet égard, il n’est pas inutile de relever que le terme euthanasie contient le mot nazi (euthanazi). L’État nazi voyait ces personnes comme une charge pour la société, n’ayant aucune utilité pour la nation (sic).
Les personnes à exterminer étaient sélectionnées par les médecins et réparties en trois groupes : celles souffrant de maladie psychologique, de sénilité, ou de paralysie incurable ; celles hospitalisées depuis au moins cinq ans ; et enfin celles internées comme aliénés criminels, les étrangers et celles qui étaient visées par la législation raciste nationale-socialiste. Dans l’optique des nazis, les faibles d’esprit et tuberculeux, les enfants atteints de malformations et les vieillards malades, étaient des individus improductifs, antisociaux, mais surtout un fardeau social pour le système sanitaire et financier de l’État. Ils étaient considérés comme de véritables « choses inutiles».
Aussi, l’assistance de ces personnes était un gaspillage, en particulier dans un contexte où le pays devait concentrer toutes ses énergies sur l’effort de guerre (aujourd’hui, en 2020, pour le moment la guerre est économique mais elle ne va pas tarder à se transformer en conflagration armée généralisée).
Les arguments eugéniques et d’hygiène sociale visant la création d’une pure race germanique (aujourd’hui le système capitaliste, avec sa tentative de reconfiguration économique sur fond d’euthanasie de l’économie obsolète et d’euthanasie biométrique des personnes vulnérables en raison du coût de leur entretien et soins, vise à créer une nouvelle race de producteurs numérisés et de consommateurs d’e-Commerce, autrement dit une société sans usines et sans commerces physiques de proximité, devenus coûteux, désuets) se mêlaient aux exigences utilitariste, chères aux libéraux.
Quoi qu’il en soit, les gouvernements ne peuvent pas s’exonérer de leur responsabilité dans cette tragédie en arguant qu’ils ignoraient la menace de l’épidémie du coronavirus. Depuis plusieurs années, les scientifiques n’ont pas cessé de tirer la sonnette d’alarme. Les autorités médicales internationales (OMS) comme les États de tous les pays étaient informés de la menace d’une épidémie liée aux coronavirus.
Or, comme on le constate dramatiquement aujourd’hui, aucune politique de santé prophylactique n’a été instituée. Les États ont délibérément ignoré les recommandations des autorités médicales en refusant de développer une véritable politique de santé. Pour des raisons de restrictions budgétaires, ils ont détruit le système de santé, notamment le secteur de prévention sanitaire. Car, pour le capitalisme, les dépenses de prévention sont « improductives» – c’est-à-dire ne produisent pas de profit. Aussi, l’État, organe de domination de classe, alloue-t-il un financement dérisoire à ce poste budgétaire jugé en matière de rentabilité « stérile ».
Comment expliquer cette barbarie à visage démocratique ? En premier lieu, comme on l’a souligné plus haut, du fait des restrictions budgétaires, responsables ces dernières années du démantèlement des hôpitaux et de la réduction des effectifs des personnels soignants.
Mais, plus globalement, cette politique sanitaire dépourvue d’humanité s’inscrit dans une «philosophie» de l’existence libérale où l’intérêt individuel prime sur les besoins primordiaux collectifs, conception particulièrement répandue parmi les classes dirigeantes cyniques, au sein des instances gouvernementales et entrepreneuriales.
La mondialisation libérale a converti l’ensemble des dirigeants à la logique comptable en matière de rapports sociaux. Pour cette pensée marchande vénale, l’homme n’est pas la fin de l’organisation sociale et politique mais seulement le moyen.
Enserré dans l’idéologie du culte de la performance et de la compétition, l’homme est assujetti à des impératifs économiques supérieurs : la conquête des parts de marché, l’accroissement de la productivité, l’expansion de la rentabilité des capitaux, l’extension illimitée de l’économie libidinale de la jouissance personnelle et du divertissement individuel. De là s’explique que, pour le système capitaliste, les individus ne sont dignes d’intérêt que dans la mesure où ils constituent une marchandise active, un objet dynamique capable lui-même de consommer d’autres objets.
Dès lors qu’ils perdent leur force productive et leur dynamique consommatrice, autrement dit ils vieillissent ou deviennent inaptes au travail, ils deviennent des objets à charge, un coût. Aussi, la reconnaissance de leur qualité humaine et de leur dignité sociale disparaît-elle au sein de la société capitaliste. Corrélativement, doivent-ils se résoudre à accepter leur disparition, leur dépérissement. Pour les gouvernants, les personnes âgées ne constituent qu’un amas d’objets rouillés destinés à être jetés à la casse.
En vertu de la conception de l’obsolescence programmée chère aux libéraux, à l’instar de Schumpeter, fondateur de la théorie de la « destruction créatrice », les personnes fragiles, invalides, âgées, inutiles, devenues surnuméraires, doivent ainsi abréger leur durée de vie, autrement dit se laisser mourir, du coronavirus ou de quelque maladie chronique inoculée par le système capitaliste pathogène. *
Plus exactement, c’est l’État qui se charge d’abréger leur durée de vie par leur mise à mort précipitée, au moyen de l’application de la politique d’«euthanasie économique », dans le cadre de la conception malthusienne, cette mort volontaire organisée par les gouvernements par leur incurie volontaire, pour résoudre à leur manière scélérate la question des retraites et du déficit de la sécurité sociale, de la démographie surnuméraire.
Qu’importe le moyen, l’essentiel est la disparition des « vieux », des fragiles, pour être remplacés par une nouvelle génération réifiée de producteurs et de consommateurs génétiquement modifiés. La propagation mondiale de cette doctrine libérale utilitariste a infecté toutes les classes dirigeantes, pour qui l’avoir a remplacé l’être, la quantité a effacé la qualité, l’esprit marchand a englouti les valeurs morales.
Aussi, dressés comme des machines à commander, accoutumés à observer la vie uniquement par le prisme de la quantité, des statistiques, des courbes et des nombres, les technocrates modernistes sont-ils dépourvus de toute empathie, incapables d’évaluer l’impact inhumain de leurs décisions. Avec leur logique comptable, leur cerveau en forme de calculette, la vie devient une abstraction, la société une irréalité, les rapports humains sont réifiés, la gouvernance chosifiée.
Pour escamoter leur incompétence, ils se dissimulent derrière les courbes statistiques, les chiffres comptables. Leur reproche-t-on la réduction des lits d’hôpitaux, les technocrates s’abriteront derrière les restrictions budgétaires. Leur reproche-t-on la défaillance des équipements médicaux (masques, tests, respirateurs), ils brandiront, dans un langage technique abscons, l’argument spécieux de « la conformité aux règles comptables exigées par les instances économiques supranationales garantes d’une gestion optimale en matière de sécurité établie selon les normes de fonctionnement en flux tendu en cours dans toutes instances gouvernementales » (sic).
Leur présentera-t-on un tableau dramatique du nombre de femmes et d’hommes morts du fait du Covid-19, ils ne verraient qu’abstraction chiffrée et non une réalité humaine décimée.
Nota bene : Pour ceux qui douteraient des plans machiavéliques des gouvernants, depuis des années animés par le projet d’institution de l’Euthanasie Économique, voici ce qu’écrivait déjà en 1981 un de leurs serviteurs et fidèles conseillers, Jacques Attali. En effet, dans le livre « l’Avenir de la Vie » (Segher éd.), publié par Michel Salomon, Jacques Attali déclarait : (…) « dès qu’il dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société. D’où je crois que dans la logique même de la société industrielle, l’objectif ne va plus être d’allonger l’espérance de vie, mais de faire en sorte qu’à l’intérieur même d’une durée de vie déterminée, l’homme vive le mieux possible mais de telle sorte que les dépenses de santé seront les plus réduites possible en termes de coûts pour la collectivité ».
Quelques lignes plus loin, il avait déclaré : « en effet, du point de vue de la société, il est bien préférable que la machine humaine s’arrête brutalement plutôt qu’elle ne se détériore progressivement ». (…). « On pourrait accepter l’idée d’allongement de l’espérance de vie à condition de rendre les vieux solvables et de créer ainsi un marché. Je crois que dans la logique même du système industriel dans lequel nous nous trouvons, l’allongement de la durée de la vie n’est plus un objectif souhaité par la logique du pouvoir ». (…) « L’euthanasie sera un des instruments essentiels de nos sociétés futures dans tous les cas de figures ». (…) « Dans une société capitaliste, des machines à tuer, des prothèses qui permettront d’éliminer la vie lorsqu’elle sera trop insupportable, ou économiquement trop coûteuse, verront le jour et seront de pratique courante. Je pense donc que l’euthanasie, qu’elle soit une valeur de liberté ou une marchandise, sera un des règles de la société future », préconisait-il. (…) « La production de consommateurs et leurs entretiens coûtent cher, plus cher encore que la production de marchandises elles-mêmes.
Les hommes sont produits par des services qu’ils se rendent les uns aux autres, en particulier dans le domaine de la santé, dont la productivité économique n’augmente pas très vite. ». « La productivité de la production de machines, augmente plus rapidement que la productivité relative de la production de consommateurs. Cette contradiction sera levée par une transformation du système de santé et d’éducation vers leur marchandisation et leur industrialisation. ».
Pour les puissants, l’euthanasie économique constitue une variable d’ajustement économique censée réduire les coûts d’entretien de personnes « improductives », « inutiles » à la société.
Mesloub Khider