Dimanche 25 mars 2018
L’incongruité du retour de l’idée de la Constituante
Je lis dans de nombreuses propositions, y compris dans le programme d’un parti d’opposition qui semble être sérieux, la revendication d’une Constituante. Une vieille idée que nous avions proposée à l’époque, portée par Ait-Ahmed, et dont j’avais, en principe, la charge de mener la réflexion.
Je dis, en principe, car nous avions eu à peine le temps de l’exposer par quelques articles de journaux que j’avais rédigés. Nous avions échoué dans notre combat politique et ce fut la mort de cette idée de Constituante dont tout le monde parle et peu en connaissent la réalité juridico-historique.
Évoquer le terme de Constituante, dans les conditions actuelles de l’Algérie est une incongruité politique autant que juridique. Essayons de l’expliquer.
Ce terme peut s’agir, d’une manière générique, à qualifier n’importe quelle assemblée (ou organisation) qui mènerait un processus de création ou de réforme constitutionnelle. Bien qu’il s’en rapproche par quelques éléments de procédure au sens générique, ce n’est absolument pas le sens que nous lui avions donné pour le cas algérien, à cette époque.
La Constituante, dans l’esprit retenu, est le terme connu mondialement comme étant la référence aux lendemains de la révolution de 1789 lorsqu’il a fallu aux révolutionnaires tout reconstruire. Cela se passe parfois, suite à des tragédies ou de grands bouleversements dans le monde.
Dans cette acception précise du terme, la Constituante suppose que le régime politique et les institutions du pays se soient totalement effondrés ou soient dans un blocage historique tel qu’il est nécessaire de tout remettre à plat et de reconstruire.
Et c’est là notre plus grossière erreur dont nous assumons toutes nos responsabilités (en tout cas, moi-même). Nous avions pensé que les événements importants qui avaient soulevé la population algérienne, dans la fin de la décennie précédente, avaient créé une situation irréversible.
Nous n’étions pas des abrutis pour penser que ce régime avait disparu mais nous avions pensé, tout à fait honnêtement, qu’il ne pouvait plus s’engager dans la voie qui fut la sienne et que c’était le moment de remettre tout à plat, dans un processus de consensus national.
Et patatra, voilà que la population se divise en deux, dès le surgissement des problèmes qui ont secoué la société. Une partie s’est réfugiée dans la radicalité religieuse et donc dans la folie sanglante et meurtrière, ce qui est toujours le cas dans l’histoire pour cette position. Et la seconde s’est réfugiée dans les bras du régime militaire, heureux d’avoir un quitus pour des décennies encore.
Et c’est ainsi que l’idée de Constituante fut morte et enterrée. Qu’en est-il aujourd’hui puisqu’elle resurgit ?
Répétons-le, c’est une incongruité de penser la ressusciter dans les conditions actuelles. Même pas, d’ailleurs, dans l’acception édulcorée que nous avions décrite, c’est à dire dans un processus simple et habituel de modification constitutionnelle.
La Constituante n’a aucun sens avec un État fort et légitimé, encore plus puissant qu’il ne l’a jamais été. La population fait la queue pour aller voter, les démocrates (à leur sens) se bousculent pour être élus et les intellectuels trouvent grâce dans le système économique mis en place par les oligarques. Rien ne justifie dans ces conditions une vaste opération de Constituante si ce n’est la comédie habituelle des transformations cosmétiques du texte pour amuser et occuper la population.
Tout cela est absurde et ne correspond à rien de ce que nous avions proposé. Le terme de Constituante est usurpé, à un point scandaleux, si ce n’est risible. Pour organiser une Constituante, il faut, pour le moins, un régime défait et un soulèvement général qui détruise les vestiges institutionnels d’un passé banni. Ce n’est visiblement pas le cas, de très loin.
Personne ne demande l’insurrection d’un pays pour mettre en place un Constituante. Personne ne veut le malheur, déjà assez grand pour les algériens. Personne et, encore moins, ceux qui sont protégés par une résidence à l’étranger. Ce terme, je ne l’ai jamais plus prononcé jusqu’à aujourd’hui, pour en dénoncer une utilisation trompeuse.
De plus, on peut librement polémiquer sur une question syntaxique et juridique d’une proposition qui fut réellement la nôtre, en son temps.