Par histoire j’entends très modestement un rappel très minimaliste pour juste accompagner ma vision opposée aux constructions fantasmées. Il ne faut jamais l’enrober de philosophie et d’enthousiasme démesurés. Ce sont les meilleurs moyens de déformer l’histoire et au final ne pas servir l’idéal qu’on voudrait bien lui accorder.
L’événement de l’Assemblée générale de l’ONU me donne une troisième opportunité d’avoir un regard décalé en se tournant vers ce qui est oublié ou mal reproduit dans la mémoire collective. C’est cela mon clin d’œil de mes trois titres. Il est malicieux en disant à son interlocuteur, regarde ce qui est caché et que personne ne veut voir tant il est visible.
Dans cette affaire de l’ONU il faut aller très loin. Comme je l’ai souvent dit dans mes chroniques, remontons à une tarte à la crème qui nous permet de borner le temps, c’est-à-dire la civilisation grecque. Il est incontestable qu’il s’agit d’un apport considérable pour la philosophie, donc de la pensée humaine et des sciences. Tout cela est documenté sans le moindre doute.
Mais c’est lorsque nous abordons la question du lien entre l’avancée de la pensée et de la technique avec la naissance de l’humanisme et de la paix qu’ils sont supposés apporter, je ne me fâche pas mais je me retiens avec force.
La société grecque antique a été tout sauf pacifique, paisible et sécuritaire à la dimension de son récit hollywoodien. Le culte de la guerre et de la force, l’esclavagisme porté au rang des droits, une exclusion des femmes et des étrangers dans la vie de la Cité ainsi que la compétition sportive qui n’avait de but que la démonstration de la force. Pour un peuple qui a inventé deux dieux de la guerre, parfaitement intégrés dans la pensée mythologique, j’ai connu mieux comme idéal d’une société voulant promouvoir la paix et la sécurité.
Pourtant l’humanité a toujours été à la recherche de la paix et de la sécurité. Mais c’est un mensonge historique de penser que l’évolution de cette idée est la conséquence directe d’une évolution des connaissances.
Les millénaires qui ont suivi ont été épouvantables en guerres meurtrières et férocité. En même temps les traités de paix ont été aussi nombreux. Comment se fait-il ? Eh bien c’est simple, l’objectif des traités est de sécuriser les intérêts de chacune des parties, en vie comme en intérêt de richesse. Chaque belligérant essayant de s’accaparer des territoires, du pouvoir et des richesses de l’autre comprend à un moment que si sa force ne lui assure pas la victoire écrasante espérée, il est préférable de négocier. Le feu reprend toujours ses droits sur le terrain lorsqu’il est alimenté par le désir de retenter sa chance pour définitivement gagner.
Très paradoxalement, les deux évolutions semblent donc cohabiter tout au long de l’histoire, celle de la guerre et celle des connaissances. Les guerres puniques, les massacres des guerres de religion en Europe, les invasions barbares, les empire coloniaux et des centaines d’autres péripéties supposées être arrêtées par l’évolution des savoirs et la massification de plus en plus élargie de l’éducation.
L’idée de l’humanisme et de la paix a resurgi à chaque fois et à chaque fois elle fut enterrée. Sa version qui se rapproche à celle que nous connaissons à l’époque contemporaine, est née au seizième siècle. Elle est réapparue avec la déclaration des droits du citoyen dans la période du dix-huitième siècle, celui des lumières où la pensée et la science avaient connu un bond considérable. À chaque fois entrecoupée de massacres.
Et c’est ainsi que nous approchons de l’idée humaniste de l’ONU. Elle connait sa première naissance après la boucherie de la première guerre mondiale qui a entraîné la création de son ancêtre, la SDN (Société des Nations). Il faut rappeler que le conflit ne date pas de cette guerre mais est la conséquence lui-même de la défaite prussienne de 1875 après des combats féroces et dévastateurs.
Alors, une fois encore la SDN servira de moment de tentative de paix et de sécurité dans le monde occidental. Son universalisme s’arrêtait effectivement aux portes des grandes puissances européennes et de l’Amérique. Bien entendu, vous devinez ce qui se passera très rapidement.
Le Traité de Versailles fut un chef d’œuvre d’imbécilité car son but était surtout d’humilier et de faire payer l’Allemagne. C’est certain qu’à ce prix, la frustration et la misère des années trente allaient mener à la naissance de l’ultranationalisme et encore une fois, à l’horrible. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’idée, « jamais plus cela ! », est revenue pour en arriver à la création de l’ONU en 1945. Demandez aux Palestiniens si cet horrible qu’ils ont vécu eux aussi a connu sa fin avec la création de l’ONU.
La pensée et les connaissances maîtrisent au mieux qu’elles le peuvent la tentation de la désolation. Leurs périodes sont malgré tout de plus en plus fastes et la généralisation de l’instruction n’a jamais été aussi forte et étendue.
Seulement, comme le lait sur le feu, ne jamais baisser la garde et ne pas tomber dans la naïveté. L’ONU est absolument nécessaire mais elle doit arrêter de se comporter en forum de longs et ennuyeux discours que seule la politesse fait écouter.
En conclusion, la fabuleuse progression des savoirs en Amérique n’a pas empêché la création d’un monstre fasciste qui n’a d’ambition que dans la force, le pouvoir écrasant et la conquête de territoires pour leurs richesses.
Des monstres, il y en aura toujours mais il faut tout simplement les surveiller et les mettre hors d’état de nuire le plus tôt possible avant qu’il ne soit trop tard. L’Amérique s’était endormie avec son extraordinaire avancée de la culture libérale est des connaissances. Elle paye aujourd’hui le prix de son arrogance à avoir cru à ses pouvoirs définitifs de démocratie et de maitrise des savoirs.
Boumediene Sid Lakhdar