Mercredi 7 février 2018
L’opposition est-elle vraiment en marche ?
Les lignes bougent dans la sphère nationale et les grandes manœuvres ont commencées dans les états-majors des partis en perspective des présidentielles de 2019.
Mais le terrain est glissant car la scène politique nationale est caractérisée par une ébullition sociale fortement exacerbée par la diminution des réserves financières du pays, ce qui n’a pas empêché des corporations syndicales autonomes de poser quelques exigences aux ministres des secteurs concernés, santé et éducation notamment, qui pour l’heure, n’ont rien de concret à leur proposer, si ce n’est de les appeler au dialogue. Cette tempête syndicale qui est d’une actualité brûlante ne semble pas indisposer ou pour le moins accaparer l’esprit du gouvernement dans son ensemble. On n’a pas vu un quelconque ministre du gouvernement Ouyahia monter au créneau pour défendre ses collègues Benghebrit ou Abdellaoui.
Le premier ministre Ahmed Ouyahia s’est muré quant à lui dans un silence bien étrange. A-t-il déjà tout dit de ce qu’il devait dire lors de sa dernière conférence de presse ? Est-il obligé de se taire parce qu’il a été recadré par le président de la République pour ses précédents propos sur la situation financière du pays qui ont, paraît-il, affolés la population ? Va-t-il lui-même tancer le ministre du commerce, Mohamed Benmeradi, qui vient de déclarer que « le feu est dans la maison ! », ou laisser le soin au président de la République de rappeler à l’ordre ce membre du gouvernement et néanmoins lanceur d’alerte ? L’air d’Algérie est à l’évidence « vicié » en ces temps de crise, ou même le responsable de l’UGTA Abdelmadjid Sidi Saïd est obligé d’adopter un profil bas, pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu, disent certains. Quant aux partis politiques, même si majoritairement ils reconnaissent la légitimité des grèves, ils ne font pas grand chose et ne versent pas dans la surenchère pour ce qui est des partis proches du pouvoir.
D’autres en revanche, n’hésitent pas à mettre le doigt sur la plaie, feignant d’ignorer que des dépassements hasardeux et incontrôlés de la rue auraient des conséquences imaginables dans un contexte de révolte comme celui que nous vivons. Globalement, dans le camp de l’opposition hormis quelques déclarations ponctuelles du RCD, du FFS, du PT ou de Jil Jadid, les partis donnent l’impression d’avoir abdiqué. Comment ne pas le croire dès lors que depuis l’ouverture pluraliste, les formations politiques agréées n’ont pas été capables de présenter le moindre programme alternatif, l’usure du temps et de non renouvellement de leurs cadres dirigeants, les mêmes depuis leur création, ont fini par leur ôter toute leur crédibilité, comme le montrent leur absence d’emprise sur la société ou leur faible score électoral dans les scrutins où ils ont concourus ! Il faut le dire, ces partis n’ont jamais constitué une menace pour le pouvoir qui à sa guise, les marginalise beaucoup plus qu’il ne les manipule, au gré de son propre agenda.
La même analyse vaut pour la majorité des associations « bidons » qui prospèrent et profitent allégrement des subventions généreusement versées par l’Etat et les collectivités locales. Sans contrepartie ni bilan à présenter. De ce qui précède, certains observateurs de la vie politique algérienne en sont venus même à plaider pour la dissolution de la classe politique actuelle qui, disent-ils incarne l’échec total du concept de l’ »opposition ». Une classe politique juste capable d’animer quelques kermesses populaires à la veille des carnavals électoraux ! Ces partis stérilisent le pluralisme en Algérie, selon la formule utilisée par un intellectuel ! Et comme si cette critique lui était personnellement adressée, le président de Jil Jadid, Soufiane Djilali a choisi ce timing pour rendre publique sa proposition d’aller vers une « candidature unique » de l’opposition à la présidentielle de 2019. Une proposition qui reste, selon lui, valable uniquement dans le cas où le prochain scrutin serait ouvert. L’idée doit interpeler tout le monde a dit l’intéressé qui ainsi escomptait mettre « en marche » l’opposition. L’ayant bien évidemment écouté mais pas apprécié, Abderrezak Makri, le chef du MSP a soutenu que « dans un contexte de situation financière et économique préoccupante, ce n’est pas le moment de parler ni d’un 5ème mandat, encore moins d’un candidat unique de l’opposition qui aura peu de chances d’être élu parce que le pouvoir reste assez puissant pour consacrer, encore une fois, la fraude ».
En un mot, il refuse de joindre le mouvement « en marche » initié par Soufiane Djilali ! L’idée est a priori séduisante, mais elle suppose un abandon des partis et partant de leurs chefs, de leurs propres ambitions. Elle ne sera pas facile à adopter ni dans le camp des partis dits démocratiques encore moins dans ceux se réclamant de la mouvance islamiste. Les présidentiables de l’opposition accepteront-ils l’idée d’un candidat unique ou bien c’est le chacun pour soi qui va prévaloir pour 2019 ? En l’état des événements politiques, peut-on conférer un brevet de représentativité à l’opposition «désunie» du Mazafran, au regard de la faiblesse de son enracinement social réel, du caractère parfois squelettique du nombre de ses militants, de la pauvreté de sa doctrine et de l’indigence de son programme, comme on l’a affirmé supra ? Et si l’on ajoute à cela les «egos» démesurés de ses chefs, ce n’est pas demain la veille qu’émergerait, de leurs rangs, une candidature consensuelle parmi les candidats déclarés ou potentiels. A moins que Soufiane Djilali n’envisage de soumettre à ses pairs l’idée d’organiser une « primaire » pour mettre sur le même pied d’égalité les candidats possibles ?
Rappelons que les primaires ne sont pas interdites par la loi ; toute l’Europe politique, ou presque, a adopté ce système et les candidats, ex-présidents de la République inclus, s’y soumettront. Défendre l’idée d’une primaire, c’est permettre aux militants politiques de dire leur mot concernant le choix du champion qui portera leurs couleurs à l’élection présidentielle de 2019. In fine, celui qui est désigné devient, instantanément, incontestable et incontesté dans son camp.
Pour les partis politiques qui viendraient à adopter ce système, ils auront l’avantage de montrer la différence qui existe entre leur propre parti jouant la transparence, les pratiques occultes du pouvoir et celles des autres organisations politiquement fermées, refusant l’idée des primaires. On n’en est pas là pour l’instant car l’idée de Soufiane Djilali ne semble pas avoir rencontré l’écho escompté. Mais peut-être que Louisa Hanoune, la secrétaire générale du PT aura plus de chances lorsqu’elle déroulera l’’initiative de sortie de crise » qu’elle a promis, urbi et orbi. Pour autant, va-t-elle dire que la crise algérienne étant d’essence politique et que, par conséquent, son dénouement ne peut être que politique ? Va-t-elle exiger la dissolution du parlement et du Sénat non représentatifs à ses yeux ? Va-t-elle aussi demander le départ du gouvernement et surtout de tous les ministres qui n’ont pas à ce jour, saisi la nature des problématiques des départements dont ils ont la charge ? Ira-t-elle jusqu’à demander le départ du président de la République, elle qui était jusque là foncièrement contre cette idée récurrente des opposants qui exigeaient des élections présidentielles anticipées ? Pour l’heure, l’opinion publique retient son souffle.