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Lu pour vous – Saïd Mekbel : Chroniques d’une vie (1963-1994)

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Redécouvrir Saïd Mekbel aujourd’hui, c’est plonger dans une époque où écrire relevait de l’engagement, parfois au péril de sa vie.

 Saïd Mekbel – Chroniques d’une vie (1963-1994), publié en 2025 aux éditions Chiheb, est bien plus qu’un simple recueil de chroniques : c’est la mémoire vivante d’un journaliste algérien qui, sous les pseudonymes d’El Ghoul puis de Mesmar Dj’ha, a raconté, disséqué et dénoncé la société algérienne de 1963 aux premières années du terrorisme.

Préface d’Arezki Matref

L’ouvrage s’ouvre sur l’interface rédigée par Arezki Matref en septembre 2022. Il décrit Saïd Mekbel comme un « billettiste courageux et confiant », assassiné le 3 décembre 1994 dans une pizzeria à Hussein-Dey (Alger), pendant sa pause-déjeuner. Mekbel était alors directeur par intérim du quotidien Le Matin. Son nom reste gravé dans l’histoire du journalisme algérien comme martyr de la profession et symbole des combats pour la liberté d’expression pendant la « décennie noire ».

Introduction signée Nazim Mekbel

« Cet ouvrage aurait dû être publié par Saïd Mekbel lui-même. En 1991, il préparait la maquette pour éditer ses chroniques El Ghoul. Mais les conflits au sein d’Alger Républicain, puis la création du quotidien Le Matin, retardèrent l’échéance. L’avènement du terrorisme et l’intérim de la direction après le départ du directeur firent passer la survie avant le livre. » – Nazim Mekbel

Une œuvre choisie, contextualisée, transmise

Nazim Mekbel, fils de Saïd, n’a jamais prétendu publier l’intégralité des billets de son père. L’entreprise était impossible. Dans l’épilogue, il précise sa méthode : sélection thématique, mise en contexte historique, ajout ponctuel de notes manuscrites, sans jamais intervenir dans l’écriture.

« Il n’était pas question pour moi d’intervenir dans ses écrits mais d’apporter des indications dans le contexte du moment, en rajoutant quelques fois ses propres notes afin d’accentuer ses propos. »

Chaque chronique est replacée dans sa temporalité politique, sociale et médiatique : années 1960, ouverture de 1989, violence armée des années 1990. L’objectif n’est pas l’exhaustivité, mais la compréhension : permettre aux nouvelles générations de saisir ce que signifiait écrire dans l’Algérie de ces décennies.

Un parcours journalistique sans confort

Physicien de formation, Saïd Mekbel choisit le journalisme par vocation. Il débute à Alger Républicain en 1963 comme critique de cinéma avant de signer ses premières chroniques sous El Ghoul puis Mesmar Dj’ha. Il écrira plus de 1 500 billets, souvent satiriques, toujours engagés.

« Mon pays a plus besoin d’un journaliste que d’un physicien, parce qu’il a besoin qu’on parle de lui, question de survie. »

Après le premier attentat auquel il échappe :

« Avant, quand on me reconnaissait dans la rue, les gens souriaient, riaient. Aujourd’hui, ils me serrent la main en me disant : que Dieu vous garde. »

Dans Le Matin, il adopte définitivement le nom de Mesmar Dj’ha, ce « clou de Dj’ha qui dérange partout où il est planté ».

Le dessin : prolongement de la plume

Le recueil rappelle aussi la facette graphique de Mekbel. Quelques dessins, publiés dans Alger Républicain puis Le Matin, prolongent la chronique par l’ironie et la lucidité.

Avril 1991 : schéma d’atome pour illustrer la logique électorale.

8 novembre 1990 : couple face à la pénurie : « Je n’ai pas réussi à avoir les patates. Pour midi tu feras semblant de faire des frites et nous on fera semblant de les manger. »

Juin 1990 : absurde politique résumé : « voter contre sans être pour », « voter pour sans être avec ».

Compter les morts

Les carnets manuscrits de 1994 révèlent la froideur des notes de Mekbel.

 Il y consigne les assassinats : journalistes, ingénieurs, civils, tous alignés sans commentaire.

Le 3 décembre 1994, le GIA revendique son assassinat via un tract faxé à la rédaction du Matin, repris dans El Watan et signé Mohammed Saïd. Mekbel est qualifié de « renégat », « mécréant », « propagandiste du pouvoir » et mentionné comme directeur par intérim depuis août 1993. Le tract justifie la mort des journalistes et déclare leur exécution « halal ». Ce jour-là, Mekbel meurt dans un petit restaurant d’Hussein Dey.

Ce voleur qui… : prémonition et hommage

La chronique Ce voleur qui… rend hommage aux victimes du massacre de Boufarik, survenu dans la nuit du 30 novembre 1994 : cinq décapités, dont deux journalistes. Mekbel rédige son texte pour l’édition suivante. Ironie du sort, il est publié le jour même de son assassinat.

Mekbel sera la 24ᵉ victime d’une liste dépassant cent noms dans la corporation des médias. Son épouse apprendra la nouvelle à Paris, lors d’une marche des démocrates.

Dans un manuscrit de septembre 1994 : « Le terrorisme cherche un profit médiatique, c’est pourquoi l’assassinat d’un journaliste « intéresse, le terrorisme justifie l’assassinat d’un journaliste en disant qu’il est un allié du pouvoir ». »

Billets choisis : ET MON STYLO ?

Je me trouvais hier dans l’autobus, debout près d’un étranger d’une trentaine d’années qui essayait d’impressionner une jeune fille, laquelle n’avait pas du tout l’air convaincue.

Je tressaillis tout à coup : l’étranger en question prétendait être l’auteur de Mesmar Dj’ha et disait user d’un pseudonyme.

Pour prouver ses dires, il énuméra de nombreux titres de billets et en récita même un. La jeune fille sortit alors de sa réserve et, les yeux brillants d’admiration, lui dit qu’elle appréciait beaucoup ce qu’il écrivait et qu’elle le lisait tous les jours.

Comblé d’aise, le monsieur lui signa un autographe au dos d’une carte. Et lorsque nos regards se croisèrent, il me demanda :

— Vous aussi, vous en voulez un ? Quel est votre nom ?

Machinalement, je déclinai mon identité.

Sans se démonter, le monsieur griffonna sur un bout de papier :

— « À Saïd Mekbel, fraternellement, Mesmar Dj’ha. »

À l’arrêt suivant, il accompagna la jeune fille qui n’avait rien remarqué et s’éloigna…

en emportant le stylo qu’il avait pris négligemment dans la pochette de ma veste.

Mesmar Dj’ha

7 février 1964

Les photographies

Le livre contient également une série de photos marquantes :

Saïd tenant un tableau à l’École Maudet, Béjaïa

Saïd et son père

Contremaître à l’EGA, 1969

Équipe d’Alger Républicain, Maison de la Presse, 1989

Soirée du n°100 du Matin

Réunion des responsables de journaux de gauche : A. Fettani, Omar Belhouchett, Z. Souissi, S. Mekbel, H. Larbi

Ces images prolongent la mémoire visuelle, offrant un regard intime sur l’homme et le journaliste.

Un livre nécessaire

Ce recueil n’a pas vocation à sacraliser. Il restitue un homme dans ses doutes, ses colères, son humour, sa fatigue. Nazim Mekbel le rappelle avec justesse : ce livre n’est pas un ouvrage d’histoire, mais la trace écrite d’un acteur de son temps.

Relire Saïd Mekbel aujourd’hui, c’est mesurer ce qui a changé et ce qui demeure. Les formes ont évolué, les supports aussi. Mais la question centrale reste : que signifie être journaliste dans une société traversée par la violence, la peur, la manipulation ?

Saïd Mekbel – Chroniques d’une vie (1963-1994) n’apporte pas de réponses définitives. Il rappelle simplement qu’à certaines périodes, écrire était un acte de résistance. Et que certaines plumes, une fois brisées, ne se remplacent pas.

Djamal Guettala 

Auteur : Nazim Mekbel 

Editeur Chihab Algérie. Parution : décembre 2025 Disponible pour le Moment  en Ebook sur La Fnac, Decitre France 

Version papier Algérie sur Simseem

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