C’est une affirmation qui peut sembler très surprenante et même erronée pour beaucoup. L’étymologie du mot établirait pourtant une certitude sur son sens puisqu’en grec « dêmos » est le peuple et « kratos » est le pouvoir. Une unanimité indiquerait par conséquent une volonté générale et absolue des citoyens à prendre une décision identique, ce qui serait l’une des conséquences possibles et légitimes de la démocratie.
On crédite d’ailleurs la Grèce antique d’avoir été le berceau de la démocratie. Je pense qu’on en fait dire un peu trop à cette naissance car il s’agissait, nous disent les écrits, seulement de discussions sur les affaires de la cité sur le forum d’Athènes entre érudits et hommes de pouvoir. Nous sommes loin de la question majoritaire ou celle de l’unanimité.
Néanmoins nous devons convenir que la Grèce antique est incontestablement la matrice de la démocratie si nous nous restreignons à la notion et à la doctrine et non à son application. Il nous reste maintenant à examiner le second élément indispensable de la démocratie, soit le concept de majorité. Il a fallu presque trois mille ans pour qu’on perçoive enfin sa « théorisation » puis son usage. Sans compter que le parcours semble éternel avec ses remises en cause permanentes.
En cette question il donc faut toujours faire attention aux envolées lyriques. Davantage lorsqu’on évoque l’unanimité comme étant l’accord ou le désaccord général de tous les représentants des citoyens sur un sujet.
La première preuve est celle qui nous est très facile de convoquer pour notre démonstration. Beaucoup se souviennent des anciennes images des congrès du parti communiste chinois dirigé par Mao. En un mouvement instinctif un tapis rouge couvrait l’assistance. Les participants venaient d’accepter unanimement une résolution avec le petit livre de Mao brandi dans les mains.
De trop nombreux régimes politiques nous ont montré et montrent encore cette désolante image. Qui oserait ne pas lever la main ? Qui serait suicidaire pour exprimer son désaccord ?
En dehors des régimes congelés, la plupart des régimes autoritaires contemporains ont ainsi compris qu’il fallait écarter une unanimité pour éviter la suspicion par une façade de démocratie. En choisissant la duperie des scores à la « soviétique » le résultat est pire car à la certitude d’une fraude ou d’une intimidation se rajoute le ridicule.
Dans un souffle d’espoir qu’aura provoqué le dix-huitième, le grand siècle des Lumières, la célèbre notion de pacte social de Jean Jacques Rousseau supposait l’existence d’une unanimité.
Conscient que l’unanimité est une utopie, les sociétés modernes ont prévu des majorités dites « qualifiées » pour les constitutions qui fondent en partie le pacte social. Elles sont bien plus élevées en pourcentage que la majorité simple pour la solidité de la légitimité, en général deux-tiers ou trois quart, et en même temps évitent la chimère de l’unanimité, impossible à atteindre dans une démocratie.
On pourrait imaginer qu’il y ait théoriquement des sujets qui déclencheraient un consensus unanime. Prenons l’exemple très pédagogique de la modification ces derniers jours de la constitution espagnole. L’objectif était de modifier dans le texte le mot « diminué » par « handicapé ».
On penserait instinctivement qu’il est impossible pour un tel sujet il y ait des votes négatifs ou des abstentions. La première suspicion est que nous serions dans un « chantage affectif » car qui oserait dire un seul mot sans être pointé du doigt pour indignité ? Pourtant il y a beaucoup de raisons possibles pour refuser la modification sans être en désaccord avec un principe d’humanisme.
Tout d’abord la formulation. La preuve est que dans d’autres pays l’expression « handicapé », choisie par les Espagnols, a semblé stigmatisante et a été remplacée par « personne en situation de handicap ». L’unanimité ne peut exister dans le domaine sémantique.
Puis je partage l’avis de beaucoup de constitutionnalistes selon lequel la constitution n’est pas le lieu de l’inscription des droits des handicapés ni d’autres spécificités. La constitution est de portée générale, il est du domaine de la loi de s’occuper des spécificités. Le chantage affectif pour en arriver à cette unanimité est une déviance de la démocratie. De quel droit pouvons-nous accuser un avis opposé d’inhumain ? Ce ne serait plus un droit constitutionnel mais un manuel de bonne conscience.
La démocratie est pour la dictature ce que les poux sont pour le lion !
Quant aux trois réfractaires qui ont voté négativement, c’est la preuve que l’unanimité n’est jamais obtenue même si l’adhésion sur le fond est acquise. Ils sont des élus au nom du parti d’extrême droite, VOX. Il a toujours été constaté pour les référendums et autres plébiscites que beaucoup se manifestent contre la personne ou le régime qui propose le texte et non contre le texte lui-même.
Le dernier travers que je proposerai d’examiner est le sentiment de Voltaire. Pour lui, la seule justification de l’unanimité est le fait d’une minorité qui vote la résolution pour légitimer le droit à l’idée inverse de la majorité. Si cette affirmation avait une réalité ce serait une preuve qui s’ajoute aux autres pour nier l’existence d’une démocratie par l’unanimité. Elle serait donc justifiée par des raisons qui sont éloignées de la position politique réelle des individus.
John Locke inverse l’argument. Il estime que la règle de la majorité est fondée par l’impossible unanimité. Pour lui, un groupe est composé d’une multitude de personnes. En rappelant cette évidence il affirme que la règle de l’unanimité signifie la « dissolution de la communauté politique ».
L’unanimité est ainsi contre-nature à la démocratie.
Boumédiene Sid Lakhdar