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M. Rezig, arrêtez de redessiner des enseignes, faites plutôt vos devoirs !

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M. Rezig, arrêtez de redessiner des enseignes, faites plutôt vos devoirs !

Le vieux professeur, aujourd’hui à la retraite, qui a présidé le jury ayant décerné un doctorat en sciences économiques au jeune étudiant Kamel Rezig, devenu professeur et même directeur d’un laboratoire de recherche dans cette même discipline, pour lequel il avait de la compassion et dont les capacités intrinsèques ne présageaient pas d’un avenir aussi brillant, invite son ancien étudiant à lui rendre visite. Il souhaite lui prêter main forte, lui prodiguer quelque éclairage qui l’aidera à surmonter les difficultés techniques auxquelles il est confronté en tant que ministre du Commerce et qui font jazzer la presse et la rue.

L’air solennel, les yeux baissés, absorbé par le griffonnage d’une page blanche posée sur la table, Kamel est à l’écoute de son vieux maître :

– C’est quoi cette histoire d’exportation de pattes de poulet vers la Chine ? Attaque le professeur de but en blanc

– Je tentais de booster les exportations, souffle Kamel.

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– Comment ça ? Combien de millions de tonnes de pattes de poulet aurait-il fallu produire pour pénétrer le marché chinois, générer des profits et augmenter les exportations comme tu dis ? Y as-tu vraiment réfléchi ?

– A vrai dire pas tellement, je voulais juste faire un effet d’annonce mais ça n’a pas donné.

– Passons, comment t’es tu pris pour faire disparaître le lait en sachet du marché ? Ma femme n’arrive plus à s’en procurer lance le professeur

– Hé bien j’ai voulu éradiquer la mafia du lait, mais ça n’a pas fonctionné, rétorque Kamel, le ton désolé.

– Ben voyons ! Et la tension sur la semoule, comment diantre cela a-t-il pu se produire dans ce pays de mangeurs de pain alors que la production couvre la demande ? lance le maître dubitatif.

– C’est les distributeurs qui spéculent les consommateurs qui stockent et le citoyen qui gaspille trop, hurle Kamel, toujours concentré sur sa feuille blanche.

– Rien que ça ! C’est la seule explication scientifique que tu peux me fournir. Et l’huile alors, le bidon d’huile de tournesol que je payais à 650 DA les 4 litres est à 900 DA, c’est quoi l’histoire ? Tu t’es bien fait interpeller par les sénateurs sur la question ? reprend le professeur ironiquement

– La production d’huile est suffisante. L’Algérie produit près de 3 000 tonnes par jour. C’est les distributeurs le problème, ronchonne-t-il

– Comment ça ? Explique, insiste le professeur curieux

– D’accord je vous mets au parfum. J’ai pondu une instruction dans laquelle « il est obligatoire de facturer les transactions effectuées par tous les acteurs du marché à tous les niveaux ». Grossistes et détaillants refusent. Donc ils ne s’approvisionnent pas. 

– Mais qu’as-tu fait là mon garçon ! s’écrie le professeur

– Comment ça ? Il faut bien réguler le marché, n’est-ce pas ce que vous m’avez appris ? dit Kamel dépité

– Ecoute-moi bien mon garçon. Notre économie est en grande partie informelle, surtout en ce qui concerne la partie nourriture qui absorbe près de 80% du budget des ménages. As-tu vu ne serait-ce qu’une seule fois dans ta vie vu un marchand de légumes, un boulanger, un épicier, un marchand de poisson ou de volaille, un boucher faire une facture ? Tu as bien entendu le Président te dire que près de 6,5 millions de salariés touchaient moins de 30.000 DA, ce qui représente plus de 55% des travailleurs. Si les commerçants en grande difficulté actuellement, pour lesquelles tu n’as fait aucun geste et que tu n’a ni soutenu ni aidé durant cette crise qui perdure depuis maintenant près de trois ans, se mettaient à tout facturer comment feraient les familles pour manger ? Combien coûterait le litre d’huile ou de lait, le kilo de sucre, de semoule de farine ou de pâte. T’es-tu seulement posé la question ? 

– Justement je voulais juste contrôler les prix. J’ai même mis un numéro vert le 1020 à la disposition du citoyen pour alerter contre la spéculation. Avec ce numéro je peux contrôler tous les prix chez tous détaillants du pays. J’ai aussi enlevé les subventions pour la farine non destinés au pain, reprend Kamel fièrement.

– Je comprends mieux comment le prix du paquet de pâtes de 500 gr est passé de 65 DA à 135 DA chez certains fabricants. En moyenne, on le trouve à 85 DA alors qu’il était à 65 DA s’exclame le professeur.

– Voilà je lutte contre l’informel, la spéculation, c’est mon job non ? lance Kamel 

– Mais que dis-tu là mon garçon ? Est-ce le moment de lutter contre l’informel ? Je te répète que nous traversons une crise économique aigue. Les citoyens sont mécontents. Ils sortent chaque vendredi et mardi durant le Hirak, le Corona a fait des ravages et tu penses que le numéro vert c’est la solution ? murmure le professeur abattu.

– Il faut bien un début à tout, se défend Kamel

– Que Deu nous vienne en aide, dit le vieux professeur en expirant. Ok expliquez-moi maintenant comment le prix du poulet a atteint 450 DA le kilo avec os et 800 DA sans os au détail. Comment ? s’énerve le professeur

– C’est l’aliment de bétail, il est fabriqué à base de soja. Le prix du soja a grimpé sur le marché mondial, ce qui a provoqué une hausse des prix, répond doctement Kamel

– Et la crise qu’ont traversé les éleveurs durant la pandémie qu’en fais-tu ? Il y a juste quelques semaines le prix du poulet avec os au détail était à 180 DA. Ils ont subi de grosses pertes durant les trois dernières années. Ils essayent probablement de combler leurs pertes. Peut-être que s’ils avaient été soutenus nous n’en serions pas là. D’ailleurs tu n’as soutenu personne. Ne te rappelle donc tu pas de nos cours ? Si les entreprises s’effondrent il y a perte d’emplois et s’il y a perte d’emplois il y a diminution de la consommation des ménages donc de la demande, récession et fatalement effondrement de l’économie rappelle le professeur.

– Vous m’avez appris tout ça ! répond Kamel excédé

– Et alors ! Même en ce qui concerne les fruits et légumes la situation est catastrophique. Tu t’es même arrangé à faire un cirque au marché de gros et créer la polémique. La tomate a atteint aujourd’hui 140 DA et l’ail 1200 DA le kilo. Sans parler de la sardine qui frise les 1300 DA et la viande de bœuf les 2000 DA le kilo. Comment est-ce envisageable à la veille du Ramadhan ? lance le maître en haussant le ton.

– C’est les spéculateurs je l’ai si souvent répété, la main invisible du marché. Ce n’est pas de ma faute. Ils ne m’ont pas pris au sérieux se défend Kamel

– C’est toujours la faute des autres, tu es responsable de quoi alors ? As-tu une solution au moins, que l’on puisse en débattre ? s’indigne le professeur

– Bien sûr que si, j’ai la solution à tous ces problèmes. 

– Bien, expose-là moi mon garçon dit le professeur, soulagé.

– Je vais obliger tous les commerçants à mettre leurs enseignes en arabe !!!

– Quoi ? Qu’est ce que tu me racontes là ?

– Une fois les enseignes arabisées, tous nos problèmes seront résolus.

– Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui t’arrive mon garçon ? Tu te sens tu mal ? S’inquiète le maître

– Non je vais très bien. C’est ça mon salut ! Insiste Kamel

– Mais c’est fou ce que tu me racontes là, et d’abord que dessines-tu sur cette feuille, lance le maître excédé à l’adresse de Kamel toujours en train de griffonner sa feuille blanche

– Eh bien je dessine, je dessine des enseignes en arabe ! Hurle Kamel

– Tu es plus atteint que ce que je pensais, mon garçon. Faire de toi un ministre, c’est eux les fous mon garçon. Arrête de dessiner des enseignes et va faire plutôt tes devoirs.

 

Auteur
Djalal Larabi

 




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