« La philosophie n’est… pas une science et même réfléchie, théorisée, pensée, elle reste une opinion à la différence de la démarche scientifique qui, face aux opinions, en fera ou non des données incontournables. » (Jean-Marie André) (1)

Les pouvoirs ont leurs récits, leurs acteurs et même leurs adversaires. Cela se constate dans les épreuves médiatiques auxquelles sont soumis les personnages publics.

Que pouvons-nous retenir de mai 68 au moment où les forces résistantes sont approchées par les réflexes bourgeois ? Les concepts de mai 68 sont-ils nés d’une solitude mélancolique ? « Tout concept est historique. Il serait donc convenable d’analyser tout concept dans le contexte historique où il est né. » (Besim F. Dellaloğlu) (2) 

D’abord, l’unité fantasmagorique des courants de gauche. Il y avait dans ce climat insurrectionnel une sorte de mythologie qui ne laissait aucun doute sur ses dérapages réactionnaires. Les universitaires ont, ce jour, signé la mort du politique, en assujettissant le politique à la science.

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Malgré la soif de savoir qui a marqué le mouvement, le politique se démystifia et mit les clivages légitimes à l’épreuve de la sentimentalité ambiante. « Dès lors qu’il y a fête, pourquoi laisserions-nous le politique nous séparer. » auraient dit les humanistes sensationnels et les bourgeois épris de la passion occasionnelle.

Le fait de faire la communion, c’est une manière de reculer sur ses convictions politiques comprises comme des déterminants « ludiques » : c’est dire comment certains responsables politiques cèdent sur l’essentiel pour oublier l’épreuve à mener à long terme. « L’épistémologie de l’ignorance » (Godrie, B. & Dos Santos, M.) (3) a-t-elle pu s’instituer comme espace disciplinaire ?  

Ensuite, c’est la consommation du politique. Certains universitaires dont l’Existence n’a jamais rencontré le politique se sont offert l’objet public en thème politique qu’auparavant nous considérions comme relevant d’un des édifices historiques les plus fragiles et non moins lourds, à savoir la culture. Les étudiants ont tenté de revivifier le pathos judéo-chrétien en laissant le politique être écarté par des réflexes spirituels exigés par ce que la culture occidentale reprenait à la réalité idéologique. Pour ne pas exercer le politique comme science non technique, c’est-à-dire très attachée à l’idéologie humaine (ce que les masses laborieuses ont construit contre les forces nihilistes -malgré elle-), mais comme union de l’homme avec l’altérité fugace, les militants auraient choisi le camp de la clémence compassionnelle. De là, nous pourrions dire que la culture fait intervenir la morale dans la légitimité de l’opération technologique. « La technologie est intrinsèque à la créativité et à la culture humaines. » (Chellis Glendinning) (4)  

En dernier lieu, le verbe avait compris que l’unité humaine est devenue un thème périmé. Les terreurs idéologiques se sont accentuées et ont construit des systèmes de pensée radicaux. La pensée fut presque monopolisée par les actants politiques dont la militance s’est incrustée dans les pores des textes, oscillant entre le sacerdotal et le profane, entre le sacral et le profane.

Les slogans et les énoncés politiques ont radicalement scellé le sort du politique en le faisant unir à l’Existence. Le bio-civil (5) voit son arrivée : le mythe de la rébellion ontologique commence à s’instaurer, et une peur sidérante prenait place. Le politique voyait sa vocation passionnelle se réduire à néant. Les Êtres commencent à quitter l’ambiance sociale et à s’affronter à la dure réalité de l’Existence. L’usure sournoise fait taire les militants les plus intransigeants. 

Que dire d’une révolte qui a réussi à instaurer un climat politique fascinant ? Que du bien. Mais il fallait s’attendre à ce que diraient les contingences et leurs adversaires. L’action politique devient plus claire, mais peu inspirante. Les limites du politique, c’est aussi et surtout la neutralité, voire la passivité du verbe politique. « Le théâtre de la tragédie politique a fermé ses portes. » aurait avoué un philosophe à ses disciples.

Les disciples grandissent et la révolution disparaît : que pouvons-nous faire du déshonneur que nous avons récolté de nos vacillations ? Mourir dans les caniveaux de l’indignité où nous avons trouvé de la dignité.  Une faveur : l’ouverture de pistes de réflexion à celles et ceux pour qui la fin de la fête pourrait signifier le retour à la normale.

« Le progrès scientifique, l’usage de techniques de production et de commercialisation toujours plus raffinées, l’homogénéisation progressive des modes de consommation et de communication conduisent inexorablement vers un monde globalisé, au moins virtuellement universel. » (Serge Paugam) (6) 

Madi Abane 

  1. André, J.-M. (2020). Science et Idéologie : les sœurs ennemies… Hegel, 3(3), 274-281. https://doi.org/10.3917/heg.103.0274
  2. Dellaloğlu, B.-F.-. (2016). Le conservatisme sans mémoire. Topique, 136(3), 27-35. https://doi.org/10.3917/top.136.0027.                                                                                                                                  
  3. Godrie, Baptiste et Marie Dos Santos. « Présentation : inégalités sociales, production des savoirs et de l’ignorance. » Sociologie et sociétés, volume 49, numéro 1, printemps 2017, p. 7–31. https://doi.org/10.7202/1042804ar 
  4. Glendinning, C., Traduit de l’anglais par Lefèvre, M. (2020). La technologie est politique. Écologie & Politique, 61(2), 109-115. https://doi.org/10.3917/ecopo1.061.0109
  5. Ce mot (j’oserais dire concept si…) je l’ai créé et utilisé dans ma thèse de doctorat pour signifier les limites des marques d’identité à l’ère moderne. Mais aussi la nécessité de mettre l’accent sur l’épistémè et son importance dans la recherche universitaire algérienne. 
  6. Serge Paugam, « Les contradictions constitutives de la modernité », Sociologie [Online], N°4, vol. 3 |  2012, Online since 13 February 2013, connection on 19 April 2025. URL : http://journals.openedition.org/sociologie/1532

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