La place de l’Indépendance, à Bamako, est restée calme ce vendredi 9 mai. Un important dispositif policier avait été déployé, mais les partis politiques maliens avaient annoncé le report du rassemblement de contestation initialement prévu dans la capitale malienne.
La junte militaire au pouvoir s’agace de l’opposition. La décision est prise après la suspension par les autorités militaires de transition, mercredi, de toutes les activités politiques dans le pays. En revanche, plusieurs cas d’enlèvements et de tentatives d’enlèvements d’hommes politiques, par la Sécurité d’État, ont eu lieu hier et ce vendredi.
El Bachir Thiam, jeune militant du parti Yelema, a été enlevé hier jeudi 8 mai vers 14 heures à Kati, ville-garnison proche de Bamako et fief des militaires au pouvoir. Il se trouvait, selon son entourage, devant la boutique d’un ami lorsque des hommes encagoulés l’ont embarqué dans un véhicule banalisé. Figure locale de la société civile, membre du collectif Sira ko, El Bachir Thiam n’est pas un cadre dirigeant du parti Yelema, qu’il a rejoint il y a à peine trois mois.
Voix critique de la Transition, il avait organisé mercredi matin, avant donc la suspension des activités politiques dans le pays annoncée à la mi-journée, une réunion avec des femmes de Kati sur le respect des droits et de la Constitution. Dans une vidéo enregistrée au cours de cette activité, on l’entend dénoncer en chantant la « Transition infinie. »
Hommes armés et encagoulés
Quelques heures plus tard, vers 19 heures, c’est Alhassane Abba, secrétaire général du parti Codem et vice-président de la coalition d’opposition Jigiya Kura-Espérance nouvelle, qui a été enlevé à son domicile bamakois, dans le quartier de Baco Djicoroni ACI. Selon ses proches, des hommes armés et encagoulés, se réclamant de la gendarmerie, l’ont sorti de chez lui avec violence et l’ont embarqué dans un véhicule sans plaque d’immatriculation.
L’ancien député de Goundam (région de Tombouctou) est réputé pour son franc-parler. Il fait partie des rares figures politiques à avoir continué de plaider régulièrement pour le retour à l’ordre constitutionnel dans les médias maliens, sans toutefois jamais appeler à la déstabilisation.
« Les enlèvements vont continuer »
Dans ces deux cas, leurs proches ont fait le tour des commissariats sans trouver trace d’El Bachir Thiam ni d’Alhassane Abba. Le mode opératoire des services maliens de renseignements est malheureusement devenu très familier depuis le début de la Transition. « Ils sont à la Sécurité d’État » confirme à RFI une source sécuritaire malienne, c’est-à-dire dans des lieux de détention secrets. Cette source avertit : « les enlèvements vont continuer », « le champ d’action de la Sécurité d’État est élargi aujourd’hui. »
Deux autres tentatives d’enlèvements, ce vendredi, ont été rapportées à RFI. La première concerne Baïssa Koné, président du parti VNDA et membre de la coalition Jigya Kura. Deux hommes en civil se sont présentés à son domicile pour l’emmener, mais, selon son entourage, le chef de parti ne s’y trouvait pas et se cache depuis. Ibrahima Tamega, membre du parti La Convergence et du Collectif des jeunes pour la démocratie, figure montante de la contestation, a lui aussi subi une tentative d’enlèvement. Il ne doit son salut, selon ses proches, qu’à l’intervention déterminée de jeunes qui se trouvaient alentour.
« Corée du Nord »
« Le Mali est devenu la Corée du Nord », soupire un opposant qui confie rester terré chez lui. D’autres, par précaution, ont quitté Bamako ou se cachent chez des amis. Ces enlèvements, en dehors de tout cadre judiciaire, visent de toute évidence à couper le mouvement de contestation inédit qui a débuté le week-end dernier, en le privant de certaines figures et en dissuadant tous ceux qui seraient tentés d’y participer. Les personnalités jointes par RFI demeurent pourtant déterminées à poursuivre leur combat pour la démocratie et les droits des Maliens.
Le rassemblement avorté de ce vendredi après-midi avait pour mots d’ordre l’organisation d’élections, la fin de la Transition et le retour à l’ordre constitutionnel, mais aussi la fin des coupures de courant ou encore des nouvelles taxes sur les services téléphoniques jugées « injustes. » La centaine de partis politiques qui appelait les Maliens à se mobiliser ont dû se résoudre à reporter l’évènement « à une très prochaine date », afin de préserver leurs militants de tout risque de représailles, de la part des forces de l’ordre ou des soutiens des autorités de transition – dont des membres du CNT – qui appelaient ouvertement à la violence.
Dans un communiqué diffusé hier jeudi 8, l’ordre des avocats du Mali appelle « au respect de l’État de droit » et « au respect scrupuleux des libertés individuelles et collectives constitutionnellement reconnues et protégées. »
Avec Rfi