Alfousseini Togo, directeur de publication du journal Canard de la Venise, au Mali, a été arrêté et placé sous mandat de dépôt mercredi 9 avril par le pôle judiciaire anti-cybercriminalité, à Bamako.
Après la parution le 8 avril d’un article intitulé « la bourde du ministre Mamoudou Kassogué », en charge de la Justice dans le gouvernement malien de transition, il sera jugé le 12 juin prochain. Les organisations de journalistes du pays s’insurgent.
Ses déboires judiciaires semblent lui donner raison. Dans son article paru dans l’édition du mardi 8 avril de l’hebdomadaire, Alfousseini Togo commente des propos tenus le 20 mars dernier par le ministre de la Justice. Selon Mamoudou Kassogué, l’indice de confiance des Maliens dans la justice de leur pays est passé de 30 % à 72 % en 2024. Une déclaration qui n’avait pas manqué de faire réagir.
Les Maliens savent s’ils se reconnaissent ou non dans ces chiffres. En tout état de cause, dans son article, le journaliste écrit que ce sondage n’est « pas fiable » et dépeint un système souvent corrompu ou au service du pouvoir, a fortiori en cette période de Transition. « Sous Mamoudou Kassogué, les hommes ont-ils des droits ?, interroge le directeur de publication du Canard de la Venise, combien sont-ils en prison depuis des années, sans procès ? Combien de leaders politiques et d’opinion sont-ils en exil ? »
Atteinte au crédit de l’État
Depuis mercredi 9 avril, Alfousseini Togo est accusé d’« atteinte au crédit de l’État », « injures » et « diffamation » par le pôle judiciaire anti-cybercriminalité. Ce dernier est lui-même épinglé dans l’article pour ses « faux délibérés » rendus par « certains juges incompétents, corrompus et aux ordres des chefs », ce qui risque de ne pas lui attirer la bienveillance du tribunal.
Ces dernières années, de nombreuses personnalités politiques ou de la société civile ont été condamnées à des peines de prison ferme par ce pôle spécialisé – et par d’autres tribunaux – ou attendent d’être jugés. Cela après avoir exprimé des opinions dissonantes, ce que les organisations de défense des droits humains dénoncent régulièrement. On peut citer les cas de Ras Bath, Rose vie chère, Clément Dembélé, Étienne Fakaba Sissoko, Seydina Touré… la liste est longue.
Dans un communiqué publié jeudi, l’Union nationale des jeunes éditeurs de presse du Mali (Unajep), dont Alfousseini Togo est membre, « regrette » que le journaliste soit emprisonné « en raison de ses opinions » et pour des motifs sans liens avec le droit de la presse. « Il se porte bien et affiche un moral d’acier », assure cependant le président de l’Unajep, Albadia Dicko, qui lui a rendu visite ce matin à la Maison centrale d’arrêt de Bamako.
L’UNAJEP informe que le journaliste Alfouseini Togo, actuellement en détention, se porte bien et a pu recevoir la visite de collègues de la presse. Elle réaffirme sa solidarité professionnelle tout en appelant à la retenue, à la responsabilité et au respect du processus judiciaire en cours.
La Maison de la presse, organisation faîtière qui rassemble toutes les associations de journalistes du pays, est également mobilisée. L’un de ses dirigeants déplore lui aussi le rôle du pôle anti-cybercriminalité dans les affaires concernant des journalistes. Quant aux propos contenus dans l’article sur l’état de la justice malienne, « ce qui est dit par le journaliste, commente sobrement cette source, est ressenti quotidiennement par le citoyen ordinaire ».
L’ONG Reporters sans frontières dénonce dans un communiqué diffusé jeudi soir une « détention abusive » et demande la libération du journaliste. « L’inculpation sur la base de la loi sur la cybercriminalité et le placement sous mandat de dépôt d’Alfousseini Togo sont le dernier marqueur de la répression de la liberté de la presse au Mali », estime le directeur Afrique de RSF Sadibou Marong, dénonçant des charges « disproportionnées et floues ».
Une conférence de presse des organisations professionnelles de journalistes est prévue ce vendredi après-midi à la Maison de la presse du Mali, à Bamako. Depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire, plus aucune expression libre n’est tolérée par les militaires.
Avec RFI