25 avril 2024
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« Marioupol, mon Dieu c’est l’enfer » : un photographe raconte

Ukraine

Pavel Gomzyakov, photographe habitant Marioupol, a pu quitter la ville assiégée dans une voiture avec son épouse, leur fils et cinq autres personnes, à la mi-mars. Avant cela, il a vécu, avec ses proches, dans un centre culturel transformé en abri pour la population. Récit d’une fuite compliquée, au milieu d’habitants désemparés.

Où étiez-vous lorsque l’invasion russe a débuté, le 24 février ?

Le jour où la guerre a débuté, je suis sorti dans la rue pour aller acheter de l’eau et j’ai entendu que nos militaires avaient commencé à riposter face à l’avancée des Russes. J’ai vu, au loin, des missiles voler et j’ai alors compris que nous n’étions plus en sécurité dans notre appartement. Nous avons rapidement ramassé nos affaires, j’ai pris quelques minutes pour copier des photos que j’avais faites pour des clients sur un disque dur, j’ai pris mon appareil photo et nous sommes partis dans un quartier ouest de la ville, chez mes parents, en laissant quasiment tout derrière nous. Nous pensions, à l’époque, que nous y resterions quelques jours et que pourrions rentrer dans notre appartement rapidement. Mais nous n’y sommes jamais retournés.

Comment votre vie s’est-elle alors organisée ?

Tout est allé très vite. D’abord, les produits se sont mis à manquer dans les magasins. Le 1er mars, la moitié de la ville n’avait plus d’électricité et les communications sont devenues mauvaises. À ce moment-là, ma fille, qui étudiait dans une école de danse à Kharkiv, était, elle-aussi, sous le feu. Une famille l’a prise sous son aile et ils ont décidé de quitter la ville. C’est à ce moment-là que l’électricité à Marioupol a été coupée, de même que les liaisons de téléphonie et internet. Après une nuit sans sommeil, j’ai réussi par miracle à envoyer un SMS et à apprendre qu’elle avait quitté la zone. Les six jours suivants, nous n’avons plus eu aucun contact, nous ne savions pas si elle était en vie.

À partir du 2 mars, il n’y avait plus de nourriture et d’eau disponible dans les magasins. Des gens se sont mis à récolter l’eau de pluie ou la neige. D’autres ont trouvé des sources près d’une rivière, mais pour s’approvisionner, il fallait éviter les bombes et faire la queue. Nous cinq – mon épouse mon fils et mes parents -, nous avons eu de la chance, parce que ma mère avait eu la bonne idée de remplir la baignoire d’eau. Nous avions suffisamment de ressources pour boire et nous nourrir modérément une fois par jour.

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Le 8 mars, j’ai appris par hasard qu’il y avait un lieu à Marioupol d’où on pouvait capter un faible signal pour le téléphone portable et j’ai réussi à joindre ma fille et à apprendre qu’elle avait réussi à gagner l’Allemagne. J’en ai pleuré de joie.

Vous avez cherché à quitter la ville à plusieurs reprises. Comment les choses se sont-elles passées ?

Le problème, c’est que toutes les sorties de la ville avaient été minées et que Marioupol subissait un feu quasi-ininterrompu. Le 10 mars, grâce à une radio que j’ai réussi à faire marcher, j’ai appris qu’il y avait un couloir humanitaire jusqu’à Zaporijjia. Nous sommes partis en voiture vers un check-point à la sortie de la ville, mais nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il n’y avait aucun couloir humanitaire, il y avait des tirs d’artillerie nourris, les obus volaient au-dessus de nos têtes et touchaient des immeubles sous nos yeux. Il y avait des bâtiments en feu. Nous avons fait demi-tour et nous sommes retrouvés dans un centre culturel transformé en abri pour quelque 300 personnes qui avaient déjà perdu leur logement.

Comment avez-vous vécu dans ce centre ?

Nous allions ramasser du bois, pour faire chauffer l’eau et préparer le peu de nourriture que nous avions. Nous avions trouvé une source non loin du centre, mais il fallait traverser une ligne de front. Un député local, Vitaly, s’occupait de l’approvisionnement. Parfois, nous n’avions que deux raviolis par personne à manger.

Au fil des jours, les bombardements se sont rapprochés. La nuit, nous dormions dans un sous-sol. Notre grande crainte était de nous faire enterrer vivants. Nous comprenions qu’en cas de bombardement aérien, nous nous transformerions tous en cadavres, que nous mourrions là-bas. Et c’est avec cette idée qu’on s’endormait.

Vous avez finalement réussi à quitter la ville avec votre famille en voiture le 15 mars, comme des centaines d’autres véhicules. Quelle image retenez-vous de la ville que vous avez quittée ?

Plusieurs quartiers de la ville ont été tout simplement rasés. Il n’y a plus aucun moyen de communication, pas de nourriture, pas d’eau, pas de chauffage, mon Dieu… c’est une horreur ! Et une infime majorité de la population a pu s’extraire de cet enfer. C’est notre cas et maintenant, l’objectif de ma vie est d’hurler, d’être la voix de tous ces gens qui sont restés coincés.

ll y a beaucoup d’enfant qui sont restés sans parents : ils sont allés chercher de l’eau ou de la nourriture et ont été tués en chemin. Ces enfants, terrifiés, sont restés dans les caves mais leurs parents ne reviendront plus. Il y a des morts partout. À Marioupol, c’est l’enfer. Mes parents et ma sœur sont coincés là-bas et je ne n’ai aucune nouvelle depuis le 10 mars.

Il faut des négociations de paix pour un cessez-le-feu. Faire évacuer d’un coup des dizaines de milliers de personnes c’est irréaliste, mais on peut les aider à survivre en leur apportant au moins de l’eau. Il y a là-bas des femmes qui accouchent, des personnes âgées, il y a des malades. Ils ont besoin d’électricité de toute urgence. Il faut, par tous les moyens, arrêter les échanges de tirs entre les deux armées et comprendre qu’il y a des gens, qu’il y a toutes ces âmes qui prient pour rester en vie. Ce ne sont pas des militaires, ce sont des civils qui brûlent dans cet enfer humanitaire. RFI

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