Jeudi 24 octobre 2019
Marseille : pourquoi rester ?
M. a 29 ans. Comme de nombreux sans papiers, elle se débrouille avec des petits jobs au noir. Elle a un récépissé et une autorisation de travailler mais son français brin ballant , son absence d’expérience et sa situation la disqualifie auprès des entreprises.
Les particuliers chez qui elle fait des ménages préfèrent la payer sans déclarer. Lorsque j’échange avec elle, elle me raconte qu’elle a reçu un avis d’expulsion. Son propriétaire, un marchand de sommeil assez connu dans le quartier de Noailles, veut la mettre dehors.
5 enfants, un mari malade et une situation administrative compliquée dans un pays dont elle ne parle pas la langue. Après avoir réfléchi à toutes les solutions possibles (logement plus petit, avocat d’association ou autres aides), je finis par oser poser la question qui me brûle les lèvres depuis que je la connais : pourquoi rester dans ces conditions ?
Sa réponse fut sans équivoque. Pour ses enfants. Ici, ils vont à l’école. S’ils sont malades, elle peut les emmener à l’hôpital. Trouver un dentiste ou à minima un semblant de solution. Elle préfère essuyer toutes ces humiliations, se sentir hors-la-loi ou même mendier à la sortie de la mosquée que de rester vivre au pays avec cette « boule dans le ventre ». « La pauvreté n’est douce nulle part », mais elle est plus violente dans un pays ou la classe moyenne n’existe pas. Des femmes comme M. , il y en a des centaines à Marseille.
La révolution du sourire , elles n’y croient plus depuis longtemps. Quand on cherche à les sensibiliser sur l’importance du Hirak, sur la chance incontestable que cela représente pour le pays et l’avenir de leurs enfants, elles restent de marbre.
S. habite à Belsunce, dans un logement encore plus vétuste que celui de M. Quand je lui propose de venir à la manif de dimanche, elle a eu cette phrase qui m’a glacée : « l’avenir de mes enfants, je l’assure en nettoyant les toilettes des personnes qui sont nées au bon endroit ».
Je me suis beaucoup demandée ce qui empêchait le mouvement de prendre dans une ville où les algériens sont 300 000. Les intellectuels et les étudiants sont très optimistes. C’est une chance énorme et c’est eux qui remplissent les rues d’Alger et de Paris. Mais cet optimisme n’est pas partagé par tous et pour cause. Les personnes qui ont arrêté de se projeter sont nombreuses. La corruption et la pauvreté ont découragé deux générations de personnes encore très marquées par les injustices sociales. Marseille en est un miroir cruel.