29 mars 2024
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Mehdi Amel, un Althusser libanais

REGARD

Mehdi Amel, un Althusser libanais

Beyrouth le 18 avril 1987, rue d’Algérie en plein centre de la capitale phénicienne, des balles assassines atteignent un des plus brillants intellectuels marxiste arabe libanais : Hassan Abdallah Hamdan, futur Mahdi Amel.

La cible réelle étant la pensée rationaliste d’un internationaliste convaincu. Le tireur n’est autre qu’un islamiste sorti tout droit d’une djahilia. Le commanditaire n’est autre que celui qui a ordonné les assassinats de Souheil Taouil, Khalil Noua, Hussein Maroua et les 40 membres et cadres du Parti communiste libanais (PCL) et enlevés 17 militants sans aucune traces jusqu’à nos jours. Ce même commanditaire qui se vante aujourd’hui d’être le front de la résistance antisioniste depuis 2006, un seigneur de la guerre qui ne faisait qu’exécuter les plans des services secrets du bazar et des mollahs d’Iran, avant de s’allier aux services d’un maître syrien de la place libanaise, est le sieur Ghazi Kanaan. Le PCL et son Mouvement national de la résistance libanaise des années 1980 échappaient aux contrôles de la famille Assad qui ne souhaitait pas remettre en cause le système féodal et confessionnel du Liban.

Hassan Abdallah Hamdan est né en 1936 dans le village de Harouf, district de Nabatiyeh, sud du Liban. Après de brillantes études secondaires, il décroche son baccalauréat à Beyrouth afin de poursuivre ses études supérieures au sein de la Faculté des lettres de l’université de Lyon.

Lyon, l’UEC, Althusser et la lutte algérienne

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Entre 1956 et 1959, Hassan A. Hamdan est à Lyon, la ville de tous les conservatismes politiques et de classes, une cité marquée à cette période d’après libération par les années de la collaboration française avec le nazisme. Le Paris des écrivains et penseurs libanais, égyptiens et syriens  du XIXe siècle semble s’éloigner de lui de jour en jour. Ce fils de commerçant de textile ne pouvait que se mettre dans le monde de la lecture, d’apprendre la langue de Voltaire et de s’armer d’outils de ce savoir qui faisait défaut dans un Moyen-Orient en ébullition. L’agression franco-anglo-saxonne contre l’Egypte de Nasser, l’intervention militaire au Liban et la guerre de libération algérienne, font la toile de fond du climat quotidien du jeune Hamdan, un jeune Arabe du sud Liban qui ne pouvait y résister longtemps aux seuls regards accusateurs de la population locale, une population entièrement conditionnée par les médias de l’époque, les affiches politiques appelant à une mobilisation guerrière et dans un langage de nouvelles croisades.

A Lyon, Hassan Hamdan n’a pas  encore évoluer en Mehdi Amel, le penseur marxiste, moderniste et éclairé, mais prépare sereinement sa licence de philosophie et s’inscrit en thèse de doctorat 3e cycle avec un intitulé grandement révélateur, Praxis et projet : Essai sur la constitution de l’Histoire. Un travail de recherche qu’il poursuivra tout en étant enseignant en Algérie, en touchant presque l’ensemble de la pensée philosophique française. Maxime Rodinson et Louis Massignon étaient d’actualité à cette époque tragique du Maghreb et du Moyen-Orient. Hassan Hamdan va vivre en témoin privilégié de la recomposition du mouvement estudiantin français qui sera d’une portée mondiale. Dans la région du Rhône-Alpes et à Lyon particulièrement, le mouvement syndical étudiant est encore dominé par le courant catholique de l’Association Générale des étudiants (AGE) au sein de l’Union National des Etudiants de France (UNEF). Les deux pôles universitaires de l’époque étaient Besançon et Lyon et leurs sections furent l’AGEB et l’AGEL.

La lutte armée algérienne prenait de plus en plus de l’importance dans la politisation des plus larges secteurs de la population française et donc, la politisation des syndicats étudiants et lycéens.

En s’installant à Lyon, Hamdan décèle le processus de mutation politique et social de cette rue française vis-à-vis de la question coloniale algérienne, en premier lieu le recul que subira l’UNEF en étant un syndicat corporatiste. Au sein de cet appareil syndical, une minorité d’étudiants s’agite sur les questions politiques de l’heure. La minorité communiste prend acte de la grève des étudiants et lycéens algériens et son appel du 19 mai 1956 en se rapprochant de la section UGEMA de France.

De son côté l’AGEA des Français d’Algérie implose d’elle-même et par la force de la matérialité de l’histoire, question qui conforta énormément Hassan Hamdan et le mit sur la sellette d’agir de son côté. L’AGE-Grenoble ouvre le bal en critiquant de faite l’apolitisme de l’UNEF. Toutes les situations mûrissent de fait afin d’annoncer la prochaine création d’un nouveau syndicat offensive et politique en milieu universitaire. Les étudiants tunisiens ont devancés tout le monde en créant  et dès juillet 1956 l’Union Général des étudiants Tunisiens et appel leur confrères marocains et algériens à faire de même. Pour les étudiants moyen-orientaux (Syriens notamment), Hamdan se rapproche d’eux en mettant sur pied une organisation informelle qui avait pour tâche de soutenir le combat anticolonial des Maghrébins : la première organisation communiste arabe est née en Europe.

Cette expérience apprend à notre jeune étudiant libanais toute l’importance de l’existence d’une avant-garde politique qui oriente et structure tout initiative organisationnelle de la façon à aller de l’avant. De plus en plus, Hassan Hamdan s’imprègne de l’organisation des Algériens qui, en terme de lutte pour leur indépendance politique, avaient alliés l’universitaire et le travailleur syndiqué ou non sur un même terrain de combat.

Avec la cause algérienne

Il est vrai que Hassan Hamdan ne rejoindra le PCL qu’en 1960 et ne deviendra son membre du Comité central qu’en 1987 (la dernière année de sa vie), mais c’est bien ce parcours d’étudiant qui enclenchera, en lui, le déclic de l’engagement politique. Mais pas uniquement, les événements internationaux joueront un rôle de catalyseur.

En 1956, le virement révisionniste du XXe Congrès du PCUS à Moscou, ouvre les portes à une image bien néfaste de la patrie du socialisme. L’intervention militaire soviétique à Budapest et le déclenchement du conflit sino-soviétique, pose au jeune Hamdan de nouvelles interrogations sur le mouvement de l’Histoire et l’action des peuples dans la suite de ses évènements.

Autour de Hassan Hamdan, la jeunesse française s’agite, s’organise, se révolte contre l’ancien ordre social. Une jeunesse qui a trouvé dans la question algérienne le contenu de son émancipation. On rejette les anciennes structures syndicales estudiantines pour en créer de nouvelles et c’est ainsi que l’Union des étudiants communistes (UEC) voit le jour en mars 1957. Cette région du nord-est de la France, la fédération de France du FLN avait dépêché M. Ali Laouedj dit «Si Ali», pour s’occuper de la réorganisation des réseaux militants allant jusque dans le territoire Suisse. Hassan Hamdan, quand à lui, adhéra pleinement au soutien de la cause algérienne dans la région lyonnaise, et à travers le climat organisationnel cité plus haut, lança une organisation clandestine et informelle pour le soutien de la cause algérienne et la propagande arabe en direction de la lutte armée, reliant le territoire français et le Liban.

Mehdi Amel le lecteur de Frantz Fanon

A l’indépendance politique de l’Algérie, Hassan Hamdan est au Liban avec sa femme Evelyne Brun, dont la première rencontre fut dans le bus de la ligne 13 à Lyon. Le Liban traversait à cette époque une situation des plus difficile dans un pays en proie d’une anarchie politique et confessionnel juste après l’interventionnisme américain en 1958 et sur appel du parti fasciste des Katayeb (Phalanges). La tentative du coup d’état du 30 au 31 décembre 1961 du PNSS (Parti de la Grande Syrie) et l’accès de Fouad Chihab, n’ont fait que plonger le Liban dans une situation politico-militaire qui ne trouvera sa solution que dans les accords de Taëf en octobre 1989.

Corruption et formation des milices confessionnelles ont poussé Hassan Hamdan à se retrouver en Algérie durant ses premières années du régime socialisant de Ben Bella et de la quitter après le coup d’Etat du colonel Boumediene.

Armé de sa nouvelle carte de militant du PCL et de sa formation idéologique à travers les écrits et interventions de Louis Althusser et de son cercle de l’ENS de la rue d’Ulm, Hassan Hamdan est en Algérie du «  socialisme autogéré» de 1963. Ce n’est nullement facile pour un militant communiste de passer sous la loupe de la police politique de l’homme de confiance de Ben Bella, Brahim Kerkeb. On lui attribue un poste à Constantine, sa femme enseignera le français à l’Ecole des institutrices de la Koudya, lui s’occupera des cours d’analphabétisation du soir.

Le matin, Hamdan se déplaçait dans la ville et sa région, côtoyant la misère et le fracas de la colonisation de peuplement française.

A Skikda

Dans la région de Skikda, il rencontre  des fellahs, des cafetiers et des dockers. Ali El Kenz est dans les parages c’est son futur ami et élève de pensée. D’observation en observation, de lecture en lecture, la théorie du mode de production coloniale prend forme dans son esprit. Et la théorie nihiliste de Frantz Fanon lui vient à la rescousse dans un climat de Panafricanisme traduit par la revue Révolution Africaine de Jacques Vergès. Il fera d’ailleurs quelques contributions, sur ses colonnes, écrits méconnues au Liban mais appréciés dans le cercle du Parti communiste algérien, bien que dissous par le « frère » Ben Bella.

Ce dernier n’apprécie guère les théories du troublant Althusser, ni le Tiers-mondisme de Fanon. Hamdan devient un « rejeton du renégat du PCF » et Althusser, Poulantzas et Charles Bettelheim, trouvent grands échos chez lui. Il sera fidèle organiquement au PCL tout en ne reniant en rien sa formation lyonnaise en tant que structuralo-marxiste.

Les cercles marxistes arabes et dans une rhétorique bien historique et culturelle propre à la culture du Moyen-Orient, ont bien étiqueté Mehdi Amel de « Gramsci arabe » à défaut de le lire en profondeur.

Mehdi Amel est avant tout une expérience algérienne qui a donné naissance à de nouveaux horizons de lire le social, le culturel, le politique et l’économique dans la perspective d’enrichir la science et non le dogme marxiste.

 

Auteur
M. K. Assouane

 




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