La guerre d’Algérie, un conflit qui a marqué profondément les deux pays, la France et l’Algérie, reste un sujet délicat, souvent déformé par des idéologies et des récits biaisés. Dans La Guerre d’Algérie : Sebabna et les Aurès, Jean-Louis H. Dupré, témoin direct de ces événements tragiques, s’engage à rétablir une vérité enfouie sous des couches de mythes et de récits manipulés.
Ce livre n’est pas une simple chronique, mais un témoignage brut, nourri de souvenirs intimes et d’une analyse historique précise. En interrogeant les zones d’ombre du passé et en confrontant des mémoires divergentes, Dupré nous invite à une réflexion poignante sur la mémoire collective et les blessures non cicatrisées de l’Histoire. À travers son regard, l’histoire de la guerre d’Algérie se dévoile sous un angle souvent négligé : celui du soldat français, confronté à des réalités que les discours officiels n’ont pas su ou voulu entendre.
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire La Guerre d’Algérie : Sebabna et les Aurès aujourd’hui ?
Jean-Louis H. Dupré : Je le précise dans les premières pages : je déteste les racontars, et mon livre en donne de nombreux exemples. Trop de personnes, heureuses d’avoir un micro, en profitent pour dire ce qui n’est pas. En particulier sur le thème de la torture, où l’on entend souvent dire que tous les appelés l’auraient pratiquée, ce qui est totalement faux. Cette fausse information est malheureusement ancrée dans la mémoire des jeunes générations, et j’ai voulu la combattre. Par ailleurs, les souvenirs que je garde de cette période méritaient, je crois, d’être mis en forme et publiés, afin de contrer les élucubrations de certains pseudo-historiens dont le seul objectif semble être de détruire notre mémoire. Tout ce que j’ai écrit, je l’ai vécu. Rien d’autre.
Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous structuré votre récit entre témoignage personnel et analyse historique ?
Jean-LHD: J’ai structuré mon livre de manière assez simple, en suivant mon propre parcours depuis mon incorporation, tout en y intégrant des recherches historiques factuelles. Le récit suit la progression de mon engagement en tant que fusilier-marin commando.
Le Matin d’Algérie : Aviez-vous des appréhensions avant de publier ce livre, sachant que la guerre d’Algérie reste un sujet sensible ?
Jean-Louis H. Dupré : Je n’avais aucune appréhension, puisque je ne décris que la réalité telle que je l’ai vécue, partagée avec mes camarades. Bien sûr, les vérités peuvent être différentes selon le point de vue : si vous interrogiez les fellaghas, comme nous les appelions, ils auraient certainement une autre vision des événements. Beaucoup d’entre eux ont donné leur vie pour leur pays, en combattant pour leur liberté.
Le Matin d’Algérie : Vous dites avoir participé à cette guerre « malgré vous ». Comment avez-vous vécu cette période en tant qu’appelé ?
Jean-Louis H. Dupré : Quand je dis « à mon corps défendant », c’est une évidence. Dès notre arrivée dans ce pays magnifique, nous avons vite compris que nous n’avions rien à y faire. Officiellement, il ne s’agissait pas d’une guerre, mais d’un maintien de l’ordre, puis d’une pacification, puis d’opérations militaires… Nous avons fini par comprendre que nos gouvernants, une fois de plus, n’avaient rien compris. La conscription était obligatoire, nul n’y échappait. Pour ma part, j’y voyais aussi l’opportunité de découvrir de nouveaux horizons. En 1958, ni la radio ni les journaux n’avaient le poids qu’ils ont aujourd’hui, et la télévision ne comptait qu’une seule chaîne. Notre vision politique était donc très limitée. J’ai vécu cette période en découvrant à la fois le courage de nos adversaires et la fraternité des armes. Avoir 20 ans, même dans les djebels, c’était une expérience intense, alliant dépassement de soi et émerveillement face aux paysages grandioses que nous parcourions à pied pendant des semaines. La Corniche kabyle et Tipaza restent pour moi des souvenirs marquants. Ma chance, si l’on peut dire, fut de ne pas être confiné sur un piton, mais de participer à des opérations de terrain.
Le Matin d’Algérie : Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur la région des Aurès ? Quelle importance avait-elle dans le conflit ?
Jean-Louis H. Dupré : Je me suis concentré sur les Aurès car cette région fut le théâtre d’affrontements parmi les plus violents. Mon unité de la DBFM y a participé à plusieurs opérations majeures (Jumelles, Étincelles, Pierres précieuses). C’est aussi dans cette zone que la rébellion, pour reprendre le langage de l’époque, était la plus organisée et la plus dangereuse pour nous.
Le Matin d’Algérie : Vous évoquez la « réécriture erronée » de cette guerre. Quels aspects de l’histoire ont, selon vous, été occultés ou déformés ?
Jean-Louis H. Dupré : Aujourd’hui, c’est clair : une partie du monde politique souffle sans cesse sur les braises de la mémoire, notamment ceux qui ont utilisé l’armée à des fins politiques et ont tenté de la pousser vers le déshonneur. À travers des films et des émissions, on propage des contre-vérités que je réprouve. Ayant moi-même recherché mon père sur la liste des prisonniers français de la guerre de 1940, j’ai découvert la présence massive de soldats portant des noms comme Ahmed, Mohamed, ou d’autres d’origine maghrébine, sénégalaise, etc. Ces hommes avaient déjà combattu en 1914-1918. Après tant de sacrifices, nos gouvernants auraient dû leur accorder l’indépendance bien plus tôt, au lieu de s’enfoncer dans cette guerre. La guerre d’Algérie, mal préparée, mal pensée et mal organisée, ne pouvait que mal se terminer.
Le Matin d’Algérie : Vous mentionnez l’affaire Djamila Boupacha. Pourquoi estimez-vous qu’elle a été instrumentalisée politiquement ?
Jean-Louis H. Dupré : Effectivement, j’ai évoqué ce drame, ce nom que je viens de voir sur la dernière page de la couverture. En lisant le livre de Gisèle Halimi, elle cite un haut fonctionnaire, dont j’ai oublié le nom, qui, lors d’une entrevue, lui a dit : « Après tout, ce ne devait pas être si terrible puisqu’elle est toujours en vie. » Cet aveu de responsabilité est encore plus grave que ceux qui ont infligé ces traitements horribles, car celui-là agissait sur ordre. J’avais noté son nom pour le faire passer à la postérité de l’ignominie, mais il me faudrait retrouver le livre et le relire. Je crois qu’approcher un drame de cette nature ne serait peut-être pas approprié, surtout que de très grandes personnalités comme Simone de Beauvoir, Pablo Picasso, Geneviève de Gaulle, Simone Veil, et l’avocat Vergès ont déjà tant écrit à son sujet. D’autant que je cite ce proverbe arabe : « À celui qui dit la vérité, offre-lui un cheval pour qu’il s’enfuie au galop. »
Le Matin d’Algérie : Le titre de votre livre mentionne « Sebabna », un lieu peu connu. Pourquoi l’avoir inclus ?
Jean-Louis H. Dupré : Sebabna est un fort isolé, situé sur le barrage électrifié destiné à empêcher les passages en provenance du Maroc. Plusieurs forts jalonnaient ce barrage, mais après cette brève mention dans notre échange, ce lieu retombera probablement dans l’oubli.
Le Matin d’Algérie : La France et l’Algérie ont-elles encore du mal à affronter leur mémoire commune ?

Jean-Louis H. Dupré : À l’évidence, oui. L’Allemagne et la France, qui se sont affrontées avec bien plus de pertes humaines, ont réussi à faire la paix. Pourquoi pas nous ? Du côté algérien, les raisons m’échappent. Du côté français, le wokisme fait des ravages en jugeant des événements anciens avec les yeux d’aujourd’hui.
Le Matin d’Algérie : Que pensez-vous de l’enseignement de la guerre d’Algérie aujourd’hui ?
Jean-Louis H. Dupré : Hélas, nos deux pays ne transmettent pas la même histoire. En France, une forme de culpabilité excessive conduit à une dramatisation des rapports. Il faudra sans doute des décennies, voire des siècles, pour apaiser cette mémoire.
Le Matin d’Algérie : Espérez-vous apporter une nouvelle lecture du conflit ou simplement rétablir certains faits ?
Jean-Louis H. Dupré : Ni l’un ni l’autre. J’ai seulement voulu partager mes souvenirs et, peut-être, laisser une trace pour mes proches.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot pour ceux qui hésitent encore à lire La Guerre d’Algérie : Sebabna et les Aurès ?
Jean-Louis H. Dupré : Le sujet n’est plus d’actualité, et pourtant l’Histoire semble se répéter…
Djamal Guettala