26 avril 2024
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Menace sur les dialectes algériens : vers une extinction linguistique ?

Langues populaires
Les langues populaires menacées d’extinction

Depuis des temps immémoriaux, l’Algérie a connu une situation linguistique riche, avec la présence de nombreux dialectes arabes algériens parlés dans les différentes régions du pays. Cette diversité linguistique représente un mélange culturel et linguistique unique dans le paysage algérien et constitue un élément fondamental de l’identité nationale.

Ces vingt dernières années, l’avènement des technologies de communication telles que les chaînes de télévision satellitaires, internet et les réseaux sociaux a permis la propagation rapide des expressions familières et l’adoption courante de termes spécialisés. Les dialectes arabes algériens sont également en constante évolution, s’adaptant aux échanges oraux et variant d’une région à l’autre.

Ces langues vernaculaires, appelées langues autochtones locales, sont largement parlées par la majorité de la population algérienne et sont considérées comme des variantes de la langue arabe. Il est important de noter que la langue arabe et la langue amazighe sont toutes deux reconnues comme langues officielles en Algérie, utilisées dans les médias, les écoles et les institutions gouvernementales.

De ce fait, la société algérienne est plurielle et complexe, où ces dialectes arabes algériens côtoient d’autres langues locales telles que les parlers amazighs, qui sont considérés comme les langues anciennes de la région de cette région, tels que le taqbaylit (Kabylie), le chaoui ou tachaouit (Aurès), le mozabi (Mzab) et le targui ou tamachek des Touaregs du grand Sud (Hoggar et Tassili). Par ailleurs, l’espagnol est présent dans l’ouest du pays, en particulier dans la région d’Oran, en raison de la présence coloniale espagnole durant trois siècles et le turc sous l’empire ottoman qui ont laissé des couleurs variées et visibles dans l’arabe algérien.

Toutefois, les dialectes arabes algériens subissent actuellement de profondes évolutions sous l’influence de facteurs externes, notamment la présence constante de la langue française dans tous les domaines. Cette hégémonie culturelle, spécifiquement française dans notre contexte, a souvent entraîné la marginalisation de la langue maternelle des Algériens. Cependant, il convient de noter que certains linguistes estiment que cette influence n’est pas nécessairement un frein au développement des dialectes arabes algériens et que les langues s’enrichissent d’autres cultures !

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Cette tendance s’accentue avec le temps, contribuant à l’appauvrissement lexical des dialectes locaux que nous observons sur le terrain. Le lexique français comble en grande partie les lacunes pour répondre aux besoins minimaux de communication entre deux locuteurs. Ainsi, les discussions en dialecte arabe algérien ne suffisent souvent plus, même pour les conversations courantes.

Des passerelles linguistiques supplémentaires deviennent nécessaires pour élaborer des raisonnements, exposer des points de vue ou exprimer des émotions.

Cependant, l’emprunt excessif et dominant de la langue de Voltaire, particulièrement dans les grandes villes du pays, soulève des interrogations quant à l’avenir de ces dialectes et met potentiellement en danger la perpétuation de ces langues autochtones, malgré les dires des spécialistes. De plus, la transmission orale de ces dialectes traditionnels rend leur préservation encore plus difficile.

Dans un article de presse, un ancien diplomate étranger qui a été en mission diplomatique en Algérie a affirmé que les Algériens étaient des analphabètes bilingues, incapables de maîtriser leur propre langue maternelle ou une langue étrangère. Cette affirmation pourrait suggérer que les Algériens ont des difficultés à s’exprimer avec aisance dans une seule langue voire dialecte ?

Le contact entre différentes langues est un phénomène courant, mais dans ce cas particulier, la situation dépasse tous les escomptes. La cohabitation habituelle entre les langues, qui donne souvent lieu à un métissage linguistique, se transforme ici en une anomalie majeure qui menace l’usage progressif de ces dialectes et risque de les faire disparaître.

Dans le passé, la musique traditionnelle ainsi que d’autres éléments ont joué un rôle majeur dans la préservation et l’enrichissement des dialectes arabes algériens. Des artistes renommés tels que les maîtres du chaa’bi, El haouzi, l’andalou, et d’autres encore ont réussi à préserver et enrichir efficacement les dialectes de leur région respective. Cette dynamique n’est pas propre à l’Algérie, puisque dans d’autres pays également, le théâtre, le cinéma et d’autres formes d’expression artistique ont contribué à préserver et enrichir les dialectes locaux.

Il est crucial de souligner que pour certains chercheurs, la pauvreté de la langue peut conduire à la pauvreté de la pensée. La langue est le principal véhicule de la pensée, et sa réduction à des formes rudimentaires peut limiter notre capacité à exprimer et développer des idées complexes.

Ainsi, la pénurie des mots et l’appauvrissement des dialectes arabes algériens ne sont pas insignifiants, et peuvent conduire à la perte de notre liberté de pensée critique. Cette perte de langage peut devenir une source de violence dans la société, car le fait de perdre des mots peut entraîner une certaine incompréhension entre les individus. La diminution du vocabulaire utilisé peut également avoir des conséquences négatives sur la communication et la compréhension mutuelle.

En comparaison avec la situation algérienne, la problématique de la disparition des dialectes ne se pose pas de la même manière en Egypte, malgré l’influence de la langue anglaise à une certaine période de son histoire. Les Egyptiens ont en effet une grande facilité à communiquer en dialectes arabes égyptiens qui empruntent un lexique important de la langue arabe et de la langue copte. Cette richesse linguistique leur permet d’aborder tous types de sujets.

Cependant, la situation en Algérie est préoccupante et plusieurs raisons peuvent expliquer la disparition progressive des dialectes, en particulier celui de l’arabe algérien. D’abord, l’enseignement de la langue arabe est souvent dévalorisé, alors qu’elle constitue le principal réservoir de ces dialectes locaux.

Ensuite, l’ouverture d’écoles maternelles et de crèches privées privilégiant l’enseignement des langues étrangères au détriment de la langue maternelle est un facteur aggravant. Enfin, l’usage excessif de la langue française par certaines personnalités publiques telles que les influenceurs, les animateurs de télévision, les chanteurs, ou les journalistes, contribue à la marginalisation des dialectes et à l’affaiblissement de l’identité algérienne.

Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, je l’adresserais particulièrement aux pouvoirs publics et aux universitaires et à la société civile afin qu’ils trouvent des solutions pour préserver ce qui reste du patrimoine algérien, en particulier les différentes variétés des dialectes arabes algériens et la préservation des dialectes arabes algériens, ainsi que des autres langues régionales telles que le kabyle, le chaoui, le mozabite, etc., est une question cruciale pour la société algérienne.

Cette problématique concerne l’essence même de l’identité et de la culture algériennes, dans toutes leurs formes, et la disparition de ces langues orales serait une perte significative pour la diversité linguistique et culturelle de l’Algérie.

Ce serait une erreur monumentale de ne pas considérer et sous-estimer l’importance de cette problématique. En effet, il faut prendre des mesures fermes pour y remédier, même si cela peut impliquer de faire des sacrifices à court terme. Une mise à jour est nécessaire pour préserver la richesse linguistique et culturelle de l’Algérie et garantir la transmission de ces langues aux générations futures.

« Les dialectes sont des marqueurs importants de l’identité régionale et culturelle, et leur perte peut entraîner une perte de diversité culturelle et linguistique », Nancy Dorian.

Nabil Mati

École des Hautes Études en sciences sociales de Paris (EHESS)

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