26 avril 2024
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Mettre en cause l’ordre falsifié du monde

REGARD

Mettre en cause l’ordre falsifié du monde

« L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit. » Aristote

Cela fait quelque temps que nous avons peur. Cette année et l’année d’avant, nous avons entendu notre société avouer sa peur. Une peur domestique, une peur toute en finesse, une peur gracieuse et honnête. Plus que jamais, de mémoire de vivant, la peur hante les conciliabules. Peur de soi. Peur du voisin. Peur de ce qui va arriver. Peur de l’autre avec lequel le dialogue semble définitivement rompu.

Peur de ne plus se reconnaître dans le miroir. Peur innombrable, à la fois protectrice et comme indicatrice des aggravations de la situation qui nous attend. Et surtout, pour peu que l’on tente de céder à nos mauvais instincts, peur agissante, peur ingénieuse et peur clairvoyante qui nous oblige à regarder en face ce que nous sommes en train de vivre. Peur qui nous oblige à nous déterminer après des années de dépression et de léthargie. Peur qui nous métamorphose tous collectivement et individuellement.

Les conclusions ne se font pas attendre. Nous les connaissons toutes : radicalisation, racialisation, repli communautaire, rejet de l’autre, stagnation, consentement, amalgame, haine, aberrations, assignations, décadence, bannissement, condamnation, déchéance… Les mots tournent en boucle dans nos têtes, dans les titres des journaux, sur nos lèvres, sur les écrans des télévisions au détriment des analyses et de la mise en perspective, dans les discours creux des femmes et des hommes politiques.

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Persuadés d’être incapables de ne rien y comprendre, de ne pouvoir en dire quoi que ce soit, de ne pouvoir y changer le moindre bout, nous avons glissé doucement vers l’incapacité d’avoir prise sur nos propres vies. Pourtant, il semble que le vent se soit enfin levé et qu’il ait tourné. Tout un chacun réclame le droit à la prise de parole. Chacun d’entre nous veut prendre une initiative. Tout le monde veut avoir droit à une information juste et précise.

Ici et là, on constate que des propositions émergent et sortent d’un sol ingrat. Certains font un pas en arrière pour mieux avancer, se réunissent, fondent une association ; d’autres fermentent ou sont déjà en ébullition, les troisièmes gigotent, s’ébrouent, s’énervent ; d’autres encore vont plus loin et se jettent corps et âme dans le jeu médiatique de se libérer des entraves et des cachotteries — et avec quels alliés, dis-moi qui tu suis et je te dirai qui tu es. Il devient de plus en plus difficile de ne pas choisir son camp.

Dès lors, quelle alternative à ce saucissonnage implicite mais inexprimé des consciences ? Pour éclaircir le débat, peut-être faut-il s’obliger à changer de gamme et commencer par se poser en son for intérieur cette question : où, comment et quand s’exprime notre liberté ?

À quoi reconnaît-on une parole libre, une pensée libre, un geste libre, indépendants de toute emprise sectaire, de toute logique aliénante ? À quelles conditions peut naître la grande émotion qui nous envahit lorsque nous sentons que notre regard grandit et qu’il s’ouvre au monde, que notre esprit se propulse et se transforme, cette fraction de seconde où l’on est sûr que l’on comprend que l’on n’appartient pas à une phalange, à une hérésie, à une coalition, où l’on apprend, où l’on formule et où l’on découvre que nous appartenons à une humanité qui évolue et qui s’ouvre et qui s’impose à nous comme un sentiment profondément juste ? Qu’est-ce qui rend possible ce mouvement perpétuel de l’être et par quoi est-il menacé ?

Comment le préserver à l’heure où les doutes qui nous font avancer cèdent la place aux certitudes définitives qui nous font stagner ? Comment remplacer les œillères par des questions ? La liberté est-elle inséparable des contestations ? La contradiction n’est-elle pas le prolongement de la liberté de conscience et de la liberté toute simple ?

Quelle place laisse-t-on à ceux qui doutent, qui argumentent, qui remettent en question l’ordre falsifié du monde ? Quels censeurs avons-nous fait naître en notre sein ? 

Plaider, mettre en cause, douter, résister, voilà le lot de ceux qui avancent. Ces derniers attestent par leur façon d’interroger que les questions susciteront toujours des réponses…

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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