28 mars 2024
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Mohamed Benchicou : « Pour Bouteflika, le pouvoir ne se restitue pas »

ENTRETIEN

Mohamed Benchicou : « Pour Bouteflika, le pouvoir ne se restitue pas »

Mohamed Benchicou a répondu aux questions de Cap Algérie. Nous en reproduisons ici l’entretien.

Cap Algérie : La rue algérienne a retrouvé sa voix qu’elle a perdue voici dix huit ans.

Mohamed Benchicou : Permettez-moi de vous rectifier : la voix des Algériens a été confisquée en 1962, quand fut fomenté le putsch militaire contre le gouvernement légitime (GPRA) et  instituée la loi du plus fort, la loi du fusil qui remplaçait toutes les autres lois et consacrait le système du putsch comme unique moyen d’arriver au pouvoir.

Bouteflika est une créature née de ce coup de force. Un vieux putschiste. Il prend le pouvoir par la force ou l’intrigue et le conserve par  la force. Il agit conformément à sa vocation de fils héritier du clan militaire qui a empêché, en 1962, l’avènement d’un processus démocratique en Algérie.

L’histoire du cinquième mandat s’imbrique parfaitement dans la trajectoire politique du personnage. Nous n’avons cessé depuis 2001 d’écrire et de répéter que Bouteflika ne rendra jamais les clés de la présidence.

Il considère le pouvoir comme son dû, sa propriété, propriété héritée du clan d’Oujda, celui qui a institué, dès 1962, la loi du fusil, et instauré le mépris et l’arrogance comme méthodes de gouvernance. Bouteflika est l’enfant adultérin d’un pouvoir grabataire et d’une démocratie violée. En tant que tel, il a gravi les échelons politiques en fomentant des coups d’Etat : en 1962 contre le gouvernement provisoire (GPRA), en 1965 contre Ben Bella, en 2004 contre Benflis et le FLN qui lui était hostile, en 2009 contre grande partie de l’armée, en 2014 contre le bon sens puisqu’il était déjà handicapé et à l’état végétatif, en 2019 contre toute logique. Le cinquième mandat obéit à la stratégie de la force : « Le pouvoir m’appartient, j’en use comme je veux ».  Bouteflika savait, dès le premier jour, en ce mois d’avril 1999 quand l’Armée lui transférera le pouvoir, qu’il ne restituerait jamais les clés de la maison. Le  pouvoir est un butin de guerre. Un dû. 

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Le pouvoir ne se restitue pas. Bouteflika donne raison à Orwell. « On n’établit pas une dictature pour sauvegarder une révolution. On fait une révolution pour établir une dictature. » Les Algériens s’en sont rendus compte en 2019, lorsque le président, qui n’est plus qu’une pauvre carcasse ambulante, a eu le culot de vouloir rempiler. Ils se sont représentés la déchéance qui les attendait. Ça a dû beaucoup joué dans l’initiative des manifestations.   

Ce grondement peut-il être salvateur ?

Je crois sincèrement qu’il est trop tôt pour nourrir de gros espoirs sur cette mobilisation populaire qu’il convient d’applaudir mais qui arrive trop tard, trop tard pour le pays : le mal est fait. Bouteflika et ses amis ont déstructuré l’État, ou ce qui en restait, et l’ont complètement réaménagé pour les besoins de la rapine. Il est trop tard pour espérer,  même si Bouteflika venait à être chassé du pouvoir, rattraper ses crimes économiques et sociaux. Le mal est trop profond. Il est trop tard pour espérer faire de l’Algérie un pays émergent. Du moins pas avant longtemps. Il est trop tard pour espérer résoudre le problème du chômage à court et moyen terme, et donner un emploi chaque jeune Algérien. Avec quoi ? Pendant 20 ans, nous avons fait du surplace. Bouteflika a transformé le mouvement patriotique en inertie. En 1999, la part du pétrole dans les exportations était de 97 % ; en 2019 elle est toujours de 97 % ! Cela signifie qu’en 20 ans, le régime de Bouteflika n’a pas réduit, ne fut-ce que de 1 % la dépendance pétrolière du pays.

Nous restons une économie rentière, incapable de produire ce que nous consommons. En 20 ans, le régime n’a rien investi dans l’industrie, la production agricole, dans les nouvelles technologies ou dans les infrastructures sociales en dépit des fortes rentrées d’argent pendant la période où le pétrole valait jusqu’à 140 $ .

Plus jamais nous n’aurons recettes du niveau de celle qui avaient alimenté le Trésor public entre 2003 et 2013. Où est parti l’argent ? Cet audit doit être fait tot ou tard.

À titre de comparaison, 20 ans c’est temps mis par la Corée du Sud pour devenir une puissance économique. C’est pour ça que je dis qu’il est bien tard pour ce que vous appelez le réveil populaire. Bouteflika n’est pas un bâtisseur mais une simple créature de pouvoir. Il n’est pas venu pour gouverner mais pour jouir du pouvoir. Le pouvoir dans son acception la plus vulgaire, la plus archaïque, c’est-à-dire commander, regarder les gens d’en haut, monopoliser les commandes du pays, disposer de l’argent du trésor, se complaire dans la proximité de Dieu… Bouteflika est un homme de putsches, pas de gouvernance.

On a laissé Bouteflika jouer seul sur le terrain. Les manifestation de cette semaine, aussi louables soit-elles, arrivent bien tard. Le camp Bouteflika a eu le temps de généraliser la corruption, de renforcer son pouvoir jusqu’à s’autoriser à exiger un cinquième mandat. Pendant 20 ans, les citoyens algériens ne jouaient aucun rôle dans la reconduction de Bouteflika qui, en retour, régnait sans rien leur devoir. 

Au cours des 20 dernières années, nous avons eu sous les yeux un État incohérent, irresponsable et sans scrupules faiblement relié à une société faible.

Pour dire les choses simplement, personne ne gouverne et personne n’est gouverné. C’est ainsi que les institutions, aussi contestables   qu’elles étaient, ont été vidé de leur substance. Bouteflika n’a rien gardé  de l’État zéroualien qu’il avait trouvé en 1999.  C’est son droit, pourrait-on dire. Oui mais il aurait fallu édifier à la place un état bouteflikien, ne pas laisser le vide. Mais à la place de l’État qu’il a détruit, Bouteflika a installé des hommes qui n’avaient de comptes à rendre à personne qu’à lui. C’est ainsi que fut généralisée la corruption .

Les manifestations seraient donc inutiles ?

Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que nous avons mis beaucoup de temps pour nous réveiller sur la réalité Bouteflika. Ce temps a été exploité pour mettre en place la machine du pouvoir à vie, pour désarticuler ce qu’il reste de l’État algérien, pour créer le vide… le régime se félicitait que l’Algérien, désormais, regarde la politique comme un loisir réservé à des initiés se souciant exclusivement de leurs intérêts. Le pouvoir de Bouteflika a renforcé l’idée que la politique soit vue par la population comme une activité sans rapports avec la vie quotidienne de la plupart des gens. S’opposer à un nouveau mandat ?

Pourquoi faire ? La population regardait, de loin, cette foire d’empoigne qui ne la concernait pas. Elle se moquait de savoir qui étaient les bons et qui étaient les méchants puisqu’elle n’avait ni la chance de faire partie des premiers ni la malchance de compter parmi les seconds. Sous Bouteflika, on a remplacé la politique par le football. Mieux valait discuter du repositionnement tactique de Mahrez plutôt que de soulever le cas Chakib Khelil. Les manifestations de rue étaient autorisées seulement les jours de victoire en football. Il ne fallait surtout pas se tromper de slogan. « One two three, viva l’Algérie », et rien d’autre. Subitement, les mêmes jeunes qui se contentaient de chants de supporters, scandent « Bouteflika dégage ! »…

Le pouvoir continue à faire la sourde oreille en dépit des vœux de la population sortie manifester contre le 5eme mandat de Bouteflika. Est-ce par peur, par autisme ou par nihilisme ?

Par choc émotionnel. Il ne s’attendait pas à cette protesta qui l’a fait trembler et encore moins une protesta de cette envergure. Il croyait avoir mis en place pour longtemps les conditions d’un asservissement des Algériens, d’une cohabitation pacifique avec le peuple qui lui permettrait de s’adonner à la rapine tranquillement. Bouteflika a vécu 20 ans de quiétude par une sorte de marché avec les Algériens : un peu de l’argent du pétrole contre le silence et la soumission. C’est ce que certains analystes appellent la malédiction des pétrodollars.

Le régime de Bouteflika flottait sur des pétrodollars, c’est-à-dire sur un afflux de recettes qui se déversent dans les coffres de l’État sans qu’il soit nécessaire d’exercer la moindre pression fiscale sur la population. L’imposition, on le sait, suscite une certaine résistance et ne marche bien que lorsque le gouvernement offre des services publics aux contribuables en échange des impôts qu’ils versent.

La théorie démocratique classique affirme que la « citoyenneté » se développe là où il y a contestation, c’est-à-dire là où l’État cherche à extraire des ressources de la population (les impôts et le service militaire des hommes) et se heurte à une résistance de la population, ce qui rend nécessaire une sorte de règlement négocié. La « malédiction du gaz et du pétrole » explique grandement la faiblesse de la société politique et de la citoyenneté dans l’Algérie de ces dernières années. En tout cas, la solution que représentent les hydrocarbures en garantissant des revenus à l’État a permis de faire l’économie de la phase de négociation entre l’État et la société. Tu veux de l’argent contre ton silence ? Bouteflika a distribué aux jeunes un petit pactole en échange de leur indifférence.

Des prêts devenus non remboursables dans la bouche du directeur de campagne Abdelmalek Sellal. « Utilisez cet argent pour vous marier »Sellal toujours qui annonce fièrement durant  la campagne présidentielle de 2014, aux gens de Mascara, une ville située à l’ouest du pays, réputée pour être la cité des calembours  :  « Dans les cinq prochaines années, nous transformerons Mascara en Californie ! » La Californie ! En cinq ans ! Pensez donc ! Los Angelès, Hollywood, San Francisco… Mais avec quels nouveaux moyens notre chef du gouvernement érigerait-il en cinq ans cette Californie qu’il n’aura pu édifier en 15 ans ? Cinq ans sont passés, le prix du baril a lourdement chuté et nulle trace de Californie à Mascara. Et l’Ansej exige le remboursement des allocations mises à la disposition des jeunes. E

st-ce un hasard si cette protestation qui a rempli la rue algérienne s’est produite au moment où les recettes pétrolières commencent à baisser ? Sans doute pas. En plus d’être inapte à diriger un pays, Bouteflika n’a  plus les moyens d’acheter la paix sociale.

En lieu et place de la Californie, il y eut la banqueroute financière, la décadence nationale, la peur de manquer de pain… Ils s’étaient emparés du pouvoir au nom de la loi du fusil, ils s’étaient proclamés monarques indéboulonnables, ils ont aboli la création et implanté l’inertie, ils ont tétanisé le lettré et promu l’ignorant puis ils ont fait un communiqué où ils annoncèrent la faillite nationale.

 




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