Du lycée de Oum El Bouaghi — ex-Makomedas — aux scènes marseillaises, Mohcen Ferrah trace un chemin singulier, entre jazz, blues et terre chaouie. Membre fondateur du groupe Ithrène, il incarne une musique enracinée et ouverte, tissée de fusion, de mémoire et de résistance. Portrait d’un artisan exigeant.
Il est le plus jeune des musiciens du groupe Ithrène, formé à Oum El Bouaghi, dans la région des Aurès. Dès son enfance, Mohcen Ferrah est plongé dans un univers sonore où résonnent aussi bien Miles Davis que John Coltrane, Led Zeppelin ou Joe Satriani. C’est ce dernier, maître de la guitare instrumentale, qui déclenche chez lui, à 14 ans, une passion durable pour la six-cordes.
Mais l’histoire, comme souvent, commence plus tôt. À l’âge de 7 ans, il pose pour la première fois ses doigts sur une guitare sèche que son grand-père avait offerte à son frère Smail, à l’occasion de sa réussite au BEM. Smail, figure du groupe Les Berbères, lui transmet avec leurs frères Rabah et Hichem bien plus que des accords : une mémoire vivante de la musique amazighe, branchée sur les ondes d’Hendrix et Knopfler.
En 1998, Mohcen monte sur scène. Il étudie le jazz, l’harmonie, la composition, l’improvisation. Très vite, il rafle le premier prix du Festival national de la musique moderne à Oran, deux années de suite (2003 et 2004). Étudiant à l’université, il devient ingénieur en gestion urbaine, sans jamais délaisser sa vocation musicale.

Ithrène, l’étoile chaouie qui brille à contre-courant
Avec Ithrène — « étoile » en chaoui — Mohcen construit, depuis plus de vingt ans, une œuvre musicale exigeante, enracinée dans les sonorités berbères mais nourrie d’influences variées. Jazz, rock, blues et musiques du désert y fusionnent sans jamais trahir la mélodie de base, celle de leur région.
Leur dernier album, New Tindi, est le fruit de deux années de travail acharné. Enregistré dès fin 2009, il mêle empreintes Tergui, touche acoustique et richesse chaouie. « On essaie de faire une musique qui nous ressemble, pas une musique facile », dit Mohcen. Ce disque, diffusé chez Belda, marque une nouvelle étape dans la maturité du groupe.
Mais la reconnaissance nationale reste inégale. À Batna, tout près de leur région natale, ils ne sont que rarement invités. « Batna organise un seul festival dans l’année, dédié à la chanson arabe. Nous, on est berbères. On se sent étrangers dans notre propre bled », lâche-t-il sans amertume mais avec lucidité.
Marseille, exil fertile et enraciné
Installé depuis plusieurs années à Marseille, Mohcen Ferrah n’a rien renié de ses racines. Il continue d’écrire, de jouer, d’arranger. Il a rejoint le groupe Zawia Fama, qui explore les rythmes gnawi, tout en menant ses projets en solo. Il collabore aussi avec son frère Smail Ferrah, toujours actif, pour un futur album de huit titres.
Une soirée entière au service de la musique amazighe
Festival Amazigh à la Sucrière (Marseille) 2025 : Mohcen Ferrah a occupé la scène toute la soirée. En solo, d’abord, pendant la pause, il interprète Thamurth U Chaoui (La Terre chaouie), une pièce instrumentale poignante, portée par un blues enraciné dans sa terre natale. Un moment suspendu, joué avec une retenue bouleversante.
Avant et après cette parenthèse, il accompagne avec brio les artistes invités du festival. En une seule nuit de répétition, il se fond dans des univers variés et sert avec finesse les voix de Ali Idaflawen, Djaafar Aït Menguellet, Si Moh Chenoud, Ali Ferhati, Hamid Matoub, ainsi que celles des jeunes révélations Yelli Yelli et Ymaï. Son jeu, libre et précis, agit comme un lien musical entre les générations et affirme la présence d’un guitariste aussi humble qu’indispensable.
« L’artiste est sacrifié dans ce bled »
Loin de se poser en victime, Mohcen analyse avec une clarté sans concession la place faite aux artistes en Algérie. « Il n’y a pas d’ateliers d’art, pas de formation. On programme des festivités sans construire de vrai réseau. On fait venir des artistes d’ailleurs et on ignore les nôtres. »
Le départ, comme pour son frère Hichem , devient une nécessité. « On quitte avec une grande peine. L’artiste est sacrifié dans ce bled. »
Mais rien n’éteint la flamme. Un nouvel album est en préparation, et Mohcen garde l’espoir que son pays, un jour, se « réveille de son hibernation ». En attendant, il joue, transmet, cherche l’accord juste, dans l’exil volontaire d’un musicien libre.
Djamal Guettala