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Mouloud Feraoun l’incompris

Assassiné à l’indépendance par l’OAS

Mouloud Feraoun l’incompris

Le 16 mars 1962, une dépêche de l’AFP (bureau de Tunis), annonce le départ du président du GPRA, M. Benyoucef Benkhedda, pour Rabat afin d’accueillir M. Ben Bella et ses compagnons libérés. Un départ qui sera précédé par une proclamation sur la fin des négociations d’Evian.

Le même jour à Alger, deux attentats ont été commis par les groupes fascistes du commando Delta de l’OAS. Le premier s’est déroulé le matin devant une station d’autobus, entre El-Harrach et Hussein-Dey où deux réverbères éclairaient faiblement

 » La file des personnes, une vingtaine (pour la plupart des algériens) qui attendent dans le matin froid l’autobus qui doit les conduire à leur travail. Soudain, une voiture, précisèrent les témoins, freine et s’arrête le long du trottoir à deux mètres de la guérite. Un homme descend. Il y tient, à la hauteur de la hanche, un pistolet mitrailleur ». (1)

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L’homme ouvre le feu et de droite à gauche, vide un chargeur puis un second. Il fera dix morts et six blessés. Les victimes sont de modestes travailleurs algériens.

Dans le courant de la matinée, un autre commando fasciste fait direction au Château Royal, siège du centre social éducatif d’El-Biar (aujourd’hui siège des Services des retraites de l’Armée National Populaire), où six éléments du commando du lieutenant Roger Delgueldre, armés de mitraillettes descendent de deux voitures et se dirigent vers  une des baraques préfabriquées dressées dans le parc, où se tient une réunion des inspecteurs des centres sociaux éducatifs. La porte est fermée à clés, un des assaillants fait sauter le ventail. Le chef du groupe, le lieutenant Olivier Picot d’Assignies, en criant, l’arme au point abdique ; « Six d’entre vous ont été condamnés à mort, MM. Marchand, Basset, Eymard, Hammoutele, Ould Aoudia et Feraoun. Suivez-nous ». (2)

Les six victimes désignées sortent. L’un d’eux écrase sa cigarette sous sa semelle. Ils seront conduit vers la sortie du par cet devant le dernier bâtiment, ils seront alignées contre le mur et froidement exécutés. L’opération du « traitement impératif et urgent » terminée, le commando fasciste rembarque dans les deux voitures, laissant leurs victimes allongés dans une marre de sang.

Quarante six ans après cet acte terroriste, Jean-Jacques Susini (mort en 2017) et lors d’une réponse à la question si l’OAS regelait ses actes, il répond :

« Politiquement oui. (…) Tout comme l’opération des centres sociaux d’Alger où sont tués six éducateurs, dont l’écrivain Mouloud Feraoun. Mais les derniers mois tout devenait de plus en plus difficile à maitriser. La montée de l’angoisse nourrissait les décisions les plus radicales. » (3)

Les résultats mortuaires de cette « angoisse » pour la seule journée du 16 mars étaient édifiants. 45 attentats dans toute l’Algérie faisant 41 morts et 45 blessés, entre Européens et Algériens. Mouloud Feraoun qui disait, lors de la mort d’Albert Camus que « c’est une chose triste, que de devoir parler de la mort de ses amis ! » et qu’aurait dit, l’ami Camus à l’instant même de cette tragédie algérienne ? Un sujet qui pourrait intéresser M. Kamal Daoud, non ?

La presse suisse de son côté, et lors des négociations entre l’Etat français et le GPRA, qualifiait la perte prématurée de Mouloud Feraoun, de disparition même de l’acte de fraternisation entre les deux peuples et que si « la paix est là, juridiquement : cependant le sang ne cesse de couler » (4) mettant en cause ceux qui sont chargés d’appliquer les moyens de sécurités renforcées, et leur absence d’esprit loyaliste, le plus total.

Le fils des pauvres chemins qui montent a été réellement exécuté sur la base d’un travail minutieux de relais fascistes au sein même de la police coloniale. Son appartenance au Parti Socialiste Autonome (futur PSU à partir de 1960) de MM. Daniel Mayer, Savary, Verdier et Depreux, un groupe marxisant issue du Congrès de la SFIO à Lille (1956), est certainement un choix qui a pesé sur son exécution, puisque la phalange du général Salan considérait tous ceux qui sont à gauche, sont forcément rouge et ceux de droite, des gaullistes et des traitres.

Son compagnon d’études à l’Ecole normale de Bouzaréah, l’écrivain Emmanuel Roblès estimait « qu’il n’était pas visé lui-même » mais bien le centre, que l’OAS considérait comme « un nid d’agitateurs FLN ». Des propos qui nous interrogent aujourd’hui sur la pensée même de ces natifs de la terre algérienne. Pour Roblès, Feraoun est un homme « sans haine » et qu’il accusait « certaines forces d’argent qui, selon lui, avaient truqués ce pays ».

Le pensait-il réellement ainsi ? La mollesse exquise (Roblès) de Feraoun est à chercher dans la traversée de ses idées politiques et son adhésion au socialisme humaniste. Les quelques enregistrements qui existent de lui, se décryptent par le regard, les souffles instantanés et discrets qu’il montrait à peine et par pudeur, devant les questions relatives à Albert Camus.  Il est toujours intéressant d’interviewer un écrivain Algérien à l’ombre de Camus. Feraoun, tout comme Kateb, est claire : Camus « n’arrivait pas à voir claire en lui-même, une issue », pour ainsi rappeler la faillite politique du Prix Nobel, et que nous le considérions, tout comme l’avait estimé Feraoun, « une gloire algérienne » puisqu’il est né sur notre terre et rien de plus.

En quarante-neuf ans, Feraoun a bien mûri. Il a lu tout les ouvrages de la bibliothèque de l’Ecole normale « puisqu’il préférait envoyer sa bourse d’étude, aux membres de sa famille que de la dépensée inutilement » (Ali Feraoun). Ce fils de la pauvre terre de sang aimait lire Alger-Républicain depuis le reportage de Camus sur la Kabylie. Un reportage bien présent dans ses romans.

Mais le hic venait de l’initiatrice de centres sociaux éducatifs, la Germaine Tillon du Plan de Constantine et de la Paix des braves, qui considérait Feraoun comme « un très grand écrivain français. Très attaché à sa Kabylie, mais aussi à la France ». Hélas ! Le Feraoun que nous connaissons et que nous entretenons, est celui qui a été entretenu et présenté par les faits, actes et dires de ceux qui ne cessent de ce nourrir de leur seul eurocentrisme.

Mohamed-Karim Assouane

Université d’Alger-2.

Note

1 – La Gazette de Lausanne, du 16/03/1962.

2 – Idem.

3 – Interview du 22 mai 2008, Le Point, N° 1862.

4 – La Gazette de Lausanne, du 21/03/1962.

Auteur
Mohamed-Karim Assouane

 




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