22 novembre 2024
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Mouloud Feraoun, un « fils du pauvre » mais si majestueux

Conseil de lecture aux jeunes

Mouloud Feraoun, un « fils du pauvre » mais si majestueux

Bien entendu, j’avais lu pendant ma jeunesse algérienne, finalement très courte, « le fils du pauvre » de Mouloud Feraoun. Pour être honnête, je n’ai plus souvenir si j’avais lu le roman dans son intégralité ou en une multitude d’extraits comme cela se faisait beaucoup à l’époque dans notre apprentissage à la littérature.

Pour cette chronique d’été, je suis allé à la Fnac pour l’acheter et je m’en veux terriblement de ne l’avoir fait bien plus tôt, moi l’amoureux des livres. Ce ne fut pas seulement un grand plaisir de lecture retrouvé, comme je me l’imaginais dans les restes de mon souvenir, mais véritablement un choc.

J’ai été bouleversé au point d’avoir voulu modifier le titre de ce rendez-vous auprès des jeunes lecteurs, « Mouloud Feraoun, mon Algérie à moi ». Mais ma présence dans des articles politiques très rudes sur Internet aurait brouillé le message que je souhaite extrêmement chaleureux avec la jeunesse algérienne, pour laquelle j’ai rédigé cette série d’articles, dépouillée de toute autre considération. Restons donc dans la littérature avec cet inoubliable livre de Mouloud Feraoun.

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Tout d’abord, pour construire un grand roman, il faut plusieurs ingrédients qui transforment le mélange en une alchimie miraculeuse. Nous reviendrons sur les principaux tout au long de cette évocation mais il en est un, introductif, qui se retrouve souvent chez les grands romanciers, commençons par lui afin de vous persuader du plaisir que vous ratez si vous passez à côté de ce très grand conteur.

Cet ingrédient est l’apparition d’un personnage truculent, hors norme et qui attire immédiatement l’attention du lecteur. Celui qui est habitué à la littérature sait que par ce personnage toute l’histoire va se décliner, c’est l’entrée en scène de l’acteur principal après qu’une introduction ait planté le décor préparatif de son intervention.

Si vous avez un jour l’occasion de lire ou relire « Le père Goriot » de Balzac, vous rencontrerez l’un des exemples les plus célèbres de la littérature dans le sens que je viens de décrire avec l’apparition de  madame Vauquer, la tenancière d’une auberge de même nom. Après une description de l’auberge dont Balzac est le maître absolu, il fait apparaître la dame Vauquer et entame sa description en terminant par cette célèbre remarque que je cite de mémoire « Toute la pension est dans madame Vauquer et madame Vauquer est cette pension ».

Même si Mouloud Feraoun fait entrer en scène dès le départ du roman sa grand-mère Tassadit, on ressent bien l’association qu’il veut marquer entre le lieu et celle qui le représente si bien car l’un et l’autre sont indissociables dans sa mémoire d’enfance. Elle était tout, par elle passait tout et rien ne pouvait se décider si ce n’est par son consentement, sa décision ou son ordre. On ne remet pas en cause son verdict même si elle fait état de ses erreurs, y compris dans le choix des épouses de ses fils. Ainsi, elle déteste sa première belle-fille, épouse de son fils préféré mais apprécie celle de l’autre (on utilisera plutôt le verbe tolérer en cette circonstance bien habituelle de l’âme humaine).

Elle est la gardienne et la manager des stocks dans les jarres, elle distribue le travail, contingente les plaisirs et les dépenses. Tassadit est la matrice de tout ce monde vivant dans la maison humble et pauvre que fut celle de l’enfance de l’auteur. Les sentiments, les alliances, les inimitiés, tout est de la volonté de la grande prêtresse des lieux. Quand on est pauvre et dans le besoin, il faut une direction ferme, Tassadit tient la barre et ne semble à aucun moment avoir des états d’âme.

On en vient à se demander parfois si c’était bien la société des hommes qui dominait à cette époque mais au contraire celle du matriarcat que nous avons tous connu (cette réflexion ne peut cependant être développée sans d’autres considérations qui renversent souvent l’analyse du tout au tout). Certes, officiellement la décision du mari et des hommes fait office de loi, mais dans le règne familial de cet enfant de Kabylie, comme partout en cette Algérie lointaine, la survie est d’abord un courage décisionnel et une farouche volonté de la grande « générale en chef » de la maison.

Je rassure immédiatement le lecteur, l’expression « mon Algérie à moi » doit être prise avec la plus grande des précautions. J’ai vécu une jeunesse algérienne dans la joie et le bonheur avec l’essentiel et même le superflu, gâté comme il n’est pas possible de l’être. Mais Mouloud Feraoun est de la génération qui nous a précédés, qui a eu une formation dont nous allions encore bénéficier et qui manie la langue française comme nous l’avons connue (mais à un niveau de compétence bien plus haut pour ce grand virtuose de la langue française) ainsi qu’un pays qui fut, à peu près identique au notre dans ses grandes caractéristiques sociales.

Il ne faut pas se méprendre sur le propos, la jeunesse algérienne actuelle doit vivre son époque et apprécier la littérature qui colle à ses envies. Ainsi, lire « Le fils du pauvre » de Mouloud Feraoun n’est pas se réfugier dans une nostalgie du passé car les grands romans sont universels et intemporels c’est à dire qu’ils peuvent parler à toutes les générations. Le talent des grands écrivains construit toujours ce qui est pérenne et accompagne le plaisir de la lecture en toutes époques. Lire « Le fils du pauvre », c’est vivre l’optimisme du moment présent de la jeunesse en passant un bon moment de lecture.

En choisissant ce livre, comme je l’espère, vous ne serez pas submergés par un misérabilisme que suggère le titre du roman autobiographique. Mouloud Feraoun porte un regard féroce d’humour sur son enfance de pauvre car il avait compris trois considérations qui semblent être oubliées par ceux qui invoquent perpétuellement le passé.

La première est dans le regard distancié, d’où le second degré de sa merveilleuse plume. J’ai l’habitude de dire sur les réseaux sociaux que l’humour avec lequel nous traitons de l’Algérie de l’époque n’est pas une irrévérence hautaine mais le seul moyen d’atteindre l’inatteignable, ce que nous avons perdu, ce qui s’est perdu en une grande implosion. C’est le second degré qui peut, seul, l’atteindre, le comprendre et, au final, lui dire que nous l’aimons, ce pays qui nous a vu naître.

La seconde considération est un regard sans complaisance sur la société algérienne de cette période dans tous les aspects terrifiants que peut avoir le comportement humain. Mouloud Feraoun décrit sans détours les relations au sein de sa famille et de son village. La mesquinerie, les calculs intéressés, les batailles ancestrales entre les clans sont les fondements de ce qu’il a pu constater.

Il ne les nie pas mais, au contraire, il en fait la substance de sa grande tendresse car il s’agit toujours de démontrer l’amour qu’il a des siens et de son village. Il ne se drape pas derrière un « c’était mieux avant » ou le rappel des sempiternelles « valeurs » que l’on met toujours en avant lorsqu’on parle d’un passé virtuel, pour mieux dissimuler leur inexistence ou tout simplement parce qu’on les a mises de côté.

Mouloud Feraoun aime ces gens, parfois très rustres, mais qui sont l’humanité de son enfance, celle dont il a gardé le plus beau des souvenirs. Il n’a pas honte de ce qu’il était pour vouloir déformer une réalité sous le couvert de l’amour des siens, de la patrie et de n’importe quel faire-valoir de façade que nous brandissent certains avec ostentation, du matin au soir.

C’est sa jeunesse, son Algérie à lui, sa Kabylie natale, il la prend et la décrit comme elle était avec un extraordinaire recul qui fait de lui un écrivain qui n’a aucun compte à régler, aucun message grandiloquent à faire passer mais seulement le désir de nous emmener vers l’extraordinaire monde du conteur.

La troisième considération est qu’il n’essaie pas de recouvrir ses écrits d’un tissu de grandes paroles alambiquées. Il ne tente pas de nous abreuver de grands messages philosophiques, il raconte tout simplement cette tranche de vie de son village natal, dans le dénuement de sa pauvreté et ainsi, de sa vérité.

Et pourtant, comme je n’ai cessé de vous le répéter tout au long de cette chronique d’été, les messages philosophiques et moraux pleuvent à chaque page lorsqu’il s’agit d’un grand écrivain, sans qu’il s’efforce artificiellement d’encombrer le récit. Ils sont étourdissants de beauté car les grands écrivains ne tentent pas d’en rajouter pour prouver le haut niveau intellectuel qu’ils ont atteint. Avec Mouloud Feraoun comme avec tous les romanciers de grand talent, les phrases qui se reprennent en citations connues à travers les générations s’instillent naturellement dans l’énoncé du récit.

Il est de ceux que nous avons perdus car il ne signerait probablement pas, comme certains, d’une présentation trois fois plus longue que le bras s’il avait eu à rédiger des contributions dans la presse actuelle. Il avait pourtant un niveau en français aussi impressionnant que sa dimension intellectuelle et, d’ailleurs, conforme au parcours académique qui fut le sien.

Le message aux jeunes lecteurs, soyez simples dans vos écrits et soignez simplement votre forme d’écriture en conformité avec vos ressentis. La beauté d’un roman est dans cette simplicité qui finit par parler aux sentiments.

Encore et encore une fois, ne vous laissez pas manipuler par ceux qui vous présentent la littérature   comme une affaire de spécialistes pour lesquels il faut rédiger des circonvolutions incompréhensibles. Cet état d’esprit ne sert à certains qu’à déclamer la longueur de leurs titres universitaires et la volonté d’en tirer un pouvoir. L’étude académique de la littérature est absolument nécessaire et l’université le fait très bien mais il faut toujours faire la part des choses entre l’étude érudite d’un texte, d’un auteur, et le plaisir de lire. C’est uniquement ce dernier objectif qui est le mien dans cette chronique d’été.

Pour ce qui est de l’histoire autobiographique du roman, je vous laisse la découvrir. Après la première partie extraordinairement plaisante d’humour, une seconde viendra décrire la terrible pauvreté de ce milieu paysan, harassé par le travail. Je le répète, ce contraste ne dévoile pourtant aucun misérabilisme de la part de l’auteur.

Quant à la dernière partie, celle qui raconte l’envol du jeune adolescent vers les « grandes études » (l’école normale était à cette époque le Graal pour un si pauvre fils de paysan), c’est un des plus beaux récits sur les valeurs républicaines de la « promotion par le mérite » qu’il m’a été donné de lire.

Courez lire ce monument de la littérature algérienne francophone, cela vous changera des idées préconçues et convenues de ce qu’est et doit être son pays natal et son enfance lorsqu’on les raconte.

Mouloud Feraoun est notre regret car la mort, dans des conditions horribles et indignes, nous l’a arraché. De là-haut, peut-être, je n’ose m’imaginer son immense chagrin de ce qu’on a fait de ce merveilleux pays de son enfance, de son projet et de ce haut niveau intellectuel qui fut le sien.

Auteur
Sid Lakhdar Boumediene

 




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