Mardi 27 mars 2018
Mouloud Mammeri : « Nous nous entourons d’une ceinture d’ignorance »
Mouloud Mammeri, cet écrivain militant algérien (*) est des plus célèbres qui ont fait découvrir les aspects profonds de la personnalité algérienne. Il est présent au Caire afin d’assister aux réunions de la Commission préparatoire du Congrès des écrivains afro-asiatiques qui aura lieu à Beyrouth au mois de mars.
Mouloud Mammeri écrit en français. Il a publié La Colline oublié et Le Sommeil du juste, et dans le premier, Mammeri nous fait découvrir une lutte, au sein d’un village montagneux, de la région Berbère d’Algérie où cohabite nt deux générations bien différentes. L’ancienne, attachée aux croyances cosmogoniques et à la soumission au défaitisme. La nouvelle, qui prie une éducation européenne, se révolte sur le passé, autant que le présent.
La Seconde guerre mondiale éclate, toute la société algérienne en sera déchirée. L’un des personnages du roman demande à l’un de ses amis :
– « Es tu en prison ?
Il répond.
– Oui, je suis en Algérie. Les deux situations se valent ! ».
Mouloud Mammeri, décrit – avec merveille- la vie des villages et de la campagne du berbère, la recherche de la personnalité algérienne, l’arrachée d’entre les restes du joug colonial, de cette guerre civilisationnelle que mène une France entêtée, tenant à l’Algérie avec ténacité.
Alors que les personnages du roman s’engouffrent dans l’inquiétude, l’étonnement et la controverse, nous relevons la présence du personnage de l’instituteur, diplômé de cette maison du savoir, synthétise et regroupe les pensées traditionnelles avec celles, individuelles et révoltées à l’encontre des traditions et leurs valeurs.
L’ensemble des critiques s’accorde à dire, que Mammeri est des plus brillants d’entre les écrivains Algériens, qui ont réussis à transposer la révolution algérienne – dans leur littérature – du contexte de la colère, de l’étonnement et de la revendication de ceux de l’action et de la lutte. Il fut l’un des premiers qui ont contribués à la découverte de la « personnalité algérienne », qui a été depuis 130 ans, menacés par une guerre dite civilisationnelle. Proche de la cinquantaine, Mouloud Mammeri est connu par ses nouvelles, mais rendu surtout célèbre par ses pièces de théâtre et son scénario.
Question : Quelles sont les difficultés, auxquelles sont confrontés les écrivains afro-asiatiques ? Ces problèmes sont-ils identiques ou se différencient-ils ?
Mouloud Mammeri : A mon avis, le principal problème est que l’écrivain n’est pas un fonctionnaire de l’Etat, mais un homme libre de toutes contraintes.. Il est en mouvement, cris, s’alarme, ne soyons régis que par ses émotions et ces dernières, ne s’expriment sur cet ensemble, que par sa plume. L’écrivain est la vérité du public. Puisqu’il est le seul qui puisse exprimer son désespoir et avec honnêteté.
Le problème du Tiers-monde n’est plus celui de l’indépendance, mais plutôt celui de la liberté et de la disponibilité de l’Etat à permettre cette totale liberté à l’écrivain d’écrire ce qu’il veut et ce que bon lui semble, en brisant les chaînes de la censure et de la pression, produisant avec vérité ce qu’il ressent réellement, autour des problèmes humains qui l’entourent. L’écrivain veut mener une existence des plus profonde en perçant les secrets les plus enfouis et les plus obscures.
Question : Approuvez-vous l’idée qu’un écrivain, pour être compris, devrait s’abaisser au niveau du peuple ?
Mouloud Mammeri : Non.. Et encore non.. Moi je crois absolument que l’écrivain doit élever, vers lui, le niveau du public cultivé. Ne doit en aucun cas, se rabaisser à un niveau culturel dégradant, vulgaire et inférieur. J’ai toujours été contre cette idée. J’aime m’élever et qu’avec moi, s’élève mon lecteur, que nous le fassions ensemble.
Question : Vous écrivez en français, et en France, vous êtes devenu une réelle célébrité, vous étiez parmi les premiers écrivains Algériens qui ont triomphé par cette gloire, donc que pensez-vous de la littérature française et d’Albert Camus par exemple, de Sartre et de Simone de Beauvoir ?
Mouloud Mammeri : Albert Camus est né en Algérie et a passé une grande partie de sa jeunesse là-bas, il a écrit sur notre révolution et montré que les germes de la question sont dans la colonisation. Un horrible colonialisme. La colonisation n’est pas uniquement ce système économique et politique basé sur l’immoralité, mais en vérité c’est un régime qui prône son efficacité à partir d’une vision réactionnaire, arriérée, qui méprise l’humanité puisqu’il est une philosophie qui ne fait que détruire tout ce que l’humanité a édifié durant des siècles. Albert Camus est un très grand écrivain. Il associe et combine à merveille les deux styles, le classique et le moderne, c’est ce qui fait que sa gloire y demeure, même après sa mort. Il a tenté de mettre ce qu’il y a de beau dans l’homme. Il ne s’est pas arrêté devant la laideur de l’existence, mais dépassant ce seul côté pour celui de la révolte contre la laideur et croire en la force de l’homme, de pouvoir se transformer et de façon graduelle. Et la plus grande chose qu’il a écrite, à mon avis, est son roman L’Etranger, et un article qu’il a publié dans la revue Terrasses, dont un seul numéro est paru, le premier et le dernier d’ailleurs et dans ce numéro Camus publia un article sur la région de Tipaza, proche de la ville d’Alger, intitulé Retour à Tipaza, et je pense que cet article est des plus extraordinaires de ce que Camus ait publié comme description, il a vécu dans cette belle région, avec ses propres sensations et produit un extraordinaire tableau d’art qui dépeint ce lieu qui émerveille le regard et l’âme.
Dans son introduction du livre L’Envers et l’endroit, Camus écrit que « le lieu où je préfère vivre et travailler (et, chose plus rare, où il me serait égal de mourir) est la chambre d’hôtel » ! Et il a dit qu’il ne pouvait s’agiter par ce qu’il nomme la vie domestique surveillée. Et Camus mourut sur une route, il y a de cela six ans. Mort dans un accident de voiture, sur une des routes de France, loin de tout logis et cette fin fut l’exemple même du ridicule et de l’absurde que Camus fait découvrir à travers ses nombreuses œuvres.
Question : Mais appréciez-vous les positions de Camus ?
Mouloud Mammeri : La chose a totalement changé vers la fin de sa vie, lorsque Camus a employé sa célèbre phrase : « J’aime la justice et ma mère, mais si on me demande de choisir entre la justice et ma mère, je choisirai ma mère ! » Son choix était un immense choc pour les Algériens, puisqu’il laisse entendre l’abandon de l’idée de l’indépendance totale de l’Algérie, préférant appartenir à la France qu’il symbolisa par la mère.
Question : Qu’avez-vous à dire sur Sartre ?
Mouloud Mammeri : La totalité des personnages des romans de Sartre, de même pour ses pièces de théâtre, sont « mal à l’aise » et des fois sont pervers et excentriques. Il est très attentionné par la laideur de l’homme, la mettant en évidence, en la considérant comme le fondement de la tragédie existentielle. Sartre est un reflet réel de l’esprit de certains intellectuels.
Question : Et Simone de Beauvoir ?
Mouloud Mammeri : Une très grande écrivaine, elle a aidé un bon nombre de personnes à comprendre. Aucune autre écrivaine n’a pu ni atteindre, ni écrire avec sa franchise et son honnêteté, sur les sensations de la femme et cela à travers ses propres expériences personnelles, elle est une très grande écrivaine de notre génération, elle se distingue par la culture, l’intelligence et l’audace. Elle est allée dans ses profondeurs afin de découvrir et de rechercher les moindres questions sur le femme en l’exposant, avec une extrême simplicité sans manière, ni complexité, que cela soit sur un plan formel ou un autre substantiel, elle a réussie à traiter les choses selon leur nature.. C’est ainsi que paraît Simone de Beauvoir, naturelle en tout.. Dans son style, sa pensée et ses sentiments.
Question : Que pensez-vous de celles qui sont venues après Simone de Beauvoir ?
Mouloud Mammeri : A Paris, il y a une étrange nouvelle mode, dès que la jeune fille ait son bac et accède à l’université, la voici qu’elle publie une histoire, l’édite et dans laquelle apparaît le drame d’une femme, soumise à la torture de la part de l’homme, versant sur ce dernier sa malédiction et celle des cinq générations à venir de jeunes filles torturées. C’est cette dernière mode, qui se répand notamment parmi les étudiantes de l’université de Paris.
Moi je leur conseille de la lecture, de la culture et surtout de lire Simone de Beauvoir pour qu’elles aient honte d’elles-mêmes, moi je pense que la fille orientale est victime du vide, et la Française est victime de l’imitation et de se conformer à la mode.
Question : Comment jugez-vous vos écrits en français ?
Mouloud Mammeri : J’ai essayé d’apprendre la langue arabe et à plusieurs reprises, mais j’ai échoué, et mon échec à vouloir apprendre la langue de mon pays a montré, et avec un certain mérite, ma stupidité. C’est mon drame intérieur qui m’a causé d’énormes douleurs, mais les générations futurs d’écrivains algériens notamment, vont compenser tout ce dont ils ont été privés.
Et j’aimerais dire, qu’il n’y a aucun reproche à faire à vouloir écrire en langue française, tant que les douleurs et les espoirs des Algériens sont exprimés dans nos romans, le lecteur de n’importe quel écrivain algérien écrivant en français, doit sentir et de prime abord, qu’il est en train de lire un écrivain arabe, puisque l’esprit de l’écrivain est celui qui le guide et éclaire sa voie lorsqu’il met les principaux filaments de ce qu’il écrit… qu’il s’agisse de roman, de théâtre ou de poésie ou d’une partie de la prose.
Je connais un grand nombre d’écrivains arabes qui écrivent dans des langues étrangères et dès que nous les lisons, nous sentons parfaitement qu’il ne s’agit que d’un écrivain arabe qui est en mesure d’exprimer de telles sensations ou positions.
Question : N’avez-vous pas essayé d’écrire en arabe ?
Mouloud Mammeri : Ecrire en arabe exige sa maîtrise.
Question : Certains affirment que la littérature algérienne, si elle ne s’écrivait pas en langue arabe, elle est condamnée à mourir.. Que pensez-vous de cette opinion ?
Mouloud Mammeri : Je suis totalement contre ça… Il y a une prise de conscience et un éveil, et la littérature algérienne a su affirmer son existence par sa vérité et elle continue à le faire en progressant et en se renforçant davantage. L’écrivain algérien considère qu’écrire en français n’est qu’un moyen de s’exprimer, rien de plus… Pour ce qui est de nos véritables émotions, elles demeurent arabes en chair et en os.
Question : Que pensez-vous des écrivains algériens modernes ?
Mouloud Mammeri : Je me réserve de dire des opinions claires à l’encontre de mes frères, collègues et les écrivains militants algériens contemporains, puisqu’ils sont tous mes amis.. Je garderai mon opinion pour moi-même.
Question : Et les écrivaines ?
Mouloud Mammeri : Il y a une jeune fille nommée Nadia Guendouz, c’est une jeune écrivaine, je ne peux exprimer clairement mon opinion sur elle, puisqu’elle est une auteure débutante. Il y a aussi Fadela M’Rabet qui a publié un petit livre sur l’histoire de la femme algérienne, son évolution et les problèmes de l’heure, elle a revendiquée une révolte féministe violente afin d’anéantir les traditions archaïques et elle demande à la femme d’évoluer, que soit au foyer ou dans la rue. C’est une fille violente et audacieuse, et si elle continue dans le domaine de l’écriture, elle sera quelque chose.
Il y a un mouvement de jeunes écrivains de la nouvelle générations qui écrivent en arabe, ceux-là forment l’avenir de l’Algérie, c’est eux qui feront dissoudre la langue française et la remplacée par la langue arabe, la langue mère.
Question : Quelles sont les difficultés de l’écrivain algérien qui écrit en français ?
Mouloud Mammeri : La plus grande difficulté est celle des lecteurs. Il y a un manque flagrant de lecteurs, n’oubliant pas qu’il y a un taux élevé d’analphabètes et la majorité de nos lecteurs sont à l’étranger. Et la nouvelle génération commence à étudier en arabe et revendique que lui soit mis à sa disposition, le plus grand nombre de savoirs culturels en langue arabe. Chose qui semble difficile à réaliser, puisqu’en Algérie nous avons d’autres projets qui sont certainement plus importants encore, et avec insistance d’où la difficulté qui réside entre l’écrivain et le lecteur, puisque ceux qui lisent en français sont peu nombreux. De même pour la question de moyens matériels, mais une fois résolus c’est tout le reste qui suivra.
L’Union des écrivains algériens va, prochainement, faire paraître une revue littéraire, en remplacement de la revue Novembre qui, après quatre numéros s’est arrêtée pour des raisons matérielles.
Question : Que pensez-vous de la littérature arabe moderne et plus particulièrement du Docteur Taha Hussein ?
Mouloud Mammeri : Hier, j’ai rencontré le docteur Taha Hussein et je l’ai trouvé encore plus grand que je l’ai imaginé, ses potentialités expressives et linguistiques sont indescriptibles. Il est bien profond dans son apparence, profond par ses propos, par son image, ses traits, son intelligence, son silence et par son calme. Pourriez-vous imaginer un instant, que je n’ai lu du docteur Taha Hussein que Les Jours et en français, ce qui est absolument aberrant. Je dois vous avouez que la raison pour laquelle la culture chez nous est restée à la traîne, c’est en rapport avec la situation dans laquelle nous y sommes. Sinon, comment pourrais-je prendre connaissance de la littérature d’autrui, si je n’ai trouvé aucune dans la langue que nous maîtrisons le plus, il faut que les institutions culturelles, et dans l’ensemble des pays d’Asie et d’Afrique, puissent encourager la traduction dans les langues les plus diverses, d’œuvres d’écrivains, de poètes et de décideurs politiques, afin que nous puissions élargir nos horizons, quel intérêt y a-t-il dans ces ouvrages d’auteurs des deux continents, qui s’entassent en nombres, alors que nous mêmes nous ne connaissons rien ou peu sur les autres.
Personnellement, je demande à toutes les institutions culturelles de traduire la production des écrivains arabes afin qu’il y est diffusion de la littérature arabe. Et je demande l’application et cessons d’entendre des promesses. Pourquoi ne trouve-t-on pas de traductions, au niveau local à celui de mondial et dans toutes les langues étrangères d’œuvres du docteur Taha Hussein, de Tawfik El-Hakim, de Najib Mahfoud et bien d’autres encore d’hommes de lettres arabes.
Et pourquoi que les œuvres d’écrivains algériens n’arrivent-elles pas et dans sa totalité, au Caire et qu’elles soient traduite en arabe ? Nous nous entourons d’une ceinture d’ignorance.
Il y a eu des décisions qui ont été prises en ce sens, lors d’un précédent Congrès des écrivains d’Asie et d’Afrique, qui s’est déroulé au Caire, et rien n’a été appliqué et que pourrais-je dire, quatre ans passés depuis le déroulement du congrès des écrivains afro-asiatique, ici-même au Caire en 1962, et qui a vu une extraordinaire participation d’écrivains des deux continents, et que des décisions ont été prises. Voilà que la troisième session s’en approche, qui aura lieu à Beyrouth, au début du mois de mars, pourrais-je encore me poser la question sur ce que nous avons réalisés en ce sens ?
Question : J’aurais dû au départ, commencer par cette question. Comment avez-vous débuté votre vie d’écrivain ?
Mouloud Mammeri : Mon premier roman, La Colline oubliée est paru en 1952, et lorsque j’ai terminé de l’écrire, je l’ai envoyé, et sans le savoir au préalable, à une maison d’édition à Paris, j’ai attendu la réponse qui tardait à venir et j’étais épuisé par l’attente, au point de sentir une véritable amertume gagnant mon cœur et d’y être déçus de moi-même. Et soudain, après six mois d’attente, j’ai reçu un télégramme acceptant de me faire publier et combien fut ma joie, mais mes sentiments et ma conscience étaient que ce roman devait arriver entre les mains de milliers et millier de lecteurs et qu’enfin la réalité d’une révolution algérienne allait leur être découverte, de même que la vérité sur ce peuple qui a contribué, à travers chaque individu, par son style et par ses armes propres, afin de libérer cette généreuse terre. C’est cette sensation qui me poussait à aller de lavant, vers de plus vastes productions.
Ce roman a été conçu sur la base des traditions sociales qui régissaient le village de Tasga, un village de la région montagneuse des Berbères, mettant deux générations, l’ancienne et la nouvelle, dans une confrontation violente, de même que l’avènement de la Seconde guerre mondiale et ses retombées sur toute l’Afrique du Nord et dont j’ai énormément bénéficier de ma propre expérience personnelle de la seconde guerre mondiale.
S’il n’y avait pas ce séisme qui avait touché les villes et villages algériens, ainsi que la mobilisation de leurs jeunesses en les jetant sur des champs et terrains qui leur sont totalement étranger, en les poussant à défendre une terre qui n’est pas la leur et en les obligeant à se sacrifier, le monde n’aurait pas vue venir toute cette explosion de la part des Algériens.
Cette histoire se déroule dans le cadre et conditions strictement algériennes et la plupart de ses personnages ou presque, sont issues d’une réalité vécue et à travers des expériences des plus douloureuses d’une guerre qui a laissé, dans mon cœur et mon esprit, des images et des traces humaines qui se reflètent toutes, dans mes romans et y occupent une large place.
J’ai beau essayé d’évacuer ces amers souvenirs que la guerre a créé, mais les guerres sont les plus haut degrés de la bestialité, mais j’ai vécu en son sein et j’y suis revenu avec d’énormes expériences, demeurant gravées en moi et dans mes écrits, le restant de ma vie.
Question : Dans vos romans, vous avez évoqué le rôle de la guerre, est-ce que la femme a jouée un quelconque rôle là dedans ?
Mouloud Mammeri : J’ai eu une grande histoire d’amour dans ma vie, celle d’une jeune femme algérienne, mais cette histoire s’est achevée en 1952, j’ai fait une description de sa personnalité dans mon premier roman La Colline oubliée. Aujourd’hui, je suis marié à une Algérienne et j’ai une fille et un garçon.
Question : Quelles sont vos dernières publications ?
Mouloud Mammeri : Ma dernière publication est parue l’année passé, c’est un roman intitulé L’Opium et le bâton sur la guerre d’Algérie entre 1956 et 1961, c’est le col d’un village algérien totalement rasé durant la guerre de libération nationale, et j’ai montré des personnages diverses et contradictoires mêmes. Le personnage de l’intellectuel, le militant, le politique, le combattant et un ensemble de villageois représentant l’Algérie et en face un fragment de l’armée française.
J’ai commencé par écrire un scénario du roman en collaboration avec un des scénaristes italien, et il y a aussi une pièce théâtrale intitulée Le Foehn, qui sera jouée le printemps prochain, de même qu’une autre pièce dont je n’ai pas terminé l’écriture et qui n’a pas été représenté intitulé La Cité du soleil.
Question : Au sujet du scénario, avez-vous réussi à l’écrire ?
Mouloud Mammeri : Je ne peux être catégorique en affirmant que j’ai réussi à le faire, mais je souhaite de ne pas y faillir puisque c’est ma première tentative. Je n’ai pas connu au début, cette écriture du scénario, mais j’ai essayé cette fois avec l’aide de d’autres. Ce n’est qu’une tentative. Peut- être que je vais faillir. Je laisserai – la matière – au seul jugement du public.
Question : Parmi vos personnages que vous avez décrit dans vos romans, lequel est le plus proche à votre cœur ?
Mouloud Mammeri : Le personnage le plus proche à mon cœur est certainement ce jeune marocain, assez singulier, nommé « Albou », un jeune qui est toujours en vie et que j’ai décrit dans mon dernier roman. Un personnage qui m’a préoccupé par ses étranges contradictions qu’il porte en lui, et j’ai donc un peu joué avec cette image en modifiant certains éléments jusqu’à en faire un des héros de mes romans.
Question : Que dire sur vous-même ?
Mouloud Mammeri : Je suis un militant, mais non structuré, ni organisé, j’aime m’élancer, préférant des instants où je sors dans les rues, marcher sans but et c’est un instant que je préfère le plus.
Question : Durant cette vie pleine de gloires, n’avez-vous pas senti un échec littéraire ?
Mouloud Mammeri : Le pire de mes souvenirs est ce jour, en 1952, où ma première pièce de théâtre a brûlé et j’ai tenté de le réécrire une seconde fois, mais j’ai échoué. Puisque à un moment d’émotion, dû à un quelconque incident et que l’effet une fois disparu, l’écrivain trouve une énorme difficulté à écrire de nouveau, quelque chose en dehors de l’instant déjà vécu. Déjà que l’écrivain possède une profonde sensation d’insouciance et une lassitude à relire, une seconde fois, ce qu’il a écrit, que dire alors d’une réécriture ?
Question : Et au sujet de votre style ?
Mouloud Mammeri : Je suis un écrivain simple, j’écris avec beaucoup de simplicité et j’aime écrire dans la forme artistique la plus simple, préférant la perspective par rapport à la brillance des mots, dont certains y font recours, des mots qui n’ont aucune relation avec le thème ou le sujet.
Question : Quel artiste peintre préférez-vous ?
Mouloud Mammeri : J’aime Gauguin qui a vécu ses débuts artistiques en compagnie des primitifs et qui a su reproduire cette existence, par la couleur et ses formes environnementales à travers de merveilleux paysages tropicaux. J’ai aimé sa sensibilité et sa barbarie, de même pour son maître Van Gogh, qui s’est distingué presque par le même esprit. J’ai aimé en eux leur barbarie.
Question : Et l’art ?
Mouloud Mammeri : Mon art est très classique et dans tout, d’ailleurs.. J’aime l’art grec ancien, en poésie, en lettres et en musique. L’ancienne musique grecque me dissous, elle est marquée par la tendresse et la douceur. Elle est totalement expressive, côtoyant pas à pas les sensations humaines. J’aime aussi le grec ancien.
Question : Sur la femme ?
Mouloud Mammeri : Elle est une vérité tangible… Réelle… son existence est nécessaire comme un des accessoires de la vie et je l’aime intelligente.
Question : J’ai quelques questions à vous poser, qui vont vous paraître naïves. En tant qu’écrivain connaisseur de l’âme humaine, qu’est-ce que pour vous, un génie ?
Mouloud Mammeri : Le génie est une des formes supérieures de la connaissance involontaire.
Question : Et l’amour ?
Mouloud Mammeri : Un terme ambigu, très opaque, il y a de tout dans ce mot, un mélange de violence bestiale, de tendres compassions et de faiblesse humaine.
Question : Une dernière question : Vous n’avez pas pensé à rédiger vos mémoires afin de les publiés ultérieurement ?
Mouloud Mammeri : Je ne suis pas un Alexandre le Grand, pour écrire mes mémoires. Je suis un simple militant algérien, je porte l’arme et la plume face à l’ennemi, n’importe où et à n’importe quel moment !!
(*) Interview réalisée par Khadidja Kassem. Revue Al-Hilal, numéro spécial, n° 1, du 1er janvier 1967.
Traduction de l’arabe, proposer par, Mohamed-Karim Assouane. Université d’Alger-2.