Ils n’ont ni demandé la permission, ni attendu qu’on leur donne un micro. Nesrine et Fayçal, fondateurs du groupe Iwal, chantent à contre-courant, avec la rage douce de celles et ceux qui savent d’où ils viennent. Leur musique est une remontée vive dans le torrent chaoui, une tentative de réveiller les voix enfouies sous des décennies de silence, de mépris ou d’oubli.
Groupe de rock-folk chaoui né à T’kout, dans la grande région des Aurès, Iwal est plus qu’un projet musical : c’est une insurrection poétique. Le duo compose des ballades traversées par l’harmonica, les guitares folk, et surtout par la langue ancestrale, comme un pont tendu entre la mémoire orale et les rythmes du présent. Leur style n’est pas un hommage nostalgique : c’est une recréation vivante, une relecture libre des paysages sonores chaouis.
Leur premier album, Hamghart (« la vieille », en tamazight), est un geste fort. Une dédicace aux aïeules, aux piliers de la culture populaire, à ces femmes de l’ombre qui ont maintenu la langue et les rites, dans les chants comme dans les douleurs. Plus qu’un disque, Hamghart est un récit musical, né d’un long compagnonnage avec la scène, l’errance et la résonance.
Pendant sept ans, Nesrine et Fayçal ont sillonné les routes, offert leurs compositions à un public toujours plus fidèle, plus attentif, plus complice. « La scène a été notre école, le public notre laboratoire », disent-ils. Chaque concert fut une expérimentation, chaque applaudissement une validation affective. C’est pourquoi, affirment-ils avec fierté, « le public est un membre à part entière du groupe Iwal ».
Deux ans avant la sortie de l’album, en pleine crise sanitaire, ils décident de passer à l’acte. La pandémie n’a pas éteint leur feu intérieur. Retirés en résidence artistique, dans un lieu propice à la création et à l’isolement, entourés de musiciens qui les accompagnent depuis leurs débuts – et qui sont devenus leur famille musicale –, ils accouchent de leur « bébé », comme ils aiment appeler cet album. « Le nom de notre groupe, Iwal, signifie ‘infini espoir’ en berbère. Nous l’avons porté comme une boussole », confient-ils.
Produit de manière indépendante, en lien avec CSB Productions, Hamghart est un manifeste. Ni produit calibré ni musique formatée. C’est une œuvre à part entière, née d’une éthique du collectif, d’un engagement à faire vivre les langues amazighes non pas comme des vestiges, mais comme des sources fertiles.

Ils chantent en chaoui, sans sous-titres. Et tant mieux. Leur révolte ne cherche pas la traduction. Elle s’éprouve, elle se danse, elle se pleure parfois. Iwal ne fait pas de la musique pour plaire mais pour transmettre. Ils disent non à l’oubli, non au folklore figé, oui à l’art qui interroge et rassemble.
Rebelles ? Oui. Dans le sens noble. Celui des artistes qui refusent de plier. Nesrine et Fayçal avancent sans compromis, dans une Algérie qui a longtemps étouffé ses voix divergentes. Leur chemin n’est pas balisé, mais il est vrai.
Dans chaque note, une promesse.
Dans chaque silence, une résistance.
Et dans chaque concert, un peuple qui se souvient qu’il a encore des choses à dire.
Djamal Guettala