14 décembre 2024
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N’est-il pas urgent de combattre la banalisation du féminicide en Algérie ?

Femmes algériennes
Si les déclarations officielles sont prometteuses en termes d’insertion des femmes dans la société, le Code de la famille reste fortement discriminatoire (tuteur légal, polygamie, inégalités successorales…).

Confinées dans leur rôle domestique, les femmes subissent des propos extrêmement sexistes (plastek fel kouzina, «Ta place est dans la cuisine » ). Nous devrions y prêter une grande attention, et lutter contre les préjugés enracinés dans notre système éducatif.

Bien souvent, le sexisme commence par des mots et des gestes anodins qui basculent dans des violences intentionnelles. Chaque féminicide porte l’histoire d’une femme cruellement tuée, et même égorgée dans l’indifférence.

Ce crime, relégué au rang de fait divers, est le fruit d’une culture misogyne bien inscrite dans les politiques publiques. À ce titre, le conservatisme religieux a servi de fondement idéologique antiféministe, soutenu par le pouvoir algérien qui pratique un double discours.

Cela a d’ailleurs largement légitimé le terrorisme et l’impunité des atrocités commises. Plus de 8 000 femmes ont été voilées et violées par des intégristes au nom du zawaj al-moutaa (mariage de plaisir), plus précisément du djihad Al-Nikah.

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Cette étrange expérience est d’autant plus difficile à vivre que l’avortement est strictement interdit par la loi. Beaucoup d’enfants non désirés ont grandi dans les maquis terroristes sans identité ni représentant légal. Bien évidemment, le voilement, au même titre que le viol, n’est qu’une domination des hommes qui nous promettent un paradis gagné au-delà au nom et à la place de Dieu.

Nombreuses sont les Algériennes qui se protègent des agressions et du viol par le foulard. C’est aussi une manière d’intégrer l’image de la «femme qui provoque l’homme ». Nous devrions protéger notre liberté de croire ou de ne pas croire à l’image de Katia Bengana, Amel Zenoune Zouan et Nabila Jahnine, lâchement assassinées.

Laissées pour mortes, les femmes de Hassi Messaoud, en 2001, ont été victimes de la fatwa d’un imam du quartier d’Al-Haïcha. Rahmouna et Fatiha en témoignaient sans retenue. Rappelons ici que les enseignantes de Bordj-Badji Mokhtar ont subi, dans la nuit du 17 mai 2021, les mêmes supplices deux heures durant. Il est urgent de dénoncer ce racisme effrayant pour que plus jamais ces pervers ne violent et tuent, à huis clos, nos femmes blessées dans leur corps et dans leur esprit.

Aujourd’hui encore, certains hommes sabotent intentionnellement les initiatives des femmes, leurs projets, leurs marchés et leurs associations. Dans le seul but de saper toute autonomie sociale, et plus particulièrement financière.

Au cœur du mouvement de contestation contre le système algérien (le Hirak), le carré féministe, initié par les Femmes Algériennes pour le Changement et l’Égalité, dénonce la cruauté du Code de la famille à l’origine de notre misère. Désormais, l’expérience féminine prend tout son sens dans le Hirak. Mais le patriarcat s’invite vite tel un langage entravant une perspective d’une revendication légitime. D’ailleurs, les féministes étaient non seulement agressées sur la place Audin, à Alger, mais stigmatisées comme source de division.

Alors que la démocratie ne peut être qu’égalitaire. Quelle est la valeur de la parole féminine quand tout paraît si paradoxal ? Pourtant, le Hirak a dévoilé une fois de plus l’engagement des femmes à côté des hommes sous le même slogan emblématique «Dawla madania, machi askaria !» (Etat civil, non militaire).

Un engagement qui fait écho au combat des femmes algériennes « trahies » durant la guerre de libération et la guerre civile. Il ne faut surtout pas perdre de vue que nos militantes (Aouicha Bekhti, Nabila Smaïl, Leila Hadj Arab, Fetta Sadat, entre autres) assistent des détenus d’opinion qui font l’expérience de plus en plus solitaire : souffrir et mourir seuls. Ces femmes ont en commun une vision résolument démocratique et universaliste.

À ce propos, il est temps de puiser davantage dans le combat des Algériennes qui luttent contre le néocolonialisme, le terrorisme, la violence patriarcale, la hogra (mépris) et le Code de la famille.

Faisons de cette « mémoire traumatique » un symbole et une ressource résiliente, pour que personne n’oublie le courage de nos moudjahidates, à l’avant-garde de l’émancipation, de nos militantes, de nos démocrates et de nos hirakistes. Enseignons à l’école, même si celle-ci est au bord du naufrage , l’histoire du combat féminin et le parcours de nos militantes à l’instar de Djamila Bouhired, d’Assia Djebar, de Djamila Boupacha, de Wassila Tamzali, d’Ahlem Mosteghanemi, de Fadéla M’Rabet, d’Ourida Chouaki, de Fadéla Boumendjel-Chitour, de Fatma Oussedik…

Il est urgent d’aider nos victimes invisibles, sous emprise, ô combien traumatisées. Souvenons-vous qu’Amina et Chaïma ont été battues avant d’être brûlées vives.

Soulageons autant que possible nos malades, nos endeuillées mais aussi nos prisonnières arbitrairement condamnées à souffrir. Dalila Touat revendique en toute légitimité, le droit de vivre dignement dans une Algérie « nouvelle » ! Combattons, sans relâche, les médiocres qui nous renvoient à la figure l’image d’une femme objet, stupide, et même vulgaire. Une parfaite illustration de l’ignorance qui déprave les esprits. La valeur de la femme se mesure à la hauteur de ses sacrifices et de ses combats au fil de sa vie. N’est-il d’ailleurs pas vrai que « on ne naît pas femme, on le devient » ?

Par ailleurs, il est totalement illusoire de croire aux festivités et aux célébrations vaines du 8 Mars et du 5 Juillet. La fascination que nous pouvons éprouver devrait laisser place au scepticisme et à l’action efficace. Travailler en réseau fait émerger une façon particulière de poser le problème et délimite des solutions concrètes. Toutes les visions du monde sont possibles.

Le changement se fera, un pas après l’autre, même s’il risque d’être douloureux. Mais « Il ne faut jamais se résigner », comme l’écrivait Gisèle Halimi. Rien n’est plus humiliant que survivre ou encore de vieillir sans passer le flambeau à la génération montante qui se battra à nos côtés, puis sans nous. Faisons de notre mieux, à l’image de l’infatigable Louisette Ighilahriz.

Cette Algérienne, à 85 ans, incarne la voie de la résistance, celle du féminisme. Bien évidemment, le féminisme n’est pas une simple contestation du patriarcat ou encore la haine des hommes. Il est d’abord et avant tout un combat contre nous-mêmes et nos peurs.

Le féminisme rapproche des hommes et des femmes, unis fraternellement, qui luttent pour une pleine égalité. Cette voie émancipatrice, aussi modeste soit-elle, exige une confiance en soi inébranlable, un effort constant et une détermination suffisante. C’est un travail essentiel et urgent pour faire de chaque femme une citoyenne à part entière. Indignez-vous…

Chérifa Sider, Docteur en psychologie

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