4 mai 2024
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Ni Barbie(s)-ni barbus, ni barbares-ni barbouzes

Milan, Italy – April 10, 2019: Woman looking « The Wall of Dolls » a public art installation exhibit in Ticinese district in Milan to help shine a light on the increasing violence against women throughout the world. The installation was the idea of singer-songwriter Jo Squillo and has been in place since Milan’s men’s fashion week of 2014. Every year during the week, Squillo and a group of volunteers gather members of the public around the wall in order to raise awareness and remember the victims of misogynist violence, whether physical or psychological. For the rest of the year, the dolls remain, a sad, silent statement of protest and commemoration.

En quête frénétique de buzz, l’addict chroniqueur de scoops Kamel Daoud réduira la subite proscription du film de Greta Gerwing au schisme « barbus contre Barbie.», déterminera précipitamment que dans cette guéguerre opposant véracité cultuelle et sensibilité culturelle les premiers l’ont emporté, se contentera ainsi d’une mise au « Point » minimaliste que partageait concomitamment l’ex-ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt, lequel arguait (via Le Figaro du 16 août 2023) que « les barbus (sont bien) contre Barbie ».

Or, en mettant mécaniquement sur le dos des seuls fondamentalistes la censure du long métrage rose-bonbon, les deux francs-tireurs médiatiques ignoraient les accroches sémantiques d’un régime militaro-essentialiste exacerbant aujourd’hui les ancrages nationalo-religieux.

Sous-couvert d’une identification au « Vrai Hirak », il accentue les constantes remparts élevées dès le Programme de Tripoli (mai-juin 1962) contre les dépravations que véhiculerait toujours la culture impérialo-capitaliste de l’Occident judéo-chrétien. Ses philistins de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel venaient d’ailleurs, après la chaîne El Adjawaa TV (définitivement fermée en novembre 2022), tout juste de suspendre celle dénommée Essalam TV, accusée d’avoir diffusé, le jeudi 10 août 2023, des séquences «contraires aux préceptes de l’islam et des mœurs de la société algérienne ».

Plane donc partout en Algérie un moralisme puritain dicté à partir de laboratoires interlopes où des gardiens du Temple concoctent et distillent soit les récits du nouveau roman national, soit des slogans-affects tellement porteurs d’authenticité pure qu’ils dépeignent sur les thématiques des expositions d’art plastique ventant les beautés du patrimoine algérien (un constat qui sera développé au sein d’une future contribution).

De son côté, l’islamologue Razika Adnani soulignait (in « Barbie interdit en Algérie », Marianne du 23 août 2023) que dans ce pays «les conservateurs islamistes ont peur que les femmes se rebellent contre le patriarcat », précisant plus loin que lesdits « conservateurs » dépassent largement le simple panel des ex-adhérents du Front islamiste du salut (FİS).

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Les résolutions que promulguaient, dans les décennies 60 et 70, les conclusions des divers congrès extraordinaires du Front de libération nationale (FLN) démontraient bien déjà que le socialisme-spécifique des supposés modernistes Ahmed Ben Bella et Houari Boumediène demeurait imprégné de forts relents patriarcaux, que la mise en délibération de ceux-ci se posait en termes de blasphème envers les valeurs de l’İslam, d’atteinte aux fondements moraux de la sainte famille musulmane.

Si la loi de « Grâce amnistiante » du 08 juillet 1999 (mise en vigueur le 16 septembre de la même année) suivie par l’adoption (par le Parlement du 15 août 2003) puis le vote (par la population le 20 septembre 2005) de la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » ont eu pour effet manifeste de vulgariser le paradigme de renouveau dans l’authenticité religieuse ou patrimoniale (avec en sus l’émergence presque instantanée du port du hidjab chez de nombreuses jeunes filles habitant la plupart des villes d’Algérie), depuis l’İndépendance tous les textes ou documents en vigueur (y compris les Constitutions) uniformisent le système des valeurs morales (tout en laissant croire que l’ensemble de la population pense la même chose), rejettent les sciences sociales et humaines pour mieux focaliser le monopole d’un langage divin imposant de surcroît la domination de l’homme sur la femme.

İnterprétée comme naturelle, cette prépondérance fait encore l’objet de combats au sein des avant-gardes arabomusulmanes et c’est probablement contre ces résidus de luttes que l’ensemble des réactionnaires algériens se sont ligués de manière à réprouver une poupée imparfaite qui dit « Non, Non, Non, Non » (référence ici à La Poupée qui fait non, Michel Polnareff, 1966).

Expulsée du pays de  »Barbie Land », elle quitte un monde censé  »parfait’ et rejoint un autre moins factice où son aspiration au véritable bonheur l’incitera à aborder des controverses existentielles, à soulever à travers celles-ci la problématique du patriarcat, de la discrimination des femmes ou les privilèges accordés aux hommes. Mise en exergue par ses détracteurs, l’allusion, voire la promotion de ou à l’homosexualité (ou encore la question du transgenrisme) servira finalement de prétexte à l’interdiction d’une œuvre cinématographique tolérée au Maroc et en Tunisie mais tombée en disgrâce au Koweit, Pakistan et en Jordanie.

Sortie le 19 juillet 2023 en Algérie, elle subissait trois semaines plus tard la coupe réglée d’une commission de visionnage la déprogrammant des salles noires alors que la veille (14 août 2023) était inauguré, au cœur du centre commercial  »Garden City » de Chéraga (proche banlieue d’Alger), le premier multiplex de  »MD Ciné » (appelé  »TVM Studios ») qui se targuait de pouvoir dorénavant diffuser des films aux normes internationales, cela en simultanéité avec les USA et l’Europe. Simulacre, la concordance temporelle s’effaçait en réalité devant les préceptes-totems de quelques tauliers des bonnes mœurs dénonçant les non conformités aux valeurs de la société algérienne, les scènes non compatibles à un jeune public si désarçonné que la lecture du scénario réclamait souvent le soutien didactique des adultes.

Déconseillé aux moins de 13 ans aux États-Unis, de 12 ans en Angleterre, de 09 ans en Belgique et de 08 ans en Suisse romande (détails qui modèrent d’autant plus la simple confrontation « barbus contre Barbie »), le blockbuster américain parle à maintes reprises de patriarcat, emploie un ton satirique partiellement incompréhensible pour les enfants, soumet un vocabulaire trop cru (exemple le vocable  »vagin ») pour les chastes oreilles juvéniles, échappe de la sorte aux stéréotypes d’un modèle idéal créé en 1959 par Ruth Handler, sort des sentiers battus dans le souci d’affirmer un émancipation, de déconstruire une image mondialisée.

Seulement, si l’anti Bimbo-Papicha se déleste des clichés colportés sur le corps photoshopés des femmes, embrasse, selon Camille Froidevaux-Metterie, les attributs du postféminisme « pour mener des luttes et abolir le patriarcat » (in Télérama du 11 août 2023), elle incarne toujours un vaste phénomène culturel consistant à placer, via une intense campagne médiatico-marketing, les produits dérivés du marchandasing  (vêtements et accessoires divers) du fabriquant Mattel et du groupe Warner Bros (coproducteurs du film).

La déferlante fut-telle que des t-shirts, chaussures et cartables floqués du nom  »Barbie » inonderont le magasin de jouets  »Ben Toys » de la zone commerciale algéroise dite  »Garden City », là où l’arrivage de poupées Barbie (affichées à un prix naviguant entre 8.000 et 13.000 dinars) viendra compenser l’absence du film éponyme. Dépassant, après deux semaines d’exploitation, le milliard de dollars au box-office mondial, ce carton de l’été (près de 04 millions de spectateurs) a engendré une recette industrielle permettant de débiter à outrance, ou en série, de la figurine sexy.

Au même titre que la rentabilité sonnante et trébuchante des artefacts, le féminisme s’est lui-même métamorphosé en « un objet de vente », faisait encore remarquer la chercheuse en études de genre Camille Froidevaux-Metterie, laquelle jugeait que « le capitalisme néolibéral se met au service des idées féministes bien malgré lui ». Consensuel et rassurant, le discours féministe de Barbie restait à ses yeux le résultat de compromis, d’une représentation somme toute « acceptable des femmes et des stéréotypes de genre ».

Conçu à l’égard du plus large public, le divertissement s’appréhenderait comme une pub planétaire saupoudrée « d’un zest de féminisme et de blagues sur le patriarcat ». En présentant ce dernier « comme un mode d’emploi İkea, (il) désincarne la domination masculine (restreint) Barbie à un statut de femme hétérosexuelle, d’épouse et mère », affirmera Kévin Bideaux (in Télérama déjà cité).

Pour montrer la réalité du patriarcat, il aurait fallu, cette fois de l’avis de la journaliste Victoire Tuaillon, « des Kens violeurs, violents et barbares », en quelque sorte vraiment aborder le sujet du féminicide, mettre les pieds dans le couscoussier de meurtres parfois tolérés au nom d’un honneur ancestral. En 2022, cent dix-huit femmes ont été assassinées dans l’Hexagone par leur mari, conjoint ou ex-concubin.

Combien sont-elles en Algérie ? Si prompte à acclimater les articles clef en main que lui faxent les officines idéologico-sécuritaires de la police-politique, la presse partisane locale fait très peu écho à ce type de nécrologie, sans doute aussi en raison de sa tendance passée à taire celle affiliée aux exactions et disparitions de la décennie noire (1990-2000).

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

3 Commentaires

  1. les tenants de l’idéologie du genre s’échine à vouloir détruire la famille au nom d’une soit distante lutte contre le patriarcat! l’immense majorité des êtres humains sont hétérosexuels, c’est l’homosexualité qui est marginale!

  2. D’accord avec vous sur le titre : « les barbus » n’est qu’un concept expiatoire d’une idéologie qui sous-tend l’ordre moral des sociétés musulmanes et qui s’appelle l’islam.

  3. Il faut s’interroger sur l’opinion des musulmans sur l’homosexualité qui est déterminé par l’islam !
    Dans un sondage en France, 68 % des musulmans pensent que l’homosexualité est une maladie alors que chez les catholiques sont 10 % !
    La peur de l’homosexualité est impressionante dans certains pays musulmans ! Pourquoi condamner à des peines de prison et même à mort des homosexuels ?
    On peut s’interroger sur le manque de culture de beaucoup de musulmans et des autorités musulmanes !

    La littérature arabe datant de l’époque de Mohamed, des ommeyades et des Abbassides nous apprend que l’homosexualité a été une pratique tolérée, autorisée et très repandue !
    Il faut lire Al jahiz, Badi al zaman al hamadani, bachar ibn burd,…
    Dans la sourate LXXVI, consacrée à la vie dans l’au-delà ! On parle d’homosexuels # des ephebes immortels circulent autour d’eux, tu les compares, quand tu les verras à des perles détachées #
    Il est à signaler que des historiens donnent le nom de nombreux homosexuels Arabes musulmans célèbres ainsi que des lesbiennes !
    Dans notre époque hypocrite et où l’image importe plus que l’intelligence et la culture ! beaucoup de musulmans jouent au super musulmans avec des tenues venant de l’Antiquité et en étant fermé sur l’histoire islamique et sur les autres cultures !

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