Samedi 2 mars 2019
« Non au 5ème mandat ! » : et après ?
«Non au 5e mandat » : formulé ainsi, avec cette quantification ahurissante, ce slogan serait, dans une première lecture, plus l’expression d’un épuisement, d’une profonde lassitude de l’Algérien qui, avili, dépossédé, dépenaillé, dénudé, nu, n’ayant d’autre choix que d’abdiquer par cette agonie.
Ainsi le refus exprimé ne porterait pas sur l’absurdité et l’arnaque de la mandature en elle-même du président monarque, ne remettrait pas en cause la légitimité de ses précédentes gouvernances. « Non au 5ème mandat », effacerait, gommerait les causes, les racines du mal, ferait le solde de tous comptes à quatre mandats qui, de 1999 à 2019, ont désalgérianisé un pays gouverné par une corruption systémique qui s’est diluée à tous les étages de la société d’autant que celle-ci a été gangrénée par l’islam politique qui régit les lois et les rouages constitutionnels et l’islamisme politique renforcé, promu, encouragé même dans ses fondements idéologiques par la politique de la concorde civile.
Ainsi, ce « Non au 5ème mandat » n’exprimerait-il qu’une touchante commisération pour un pitoyable règne finissant de ce président que l’on invite ainsi à partir, à quitter le pouvoir, à renoncer, sagement, à un 5ème mandat, sans s’inquiéter outre mesure d’un lourd passif de quatre mandats dont le cinquième ne serait pas plus désastreux que les précédents.
Il y aurait donc, derrière ce slogan « Non au 5ème mandat » non pas une opposition à une énième mandature de Bouteflika qui ne peut plus l’assumer cliniquement, vu son état de santé, mais, sous cette forme supposée d’oppositionnisme, une tactique du système politique lui-même qui chercherait une issue à ses propres contradictions comme à chaque pseudo échéance électorale présidentielle, à se rendre crédible d’abord en assurant par la rue, et autant que faire se peut, par les jeunes nés et ayant grandi durant le règne du Monarque, à éviter le chaos contre un cinquième mandat d’un Président finissant, mourant, un fantôme, en le faisant partir « noblement », sans casse, par l’énergie d’une jeunesse qui le prémunirait par ce simple barrage au 5ème mandat de la vindicte, si vindicte il y a.
En agissant ainsi, le pouvoir chercherait une sortie de crise sur le dos de la jeunesse algérienne pour prémunir son système en place menacé de l’intérieur par des luttes claniques qui s’opposent, en se déchirant, elles, pour des intérêts rentiers,, à couteaux tirés, non au 5è round des présidentielles, mais à la succession de son inamovible candidat élu et réélu.
« Non au 5e mandat » : le jeu sournois de Benbitour, Benflis et compagnie
Dans leur lettre adressée à Bouteflika le priant à « renoncer au 5ème mandat », des personnalités politiques et intellectuelles algériennes usent, dans les propos de leur missive de ce même élan de commisération, d’un ton compassionnel, qui aurait pu être une répartie d’un personnage de Molière : « Votre âge avancé et votre dramatique état de santé vous commandent de ne plus vous occuper des charges de l’Etat bien trop lourdes. A n’en pas douter, un autre mandat, serait un calvaire pour vous et pour le pays… ». Pourtant, parmi ces personnalités qui se sont gardées d’affirmer franchement et frontalement leur opposition politique au 5è mandat de Bouteflika, Ahmed Benbitour, ancien chef de gouvernement, a été victime des luttes intestines intra-pouvoir, éjecté, l’année 2000, huit mois à peine après son investiture à la tête du gouvernement.
Yasmina Khadra, signataire de cette missive, a, lors de la Révolution du Jasmin de 2011 ayant entrainé la destitution du Président Ben Ali, et dans le contexte du printemps arabe de la Libye et de l’Egypte, s’est fait le chantre de la gouvernance de Bouteflika.
Les signataires de cette étrange missive qui épouse la forme d’un certificat médical préviennent le président cliniquement inapte à tenir un conseil des ministres de se prémunir contre « les forces malsaines » qui le pousseraient à l’entêtement suicidaire en briguant un 5ème mandat comme si ces forces viles n’étaient pas en lui, n’étaient pas « lui » et dans l’identité même du système dont il est non pas la pitoyable émanation et la malheureuse effigie, mais la perfide et diabolique incarnation.
L’ancien premier ministre de Bouteflika qui a succédé à Ahmed Benbitour en 2000, Ali Benflis, candidat à la présidentielle de 2004 n’a fait qu’avorter d’un 7ème congrès Bis tant son souci majeur, dans son programme électoraliste d’alors, ce n’était pas l’Algérie, mais le parti du FLN, parti-Etat, illusoirement bicéphale. Son entêtement à la présidentielle de 2014 dont il est sorti défait ne l’a pas découragé puisqu’il « compte » récidiver à celle d’avril 2019 estimant que c’est « un tournant historique à ne pas rater, alors que le pays est depuis des décennies saisi par un véritable coma politique…», cautionnant, par là même, le compagnonnage de l’outsider des ex-redresseurs vigilants du FLN. Croire qu’une opposition saine, capable de porter et de formuler clairement un projet de société salvateur pour une Algérie citoyenne, pourrait naître des arcanes du pouvoir, de ses luttes inter et intra claniques mues pour des intérêts rentiers matériels et symboliques, il n’y a que les niais ou ceux qui feignent de l’être à accorder du crédit à cette thèse du bon larron.
Face au tourniquet des présidentielles sur lesquelles a fait haro le revenant de 1999, les partis politiques de l’opposition démocratique n’ont jamais dit « non au 3ème, 4ème, et même présentement à ce 5ème ». Tournoyant autour du noyau dur du système rentier bureaucratique, dans un rapport d’attraction-répulsion, selon les contenances saisonnières des râteliers, ils ont ainsi participé à la construction du bâti de la citadelle idéologique d’Abdelaziz Bouteflika tout en faisant croire à l’opinion publique, que le moment venu, car connaissant son architecture, ils sont les seuls habilités à s’attaquer à ses remparts.
Après Ben Ali, Kadhafi, Moubarak…
Huit années se sont écoulées depuis le printemps arabe qui a fait tomber, à la série, des présidents de mandature à vie, Zine el Abidine Ben Ali ( 5 mandats, 23 ans, 2 mois et 7 jours de règne), Mouammar Kadafi ( 41 ans, 11 mois et 22 jours de règne ) et Hosni Moubarek (5 mandats, 29 ans, 3 mois et 28 jours). L’Algérie arrive à ce rendez-vous électoral qui a mis le feu aux poudre de ces pays dont les présidents monarques, destitués, l’un tué ( Kadafi) l’autre exilé mais condamné par contumace dans son pays à de lourdes peines ( Ben Ali), l’autre enfin jugé de manière spectaculaire, voire avilissante ( Hosni Moubarek). Pourtant, dès l’immolation de Bouazizi, aucun slogan comptabilisant les mandatures des présidents destitués n’a fusé des foules de manifestants. Celles-ci ont compris l’évidence : un pouvoir dictatorial, inique, despotique ne peut céder ses privilèges, ses rentes, ses intérêts, ses harems, son système oligarchique, même malade, grabataire, agonisant, que par la violence, la Grande Destruction de ce qui reste encore debout du pays, jusqu’au chaos babylonien.
A l’heure où les oligarchies tunisienne, libyenne et égyptienne sont tombées, ouvrant de nouvelles perspectives à ces pays dont les forces réactionnaires ne peuvent arrêter le processus régénérateur d’une autre forme de gouvernance, malgré les attentats du terrorisme islamiste, l’Algérie s’apprêterait-elle, à son tour, par ce « Non au 5ème mandat » à la naissance d’une nouvelle ère, celle de l’Algérie de la IIème République, en rupture profonde avec les recyclages de l’Histoire. Mais, pour ce faire, les jeunes manifestants, par ce slogan « Non au 5ème mandat » de Bouteflika, qui fait barrage à « la famille révolutionnaire », au « valeureux Moudjahid de 54 », au « grand bâtisseur » de la Grande Mosquée, à l’initiateur de la politique scélérate de la concorde civile par laquelle il caressait l’espoir d’être couronné du prix Nobel de la paix, d’être enfin, le Mandela algérien. Mais ce slogan, en raison de l’échéance électorale de la présidentielle du mois d’avril prochain, s’il se suffit à lui-même, a une date de péremption limitée
Sans le 5ème de Bouteflika. Et après ?
Durant ses quatre mandats, et notamment à partir de 2006 date de la promulgation de la concorde civile accordant l’amnistie générale aux maquis terroristes de l’AIS, bras armé du FIS, toutes les campagnes électorales Bouteflika officiellement candidat « sans parti » se sont appuyées sur un seul slogan « le retour de la paix » et ses dérivés « la fin de la fitna », « l’Homme du dialogue », faisant croire que l’homme providentiel a vaincu le terrorisme.
Fort de cette duperie, il en agite le spectre pour peu que la société civile brise l’omerta sur les revendications socioéconomiques et politiques. Or, c’est durant ses quatre mandatures que l’islamisme politique s’est régénéré et qu’il s’est durablement et pernicieusement installé au sein des différents paliers du système éducatif. S’il n’y a plus d’attentats, c’est que sans doute ils n’ont plus les effets internationaux escomptés et que cette « paix des cimetières » est le résultat d’un marchandage politicien toujours remis en selle à chaque mandature par Bouteflika cédant de larges portions de territoires de cohabitation, accordant des immunités individuelles appuyées à d’anciennes figures de l’AIS et du GIA, mobilisant chaque année, presse écrite et médias lourds étatiques autour de la date anniversaire de la concorde civile sous le thème « La paix dans le monde ».
Ce mot d’ordre « Non au 5ème mandat », porté par une nouvelle génération d’Algériens qui n’a connu de l’Algérie de Bouteflika que la harga, la hogra, les massacres terroristes de populations civiles, s’il n’intègre pas dans sa formulation lapidaire, ces tragédies actuelles, il risque, malgré une forte mobilisation qu’il suscite, l’étiolement.
Face aux louvoiements du sérail, de ses nombreux satellites, aux silences stratégiques des partis islamistes, d’ex-chefs des branches armées du FIS et du GIA amnistiés par Bouteflika dont certains sont ses conseillers de l’ombre, de l’Aqmi aux portes frontalières du Sahel dirigé par des d’anciens AIS ayant grandi sous la protection et la ferveur enthousiaste des différents mandats de celui qui se plaisait, défiant, avec arrogance et mépris, les Patriotes et les GLD, désarmés, au cœur de la lutte anti-terroriste, à l’adresse des maquis terroristes « Si j’avais leur âge, j’aurais fait comme eux », ce « Non au 5ème mandat » s’il n’est pas, très vite, de mot d’ordre épisodique, éphémère, balisé dans le temps électoral, libéré des contingences et des logiques électoralistes, traduit en une plateforme politique revendicative d’un projet de société en rupture radicale avec le système politique qui nourrit l’oligarchie bouteflikienne alliée à islamisme politique, il n’aura été qu’une illusion de plus. Car, exiger le départ de Bouteflika au bout de vingt ans de règne dans une Algérie , avilie, « colonisée » cette fois de l’intérieur, ne suffit pas. Car le problème majeur, ce n’est, sans doute pas Bouteflika pris isolément, mais c’est le système politique politico-militaire rentier, dictatorial et islamiste qui l’a produit, et qui peut encore en produire à la série s’il n’est pas fin à son noyau dur.
Cette revendication « Non au 5ème mandat », qui déferle dans la rue algérienne restée fermée depuis l’instauration de l’état d’urgence, ne peut donc se suffire du départ de celui, qui, on s’en souvient, dès son investiture, menaçait de repartir d’où il était venu sous bonne escorte.
Qu’il parte ! Et puis après ? Si le même système rentier qui a gangréné le pays perdure, si les mêmes clans maffieux continuent de sévir sous d’autre formes modernes, si l’école reste toujours une excroissance de la mosquée, si la Justice est toujours celle qui ferme les yeux sur l’assassinat en direct à la télévision du père de la Révolution algérienne, Mohammed Boudiaf, condamne à mort un ancien résistant de novembre 54 pour avoir abattu un protégé pseudo repenti terroriste de Bouteflika, appose son sceau à la loi de l’amnistie générale aux groupes terroristes armés et, enfin, si ce départ du Revenant, n’est qu’une affaire d’un « 5ème mandat », alors, ce sera, pour Bouteflika une sortie honorable, il aura échappé au triste sort de ses homologues tunisien, libyen, égyptien dont les pays, aujourd’hui, malgré les tentatives sournoises de l’Occident dans la main mise de leurs richesses naturelles et, conséquemment, à la résurgence d’attentats du terrorisme islamiste, affrontent désormais, le monstre à visage découvert. Y compris face au maréchal Abdel Fettah al-Sissi qui a mis fin à la mascarade islamiste de Mohamed Morsi qui a pris le pouvoir après la révolution de la place Tahrir de 2011.
Créer un nouvel Etat de la IIème République algérienne
Cette plateforme de revendications politiques devra également être en rupture avec les mentalités rentières des partis politiques de l’opposition dite démocratique qui s’est complu dans l’expectative, l’attentisme et parfois dans une complicité agissante avec le pouvoir en place ; les uns ayant applaudi chaudement la concorde civile à sa naissance, les autres, aveuglés par le pouvoir, ont cautionné l’islamisme à Saint Egidio, d’autres jouant au ping-pong avec Bouteflika en lui servant de marchepied à chaque rendez-vous électoraliste, etc… Ce « Non au 5ème mandat » exprime notre échec à tous. Et c’est la raison pour laquelle, il appartient à cette jeune génération qui porte ce slogan d’aller au fond des choses, de briser les tabous, de redéfinir l’identité de l’Etat algérien par la suppression de l’article 2 de la Constitution ( « L’islam est la religion de l’Etat algérien ») qui annihile tous les autres articles de lois par lesquels le pseudo-Etat se porte garant de la liberté du culte, d’expression, d’opinion et d’officialisation des langues arabe et Tamazight qui ne peuvent s’épanouir dans un tel environnement constitutionnel.
Il leur appartient de faire appel à des constitutionnalistes compétents pour fixer des cadres légaux pour une redéfinition des outils juridiques en amont afin de prémunir le pays des dérives révisionnistes des textes juridiques victimes des aléas, des contingences des gouvernances partisanes. « Ce non au 5ème mandat » ne devra pas dédouaner le concepteur de la concorde civile qui a accordé sans fondement juridique l’amnistie totale aux bourreaux GIA des plus 200.000 morts, des milliers de disparus, aux gendarmes assassins des 132 jeunes manifestants du Printemps noir de 2001.
Il appartient aussi aux jeunes protestataires de redynamiser le tissu associatif des familles des victimes du terrorisme, des Patriotes désarmés, de projeter ce « Non au 5ème mandat » comme une possibilité du droit international afin de réparer la mémoire des victimes en portant l’hécatombe algérienne de « la décennie noire » au début de laquelle ces porteurs de ce « Non au 5ème mandat » sont nés, devant le TPI.
Il n’y a pas d’autre solution. Tout autre atermoiement, dialogue, expectative, attentisme, conforterait le pouvoir en place qui mise présentement sur le pourrissement de la rue.
Pour le bâton, il n’hésitera pas à faire sortir ses foules hystériques, à exciter ses barbouzes, à menacer du retour de la « fitna » ( ce qu’il fait déjà). Pour la carotte, il va déployer, sous peu, à grands renforts médiatiques, des distributions de logements sociaux…
C’est là un défi historique majeur de l’Algérie du 21e siècle. Ou cette parole iconoclaste du refus libère et se transforme urgemment en rampe de lancement d’un processus politique irréversible de la naissance de la IIème République algérienne ou elle ne sera qu’un vœu pieu, qu’une commisération à l’égard d’un vieux monarque, sur le trépas, comme Drogo, mort, avant d’avoir pu voir, enfin, de ses remparts de la Grande Mosquée, l’auréole finale de son cinquième et dernier mandat …