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«Nuages gris, le dernier pèlerinage de Franz Liszt » de Philippe André 

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Le musicologue Philippe André, également psychanalyste et psychiatre, consacre un ouvrage essentiel, publié par Le Passeur Éditeur, à la période finale de l’œuvre de Franz Liszt, analysant une série de pièces pour piano écrites dans les cinq dernières années du compositeur, dont la célèbre Nuages gris.

Fort de cette double expertise, l’auteur met en lumière le caractère ascétique, fragmenté et prophétique de cette musique tardive, y décelant non pas la folie, mais une plongée dans l’intériorité et les « phénomènes originaires » de la psyché humaine. L’apport majeur du livre est de démontrer comment ces compositions, marquées par une profondeur psychologique et une audace formelle, anticipent et préfigurent de manière saisissante les langages musicaux du XXe siècle, révélant la modernité radicale du Liszt vieillissant.

L’étude de Philippe André, parue dans l’élégante et savante collection Sursum Corda dirigée par Jean-Yves Clément, ancre l’analyse de la période crépusculaire de Franz Liszt dans la continuité de la musique romantique, tout en la renouvelant. L’auteur, déjà reconnu pour ses contributions sur Schumann (Robert Schumann Folies et musiques) et les Années de Pèlerinage, utilise sa double casquette de psychiatre et psychanalyste pour dépasser son statut de spécialiste lisztien et aborder l’œuvre par le prisme de l’intériorité et de la psyché du compositeur. Son attention se porte spécifiquement sur une poignée d’œuvres pour piano écrites durant les cinq dernières années de la vie de Liszt (1881-1886). Ces pièces courtes et singulières, comme Nuages gris (Trübe Wolken), Unstern! (Étoile maudite), ou La lugubre gondola, ont souvent été sous-estimées. Elles intriguent par leur langage musical dépouillé, quasi-ascétique, et leur étrangeté harmonique, phénomène accentué par le fait que plusieurs d’entre elles n’avaient pas été publiées du vivant du compositeur, retardant la reconnaissance de leur caractère prophétique et de leur modernité radicale. L’enjeu fondamental de l’étude est de décrypter ce « dernier pèlerinage » spirituel et créatif, en le soustrayant définitivement à l’idée d’un simple déclin pour y voir une ultime anticipation de l’avenir musical.

L’analyse de ces pièces cruciales de la période finale de Liszt, telles que « Nuages gris« , « Unstern!« , « La lugubre gondola » ou encore « Trauermarsch« , met en évidence une transformation radicale du langage musical du compositeur. L’écriture devient ascétique, dépouillée de la virtuosité spectaculaire d’antan, et fragmentée, souvent à la limite du silence. Ces œuvres sont parcourues d’accords altérés et de successions harmoniques imprévisibles, rompant délibérément avec les conventions tonales du romantisme établi et provoquant chez l’auditeur un sentiment profond d’« inquiétante étrangeté » (un concept que le psychanalyste André peut décoder par la lorgnette freudienne de l’Unheimlichkeit).

L’impact des compositions ultimes de Franz Liszt réside indéniablement dans leur nature foncièrement prophétique et leur sceau indiscutable de modernité. Ces pièces, déconcertantes par leur économie de moyens et leur atmosphère sinistre, ont initialement été accueillies avec perplexité, voire avec hostilité. Déroutés par cette nouveauté radicale qui rompait avec l’opulence orchestrale et le lyrisme habituel du Romantisme, certains critiques contemporains ont vu dans leur écriture fragmentée, leurs silences abrupts et leur harmonie flottante l’expression d’une « folie en germe » ou, plus charitablement, d’une simple dégradation des facultés intellectuelles du compositeur vieillissant. 

Or, l’ouvrage de Philippe André s’emploie précisément à infirmer cette lecture pathologique. Fort de sa triple expertise en musicologie, psychiatrie et psychanalyse, André démontre avec conviction que cette désolation sonore était au contraire le fruit d’une démarche créatrice totalement délibérée. Liszt, dans un acte de lucidité artistique suprême, s’y engage dans une exploration vertigineuse de l’intériorité et du subconscient, une plongée dans un « dernier pèlerinage » spirituel et psychique. Loin de représenter un déclin ou une incapacité, ces pièces constituent en réalité une avancée audacieuse vers les horizons de l’atonalité et des climats psychologiques complexes qui allaient dominer la musique du XXe siècle, faisant de Liszt, sur le plan harmonique et expressif, l’un des plus grands précurseurs de la nouvelle musique.

Par ailleurs, l’étude approfondie et visionnaire de Philippe André se concentre sur la période de création crépusculaire de Franz Liszt. Fort de son statut établi de spécialiste du romantisme, l’auteur aborde ici l’œuvre par un prisme singulier. C’est sa triple expertise de musicologue, psychiatre et psychanalyste qui lui permet d’aller au-delà de la simple analyse formelle, pour décrypter les compositions par le biais de l’intériorité et de la psyché du musicien. L’ouvrage se focalise ainsi sur une poignée d’œuvres pour piano écrites par Liszt durant ses cinq dernières années de vie (1881-1886). Ces pièces courtes et singulières, telles que Nuages gris, Unstern!, ou La lugubre gondola, ont longtemps intrigué par leur langage musical dépouillé, quasi-ascétique, et leur étrangeté harmonique. Leur publication tardive pour certaines, n’ayant pas été publiées du vivant du compositeur, a retardé la reconnaissance de leur caractère prophétique et de leur modernité radicale. L’enjeu de l’étude est dès lors de décrypter ce « dernier pèlerinage » spirituel et créatif, en le soustrayant à l’idée d’un simple déclin pour y voir une ultime anticipation de l’avenir musical.

En conséquence, le livre de Philippe André sur Nuages gris s’impose comme une nouvelle lecture essentielle et enrichissante de la période finale de Franz Liszt, un moment de création qui fut souvent mal compris et relégué à la marge de son immense œuvre. Pendant longtemps, ces compositions ultimes et énigmatiques ont été considérées comme des curiosités, voire des preuves d’un épuisement ou d’une déchéance stylistique. L’auteur, fort de son statut de musicologue et de son regard de psychanalyste, parvient brillamment à réhabiliter ces pièces. Il démantèle l’idée selon laquelle elles seraient le fruit d’un déclin de ses facultés, un réflexe face à la vieillesse ou à la maladie. Au contraire, André démontre avec une rigueur analytique que cette musique austère et fragmentée résulte d’une démarche créatrice délibérée d’une immense lucidité de la part du compositeur. 

Liszt a choisi de renoncer à la virtuosité et à l’opulence orchestrale du romantisme pour se confronter à l’essentiel, à la solitude et aux questions existentielles. Loin de toute pathologie, ce dépouillement est l’expression d’une liberté formelle totale et d’une volonté prophétique de s’affranchir du système tonal, faisant de ces pièces des manifestes d’une modernité pleinement assumée.

L’apport majeur du livre de Philippe André réside dans sa capacité à décrypter le sens profond de ce que l’auteur nomme le « dernier pèlerinage » de Liszt. Il met en lumière la manière dont le compositeur, dans ses dernières années, a véritablement « lancé [son] javelot dans les espaces indéfinis de l’avenir ». En étudiant la nature énigmatique de ces pièces tardives, l’ouvrage démontre leur rôle de préfiguration, annonçant de manière stupéfiante les sonorités acerbes et les audaces harmoniques qui ne seront pleinement explorées qu’au XXe siècle. 

Liszt se révèle ainsi le précurseur direct de compositeurs majeurs comme Alexandre Scriabine, avec sa mystique tonale altérée, Arnold Schoenberg, avec ses explorations atonales, et même Dimitri Chostakovitch, par l’âpreté de certains climats. Cette filiation est si évidente que le musicologue René Leibowitz considérait d’ailleurs Nuages gris comme un jalon fondamental de l’histoire de la musique. Un point essentiel défendu par l’ouvrage est de souligner que, même si la publication de ces œuvres fut très tardive (comme Nuages gris qui ne parut qu’en 1927), ces conceptions novatrices n’ont pas été sans influence. Elles ont pu irradier et jouer un rôle discret mais certain dans l’évolution du langage musical par le biais de l’enseignement de Liszt et de son cercle d’élèves, assurant ainsi une transmission souterraine de cette modernité visionnaire.

L’analyse de Philippe André est particulièrement éclairante sur la cohérence de l’œuvre tardive de Franz Liszt avec son parcours antérieur. L’auteur soutient que ces dernières compositions ne représentent pas une rupture, mais au contraire un point de non-retour dans l’exploration de l’intériorité et du spirituel déjà entamée dans les Années de Pèlerinage. Plus spécifiquement, cette musique s’inscrit dans la lignée de la Troisième Année (Italie), caractérisée par une tonalité plus sombre et une méditation sur l’art et la foi, marquant la phase ultime de la quête spirituelle et artistique de Liszt : la recherche du « vrai soi ». C’est là que l’expertise d’André, en tant que psychanalyste, prend tout son sens. Il interprète ce mouvement comme un paradoxe de fin de vie créatrice : au lieu de s’éloigner stérilement du monde, Liszt effectue un retour essentiel vers ses « racines » et les « phénomènes originaires » de la psyché humaine. Les silences et les harmonies déroutantes deviennent les manifestations d’états intérieurs et de la solitude métaphysique.

L’ouvrage déploie cette démonstration en retraçant méthodiquement le parcours de ce pèlerinage en neuf étapes analytiques, structurées de manière à mettre en évidence la progression psychologique et spirituelle de Liszt. La structure de l’analyse confère à l’étude une dimension quasi-initiatique, allant du « Wiegenlied » (Chant du berceau) jusqu’à « En Rêve. Nocturne ». Le choix du Wiegenlied comme point de départ n’est pas anodin : cette pièce, d’une simplicité et d’une pureté désarmantes, symbolise le retour à l’innocence primitive et à l’essentiel, marquant le début d’un repli intérieur. À l’opposé, le Nocturne clôt le cycle en illustrant l’accès au détachement et au monde du songe, symbolisant la dissolution de la conscience ou l’approche de l’au-delà. 

L’enchaînement de ces neuf pièces n’est donc pas purement chronologique, mais s’inscrit dans une logique thématique et spirituelle profonde. Cette cartographie analytique permet à Philippe André de confirmer que cette musique de rêve, à la fois imprévisible et déroutante, possède une fascinante double temporalité : elle est une musique qui vient après la musique (car elle met fin au romantisme dans sa forme initiale) et une musique d’avant la musique (car elle s’inscrit résolument dans les recherches harmoniques du XXe siècle). L’étude souligne ainsi que ce romantisme radical, dénué de toute fioriture, est la preuve d’une cohérence intérieure exceptionnelle, solidement plantée dans le sol du XXe siècle.

L’analyse de Philippe André atteint son point culminant en soulignant la double valeur de ces compositions : d’une part leur profondeur psychologique (ce retour aux « phénomènes originaires » de l’âme), et d’autre part leur audace formelle (cette plongée vers l’atonalité). En reconnaissant cette convergence unique entre l’intériorité la plus radicale et la subversion stylistique, l’ouvrage confirme l’importance cruciale de ces dernières pièces de Liszt pour l’histoire de la musique dans son ensemble. L’auteur élève ces compositions au-dessus de leur statut de curiosité biographique ou de simple « note de bas de page » dans l’immense catalogue du compositeur. Elles sont, aux yeux d’André, définitivement les véritables germes du XXe siècle. Cette affirmation est étayée par le fait que l’exploration des « phénomènes originaires » de l’âme, cette quête existentielle et introspective, a coïncidé avec l’invention d’un langage musical neuf. L’intimité la plus profonde a engendré la forme la plus audacieuse, conférant à Liszt une place de pionnier qui a ouvert les portes de l’atonalité et des climats psychologiques modernes bien avant que la nouvelle École de Vienne ne s’en empare.

L’ouvrage de Philippe André dépasse le cadre d’une simple monographie pour s’imposer comme une réévaluation historiographique majeure de Franz Liszt. En articulant avec une finesse inédite l’ascèse formelle de la musique tardive avec les arcanes de la psyché du compositeur, l’auteur parvient à résoudre le paradoxe de cette œuvre : l’ultime repli intérieur a engendré le langage le plus prophétique. André confirme ainsi que le « dernier pèlerinage » lisztien, loin d’être un adieu mélancolique au Romantisme, fut un acte de lucidité radicale. Il s’agit d’une œuvre de rupture qui boucle définitivement l’ère classique et ouvre, par sa double temporalité, l’horizon entier de la modernité musicale, assurant à Liszt son statut incontestable de père fondateur du XXe siècle.

Brahim Saci

Philippe André, Nuages gris, le dernier pèlerinage de Franz Liszt, Le Passeur Éditeur

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